Aux confins du nord lorrain et du Luxembourg, la cheffe de projet Culture de la communauté de communes du Pays-Haut Val-d’Alzette mène à bien son troisième projet de pôle pluridisciplinaire d’envergure, après Poitiers et Nancy. Encore différées, ses aspirations personnelles attendront.
Le Pôle culturel de Micheville n’ouvrira que dans deux ans, mais Isabelle Chaigne en visualise déjà les espaces et l’esprit. Cheveux courts, débit rapide et gestuelle chaleureuse, elle insuffle au projet une énergie débordante et un professionnalisme bien rôdé. Implanté à Audun-le-Tiche, à la frontière luxembourgeoise, le paquebot rectiligne aux volumes généreux conçu par K-Architectures abritera production et projection d’image, de musique et d’oeuvres numérique. Le site ancrera la mémoire ouvrière de ce territoire rural et paupérisé tout en accompagnant sa transition vers une ère nouvelle. Inscrite dans une opération d’intérêt national, la communauté de communes du Pays-Haut – Val d’Alzette (CCPHVA) doit passer de 28 000 à 48 000 habitants en trente ans à la faveur de la dynamique économique du sud du Luxembourg.
Dans ce territoire pauvre, Je tiens à démontrer que l’argent injecté dans un équipement culturel n’est pas gâché. La culture contribue à métamorphoser le lieu de vie et apporte à ses habitants fierté, émotions et bonheur.
Isabelle Chaigne
Un métier, une passion
Trente ans de carrière ont conforté la cheffe de projet dans cette indéfectible conviction. A cinquante ans passés, Isabelle Chaigne conduit à Audun-le-Tiche sa troisième réalisation d’envergure, après le Confort moderne à Poitiers et l’Autre canal à Nancy. Une réussite paradoxale, car cette native de la campagne poitevine s’était promis de ne pas faire de sa passion son métier, se destinant plutôt au travail social dans les domaines du handicap mental ou de la grande pauvreté. Mais le goût de la musique, des arts plastiques, de la fête et du partage a pris le pas sur les autres desseins.
La vie culturelle poitevine n’était pas trépidante au début des années 80. Seule une association dénommée l’Oreille est hardie organisait là où elle le pouvait des concerts de rock ou des expositions d’art moderne.
Nous avons vu arriver Isabelle en 1983, à l’occasion du Meeting, un festival de rock qui a fait date à Poitiers. C’était une bénévole efficace, active, débordant d’énergie, qui a très vite pris une place importante dans nos projets.
Fazette Bordage, ex- pilier de l’Oreille est hardie aujourd’hui directrice de la Dynamique artistique et culturelle de la ville du Havre
Lassée du nomadisme, la bande de copains repère un ancien entrepôt de matériel électroménager et décide de s’y installer. Toujours bénévole, Isabelle Chaigne gâche du béton pour construire des chapes, repeint des murs, isole des parois, tout en continuant à exercer un emploi « alimentaire » dans une mutuelle agricole. Rebaptisé « le Confort moderne », le site devient l’un des premiers établissements de France à s’ouvrir simultanément à la musique, à la danse, à la vidéo, aux professionnels et aux amateurs. Isabelle Chaigne est nommée présidente de l’association, puis remplace Fazette Bordage au poste de directrice lorsque celle-ci prend ses distances pour cause de maternité.
Isabelle est un étonnant mélange d’enthousiasme et de rigueur. Au Confort moderne, elle a appris à chiffrer un projet sans pour autant intégrer une logique comptable : elle fait preuve d’un grand sérieux, mais ne renonce jamais à la part de risque qui peut faire jaillir l’étincelle.
Fazette Bordage
Non à la stigmatisation
En l’espace d’une décennie, Isabelle Chaigne érige le Confort moderne au rang d’institution régionale tout en cultivant sa propre ouverture d’esprit. Son site est le premier de France à adhérer au réseau européen Trans Europe Halles, qui fédère des friches industrielles reconverties en lieux de culture dans une quinzaine de pays. Elle puise ainsi dans un ancien squat viennois, dans des entrepôts portuaires de Dublin ou dans un village de Lombardie, des exemples de vie culturelle fort éloignés de la province française. En 1995, elle assiste à l’émergence de la musique techno, très vite mise à l’index par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. La jeune femme n’éprouve pas d’engouement particulier pour ce genre musical, mais initie le colloque national « Les musiques électroniques et la création artistique » pour contrer cette stigmatisation.
La quarantaine approchant, Isabelle Chaigne se prépare à quitter le monde de la culture pour retourner à ses aspirations initiales. Le hasard en décide autrement. En 2000, elle participe au jury de recrutement d’un chef de mission aux Affaires culturelles de la ville de Nancy. Le recrutement échoue, mais l’adéquation entre le poste et les compétences d’Isabelle Chaigne s’impose.
Mémoire meurtrie
Sous l’égide de Laurent Hénard, actuel maire de la ville alors adjoint à la Culture, elle entame un long travail de préfiguration. Le projet initial, dimensionné pour 450 places, monte progressivement à 1 200 places debout et 300 places assises et quatre studios d’enregistrement. Le grand parallélépipède de béton rouge sort de terre en 2007. Isabelle Chaigne maintient le cap de l’établissement durant les turbulences des premières saisons, s’attelle aux préparatifs du festival Renaissance de 2013, puis quitte ses fonctions à la ville de Nancy dans la ferme intention d’entamer – enfin – sa carrière dans le social.
Mais la culture la poursuit. Lorsqu’elle apprend que la Communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette recherche un chef de projet pour élaborer le projet global du pôle culturel de Micheville, Isabelle Chaigne se renseigne sur ce territoire qu’elle ne connaît pas. Elle y pressent un déficit de culture, perçoit une mémoire ouvrière meurtrie dont l’immigration constitue le socle. Sitôt recrutée, elle fait circuler entre les écoles lorraines et luxembourgeoises un musée mobile d’art contemporain. Les collégiens sont quant à eux invités à réaliser une narration collective sous l’égide de la compagnie strasbourgeoise Mémoires Vives. L’étonnante épopée du bataillon Rodina, fondé en mai 1944 par 37 prisonnières russes évadées du camp de concentration de Thil, à quatre kilomètres d’Audun-le-Tiche, constitue l’une des premières étapes de ce travail de mémoire.
J’insiste sur la pédagogie, la médiation et l’éducation. Les ados d’aujourd’hui seront le pemier public du pôle culturel.
Isabelle Chaigne
Dates
Juin 1983 : bénévole lors du festival de rock « le meeting » à Poitiers.
1992 : directrice du Confort moderne à Poitiers.
1994 : cofondatrice de la Fédération nationale de lieux Musiques actuelles (Fédurock).
2000 Cheffe de projet Musiques actuelles à la Ville de Nancy.
2007 Inauguration de l’espace de concert et de création l’Autre canal à Nancy.
2013 Directrice artistique de Style live Renaissance, qui réunira 30 000 spectateurs à Nancy.
2014 Cheffe de projet Culture à la Communauté de communes du Pays-Haut-Val d’Alzette.
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