Inspecteur général de l’administration départementale, Jean-Claude Moretti a assumé les responsabilités de directeur adjoint, puis de directeur de l’Etablissement public d’aménagement Alzette-Belval jusqu’en 2015. Aujourd’hui retraité, il poursuit son travail de rapprochement transfrontalier dans le cadre du conseil de développement durable de Metz Métropole.
Constituée de bénévoles, cette instance a questionné durant plusieurs mois une trentaine de navetteurs de l’agglomération messine travaillant au Luxembourg avant d’appeler les institutions et les élus à se saisir de leurs préoccupations.
Qu’avez-vous appris de vos recherches et de vos échanges sur la réalité vécue par les habitants de l’agglomération messine vivant au Luxembourg ?
Nous nous sommes appuyés sur des statistiques de l’Insée, des coupures de presse et des chiffres des administrations luxembourgeoises pour pouvoir fournir à l’exécutif des données chiffrées (1). Grâce aux échanges avec des travailleurs frontaliers, nous avons constaté des pratiques que nous ne connaissions pas. Par exemple, les navetteurs achètent essentiellement du tabac, de l’alcool et des carburants au Luxembourg, mais ils fréquentent peu les commerces locaux. En revanche, ils sont de plus en plus nombreux à y prendre leurs rendez-vous médicaux, car l’attente y est beaucoup moins longue qu’en France. Les jeunes fréquentent de plus en plus les équipements culturels luxembourgeois. Et la légalisation du cannabis au Grand-Duché entraînera certainement de nouveaux flux.
Quelles conclusions l’exécutif métropolitain peut-il tirer de ces recherches ?
Nous ne pouvons pas en préjuger. L’étude que nous présentons aujourd’hui à la presse fera l’objet d’un débat public le 6 novembre prochain à la salle Europa de Montigny-les-Metz, puis d’un avis que nous remettrons aux élus en janvier 2021. Mais les données que nous avons recueillies doivent questionner la métropole. Les frontaliers sont aujourd’hui 8.000 à Metz Métropole, et leur nombre pourrait être multiplié par quatre au cours des prochaines années. Sachant que les prévisions démographiques de notre territoire indiquent une baisse et un vieillissement de la population, de nombreuses questions s’imposent : d’où viendront ces nouveaux frontaliers ? Par où passeront ils ? Le Grand-Duché prévoit-t-il de les loger dans le pays ? Fera-t-il appel à plus d’immigration ou à plus de frontaliers ? Les réponses permettront à notre territoire de se montrer non plus réactif, mais proactif.
Les réponses relèvent-elle de la compétence d’une métropole ?
Elle ne peut certainement pas tout résoudre, mais elle peut prendre des mesures qui auront beaucoup d’impact au quotidien. Le problème de la mobilité entre la France et le Luxembourg ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Il y a des mesures à prendre en matière de mobilité interne du territoire, notamment pour permettre à des travailleurs frontaliers habitant dans l’une ou l’autre des communes de l’agglomération d’emprunter des liaisons douces pour se rendre au travail. Le plan local d’urbanisme peut prendre en compte les questions de pression foncière en fonction de la localisation. Le fait frontalier peut influer sur les politiques de formation, l’apprentissage des langues, les services spécifiques, la petite enfance… Le turn-over qu’engendre le travail frontalier peut constituer une opportunité de développer l’attractivité de la métropole. Metz Métropole a une carte à jouer.
La cruelle citation d’Edgar Faure Litanie – Liturgie – Léthargie vous semble avoir caractérisé les relations transfrontalières à la fin du XXème siècle. Pourquoi les choses auraient-elles changé ?
L’interdépendance des territoires frontaliers est désormais visible. Durant la crise du Covid-19, la ministre de la Santé luxembourgeoise a reconnu pour la première fois que son pays présentait une grande vulnérabilité et une forte dépendance vis-à-vis des travailleurs français, qui représentent 62 % des effectifs des établissements de soins au Luxembourg. L’exécutif luxembourgeois s’inquiète également d’un manque de main d’œuvre. De fait, les jeunes Lorrains ne sont plus aussi disposés à travailler au Luxembourg, même en gagnant plus. Ils sont très conscients des contraintes et des risques en matière de qualité de vie.
Les paradigmes changent et il est important de redonner la parole aux citoyens pour alerter l’exécutif. Ce rôle de veille et d’alerte est d’autant plus important que les collectivités, faute de moyens publics, sont absorbées par la gestion du quotidien. Jusqu’à présent, la question frontalière n’était pas évoquée comme composante de la vie métropolitaine. Les choses commencent à changer. Les institutions transfrontalières ont mis trente ans à parvenir – ou presque – à instaurer le dialogue à tous les échelons. Il est temps d’amorcer une permettre une meilleure expression citoyenne pour amorcer une démocratie participative.
Propos recueillis par Pascale Braun
Les navetteurs en chiffres :
Metz Métropole compte aujourd’hui 8.000 navetteurs habitants de 23 communes de l’agglomération. Ce chiffre a progressé de 54 % en dix ans.
Les frontaliers sont très majoritairement des hommes (73 %) majoritairement âgés d’entre 30 et 48 ans. 70 % sont titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur (contre 32 % en moyenne).
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