Basé à Strasbourg et collaborateur direct du préfet du Grand Est, Jacques Garau pilote les équipes régionales et interrégionales du Secrétariat général pour les affaires régionales et européennes (Sgare), qui compte près de 80 agents. Chargé du suivi des relations avec les institutions régionales, transfrontalières et internationales, il évoque pour Correspondances lorraines les thématiques de la mobilité et de la coopération transfrontalière.
Les projets ferroviaires du Rhin supérieur paraissent bloqués et les villes de la Grande Région se plaignent d’être contournées par les grands axes européens. Quelles priorités l’Etat a-t-il identifiées en matière de mobilité ?
Tous les projets ne sont pas bloqués. La liaison entre EuroAirport Bâle-Mulhouse et la gare de Saint-Louis est plutôt en bonne voie. Les principes de financement des travaux, d’un montant de 300 millions d’euros, pourraient être d’une répartition égale entre les parties française et suisse, hors fonds européens. Les études d’avant-projet sommaire sont lancées pour une durée de 27 mois. A inscrire dans le projet fédéral des transports de la Suisse, qui sera acté en 2018, le projet devra faire l’objet d’une votation qui risque de poser problème, car l’opinion publique est hostile à l’augmentation de capacité de l’aéroport, tant à Bâle Ville qu’à Bâle Campagne.
Le projet de raccordement ferroviaire entre Bâle et Saint-Louis, dont on parle depuis dix ans, suit son cours. Il n’y a pas de progrès notable au niveau de la liaison Bâle-Bruxelles prévue dans le projet EuroCapRail, mais la liaison TGV entre Luxembourg et Strasbourg sera plus facile avec la mise en service de la deuxième partie de la ligne de la LGV Est. Les négociations se poursuivent avec la Deutsche Bahn pour la desserte entre Strasbourg et Stuttgart. La liaison Strasbourg-Bruxelles via Marne-la-Vallée sans passer par Paris constitue un progrès. Il existe par ailleurs deux liaisons quotidiennes entre Luxembourg et Bruxelles. Il ne faut pas oublier la compétition entre les villes européennes, qui ne sont pas forcément très enclines à s’interconnecter.
La constitution de la région Grand Est est-elle de nature à améliorer la mobilité transfrontalière ?
C’est certain. Avec 5,5 millions d’habitants, le Grand Est doit raisonner à l’échelle d’un pays d’Europe. L’amélioration ne se fera pas du jour au lendemain, mais elle ne fait pas de doute. La réforme territoriale oblige à penser l’offre de transports à une nouvelle échelle incluant l’Ile-de-France, l’Allemagne, le Luxembourg, la Suisse ou encore l’Italie. La nouvelle région met en cohérence les enjeux qui existaient en Lorraine, en Alsace et en Champagne-Ardenne, ce qui facilite la correspondance des TER entre eux et augmente les capacités de négociation. Nous avons ainsi obtenu de l’Ile-de-France de grandes avancées sur l’axe Paris-Troyes, ce qui n’était pas gagné. Sur le plan transfrontalier, il faut intégrer une nouvelle logique de plaque qui va au-delà du Grand Est et intègre les composantes autoroutières, aéroportuaires et fluviales.
Les documents de la Dreal, maître d’ouvrage du projet de réaménagement de l’autoroute A 31, prennent-elles-suffisamment en compte l’augmentation prévisible des poids lourds transitant par les hubs logistiques luxembourgeois ?
Les flux de poids lourds transitant par l’A 31 font partie de la réflexion sur les corridors européens qui traversent le Grand Est. Sur les cinq corridors français concernés par le réseau central RTE-T (réseaux transeuropéens de transports), quatre traversent la région Alsace et plus largement la région Grand Est. Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg, joue un rôle clé dans l’animation de cette démarche en tant que coordinatrice des coordinateurs. Les plates-formes logistiques luxembourgeoises font partie de la problématique générale de la desserte nord-sud. La loi NoTre, qui offre des modèles de gouvernance plus souples pour les concessionnaires de ports fluviaux, permet d’élaborer de nouveaux modèles de rabattement du fret vers les ports. La stratégie fluviale doit s’élargir jusqu’aux ports maritimes d’Anvers et de Rotterdam.
Comment l’Etat compte-t-il répondre à l’hostilité manifestée par les frontaliers lorrains travaillant au Luxembourg à la perspective d’un péage sur l’A 31 bis ?
La concertation sur l’A 31 bis débutera en septembre prochain. Le comité de pilotage qui la mènera, avant la déclaration d’utilité publique prévue en 2020, ne traitera pas des questions de financement. Plusieurs paramètres entrent en compte, dont l’éventuelle taxe régionale sur les poids lourds. La condition de la faisabilité de l’élargissement de l’A 31 sera trouvée ou ne le sera pas. Il ne faut pas oublier que l’Etat a exhumé ce dossier des tiroirs et qu’il pourrait y retourner.
Un transport en commun entre le nord lorrain et le Luxembourg est-il à l’étude ?
Le Luxembourg, qui engage actuellement un investissement de 1,6 milliard d’euros dans le doublement de ses transports publics, est demandeur d’une voie réservée au multimodal sur l’autoroute A 31 bis. Qu’il s’agisse de rail, de bus ou de covoiturage, les discussions sont ouvertes. La solution ne sera pas unique, ni au long de l’A31, ni sur toute la zone de contact entre la Lorraine et le Luxembourg.
Comment expliquer que la France, qui a conclu des accords fiscaux avec tous les pays d’Europe, ne sollicite pas auprès du Grand-Duché une compensation de même nature que celle accordée par la Suisse depuis 1973 ?
La tradition de la péréquation transfrontalière ne concerne que le canton de Genève. Les autres cantons ne la pratiquent pas, même s’ils peuvent ponctuellement participer à l’offre de transports ou de parkings. En ce qui concerne le Luxembourg, la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise n’a pas fait apparaître de grande ouverture sur la péréquation, même si nous argumentons sur ce sujet. La Région Grand Est, qui vient tout juste de se créer, plaidera pour un fonds de péréquation qui présente l’avantage de ne pas se focaliser sur un seul projet et de mobiliser une masse financière dans la durée.
Le Grand Est compte-t-il désigner un « ambassadeur » des relations transfrontalières aux côtés du préfet ?
La désignation d’un conseiller diplomatique chargé des relations diplomatiques transfrontalières et internationales est en cours. Le Grand Est, avec Strasbourg, compte un corps consulaire important et l’animation des projets économiques portés par des investisseurs internationaux mobilisera un temps plein. Situé au cœur de l’Europe, le Grand Est veut rester une région industrielle. La région souffre d’un déficit d’attractivité et les relations avec les pays voisins jouent un rôle majeur pour y remédier. L’implantation d’industriels étrangers séduits par une main d’œuvre bien formée constitue un enjeu important, même s’il faut tenir compte du rempli que manifestent certaines régions voisines, dont le Bade-Wurtemberg, vis-à-vis de l’apprentissage du français.
Propos recueillis par Pascale Braun
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