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Insécurité : comment rassurer les agents

Le sentiment d’insécurité est relativement répandu parmi les agents au contact du public. Les collectivités réagissent en expérimentant des procédures destinées à protéger et à rassurer leur personnel.

pompiers-caillasses Insécurité Pompiers « caillassés », assistantes sociales prises à partie, guichetiers invectivés… Entre médiatisation et non-dit, la crainte des violences au travail semble parfois gagner du terrain.

Jean-Pierre-BenaisLe sentiment d’insécurité n’apparaît pas forcément en rapport avec la réalité d’un danger. Il faut, néanmoins, tenir compte du sentiment ressenti par les agents, car la crainte engendre un ­malaise au travail, qui peut déclencher des pathologies comme la dépression. Elle engendre, de surcroît, des dysfonctionnements dans les services.

docteur Jean-Pierre Benais, chef du service des urgences médico-judiciaires de Seine-Saint-Denis

Hors du phénomène très particulier des violences urbaines, les cas de violences avérées paraissent relativement exceptionnels, ils sont d’autant plus mal vécus qu’ils touchent les catégories les plus basses dans la hiérarchie. Ainsi, l’agent d’accueil d’un service social subit les mécontentements du public qui ne peut atteindre l’assistante sociale, les cadres ou les élus qui ont pris la décision de lui refuser l’accès à une prestation.

Plus le fonctionnaire territorial est au contact du public, moins il maîtrise les décisions qu’il doit appliquer, plus il subit des réactions agressives.

Michel Bonneu, directeur des services au public de la ville de Caen (Calvados), en s'appuyant sur vingt-cinq années d'expériences

Soutien de l’institution

L’Ille-et-Vilaine, qui recensait, en ­moyenne, une ou deux agressions par an, a connu un pic de violence durant l’été 2001, au cours duquel cinq travailleurs sociaux ont été agressés. Face à cette situation, le ­conseil général et les syndicats ont mis en place un protocole de protection des 1 800 agents du département. Le conseil général a rédigé des circulaires d’informations pratiques et a signé des conventions avec des associations d’aide aux victimes.

Une écoute et un regard extérieurs peuvent être nécessaires pour aider l’agent agressé à reprendre le travail. Les victimes doivent pouvoir parler, se sentir soutenues et être accompagnées dans les démarches juridiques.

Andrée ­Gouret, responsable CFDT du secteur ­santé social d'Ille-et-Vilaine

En cas d’agression, comme le préconise la loi de 1983, la collectivité territoriale participe aux poursuites judiciaires.

L’agent n’a pas été pris à partie en tant qu’individu, mais comme travailleur incarnant l’administration territoriale. Malheureusement, les parquets ont du mal à prendre en compte cette attitude et privilégient les plaintes individuelles.

Denys Louvain, responsable de la gestion des carrières, des paies et des contentieux à la direction des ressources humaines du conseil général d'Ille-et-Vilaine

Ces procédures, pourtant rodées, ne suffisent pas à évaluer la réalité de la violence et de ses conséquences.

L’évaluation des risques poste par poste incombe à la médecine du travail, qui a bien du mal à cerner une réalité fluctuante. Même les statistiques d’arrêts de travail ne nous donnent pas une vision claire des faits, car les agents passent parfois sous silence des incidents dont ils ont honte. Par ailleurs, les chocs émotionnels liés à une agression peuvent apparaître bien après les faits.

Denys Louvain

Les violences atteignent physiquement ou moralement les agents, mais elles portent aussi atteinte à leurs compétences professionnelles. Ils se sentent plus coupables que victimes et s’enferment dans le silence. Le sentiment d’insécurité peut disparaître avec des mesures aussi simples que l’amélioration de l’éclairage, poursuit-il. Mais, l’équipement des locaux en matière de sécurité sera toujours secondaire par rapport à la qualité du collectif de travail et à l’effort réalisé par la hiérarchie pour prouver qu’elle prend en charge la sécurité des agents. Les formations individuelles doivent être confortées par les pratiques de toute l’équipe. Le sentiment d’appartenance à un groupe constitue le meilleur rempart contre la peur.

Jean-Pierre Benais

Limiter les risques

Appliquant à la lettre le principe de précaution, la ville de Caen a publié, en septembre 2004, un guide de conseils ­intitulé « Agression au travail : comment réagir ? Vous n’êtes plus seuls ! ».

Fruit de deux ans de réflexion du comité d’hygiène et de sécurité, ­cette procédure ne vise pas seulement les agressions extérieures, mais aussi les risques de harcèlement moral et sexuel à l’intérieur de nos services.

Michel Bonneu, directeur des services au public de Caen

La ville tente également de prévenir les tensions avec les usagers en améliorant le service. Inscrit dans une démarche de qualité, le service de l’état civil a ainsi réduit les délais d’attente aux guichets à cinq minutes en moyenne.

Ne considérant pas les agressions comme un problème isolé, le ­conseil général du Territoire-de-Belfort intègre la prévention dans une démarche globale d’amélioration de la qualité de vie au travail. A la fin de l’année 2004, la collectivité a mis en place une direction du développement interne pour favoriser la collaboration entre les services. Des groupes de travail interdisciplinaires se penchent sur les conditions de travail tout en s’attachant à la qualité du service ­rendu.

Nous veillons au respect des interlocuteurs et à l’amélioration des délais de réponses. Nous insistons sur la formation des agents travaillant au contact du public. Enfin, certaines précautions limitent les risques. Ainsi, dans nos sept points d’accueil solidarité, où nous enregistrons deux ou trois situations difficiles par an, l’accueil se fait en doublon avec un agent administratif et un travailleur social.

Jacques Gozard, responsable de la prévention, de la médiation et de la sécurité au ­conseil général

Globalement, la violence des usagers vis-à-vis des agents relève rarement de la délinquance caractérisée. Cette agressivité résulte souvent de l’absence de réponse, de l’incompréhension des procédures ou du manque de transparence. L’exemple le plus caractéristique est celui de la personne qui se présente au centre communal d’action sociale, à bout de nerfs, après avoir vainement multiplié les démarches pour obtenir une explication. En bout de chaîne, c’est l’agent qui subit la colère, mais c’est à l’institution qu’incombe la responsabilité réelle.

Dominique Bacha, conseillère confédérale de sud-collectivités territoriales

Si la plupart des collectivités cherchent, en interne, des solutions à l’inquiétude des agents, des sociétés privées considèrent le sentiment d’insécurité des territoriaux comme un marché d’avenir.


Permanence psychologique

A Chelles (Seine-et-Marne), la municipalité a fait appel à un presta­taire pour assurer l’accompagnement psychologique de ses 925 agents. Spécialiste du management, cette société assure des permanences psychologiques. En outre, à la ­demande de la direction des ressources humaines, elle effectue des audits suivis de formations dans les services. Les lacunes des formations initiales constituent une préoccupation largement partagée par les chefs de service et les syndicalistes.

Nous devons systématiquement approfondir la formation des policiers municipaux à l’usage des armes. Si nous dégainons à tout propos, nous risquons de déclencher des situations ingérables pouvant déboucher sur des faits très graves.

Pierre Juste, chef de la police de Caen

Pour sa part, la CFDT s’inquiète du manque de formation et de protection des aides à domiciles, des gardes-malades et des employés de services à domicile.

Dominique-OlivierDes centaines de milliers de personnes travaillent quasiment sans statut, sans contrôle et sans soutien.

Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT, chargé des questions de santé au travail

Le changement de mentalité relève toujours d’un travail de longue haleine.

Il y a une trentaine d’années, il arrivait aux travailleurs sociaux de faire le coup-de-poing. Aujourd’hui, nous avons appris à régler les situations avec des mots et nous n’avons pas à déplorer d’incidents.

Jean-Pierre Crare, directeur du CCAS de Calais

Les points clés

Insécurité Sauf dans de rares cas d’agressions avérées, le sentiment d’insécurité témoigne plus d’un malaise des agents que d’un danger réel.Reconnaissance Les agents demandent à la collectivité de prendre en compte leurs craintes et de mettre en place des procédures d’accompagnement psychologique et juridique.Qualité Les équipes les plus susceptibles de se retrouver en conflit avec le public travaillent sur la qualité de l’accueil et du dialogue, afin de prévenir les tensions.


« Nous sommes allés à la rencontre des habitants »

Quand nous avons été confrontés à des graves incidents à la fin des années 90, nous sommes allés à la rencontre des habitants des quartiers sensibles sous l’impulsion du colonel Corack. Le contact humain entretenu en amont des situations de crises constitue une très bonne technique de prévention. Ce n’est pas toujours facile, car il faut de la patience pour gagner la confiance des gens. En plus des actions d’information, nous avons recruté 400 jeunes de ces quartiers avec des contrats emplois-solidarité agrémentés d’un engagement de pompiers volontaires, validés par un CAP d’agent de prévention et de sécurité incendie.

Jacques Cousin, lieutenant-colonel des pompiers de l'Oise

Sites à risques et métiers sensibles

Voie publique

Si les agents de la propreté sont occasionnellement pris à partie, ceux chargés du contrôle du stationnement payant sont quotidiennement victimes d’insultes. Face à ce problème, la ville de Chelles a ­engagé, au début de cette année, une action d’accompagnement psychologique adaptée.

Services sociaux

Les travailleurs sociaux, et tout particulièrement les agents chargés des questions de logement, sont confrontés à une agressivité qui va croissant avec la dégradation des conditions de vie. Ils souffrent d’autant plus de cette situation qu’ils sont frustrés de ne pas pouvoir aider leurs interlocuteurs et qu’ils ne bénéficient pas, eux-mêmes, de conditions de vie mirobolantes.

Michel Bonneu, directeur des services au public, à Caen

L’inadéquation des mesures de prise en charge dans les foyers départementaux de la jeunesse explique une augmentation de 80 % de la délinquance des jeunes. Nous devons gérer, dans les mêmes établissements, des jeunes victimes de sévices et d’autres présentant des pathologies d’agresseurs. Certaines catégories d’agents, comme les éducatrices et les personnels d’entretien qui, étaient jusqu’alors préservés, sont victimes d’agressions et vivent dans la peur.

Andrée Gouret, déléguée de la CFDT santé social au conseil général d'Ille-et-Vilaine

Plusieurs éducatrices ont ainsi été agressées par des parents révoltés par les décisions du juge pour enfants.

Services de sécurité

Dans la police municipale, l’appréhension du risque dépend, en grande partie, des directives des élus concernant les missions de prévention ou de répression confiée aux agents.

Nous sommes formés à aborder les personnes agressives de manière à faire tomber les tensions. En dix ans de carrière, je ne me suis sentie en danger que lors de la tempête de 1999, à cause des éléments et non des êtres humains.

Marie-Christine Bigaud, brigadier-chef à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine)

A Dole (Jura), dans les périodes de crise, les policiers municipaux, qui interviennent ostensiblement aux côtés des forces de l’ordre dans des opérations de police judiciaire, ôtent leurs uniformes pour se rendre dans les centres sociaux des quartiers sensibles.

Pompiers

Les violences urbaines ne régressent pas en dépit de statistiques rassurantes. De plus, la présence de la police pouvant constituer un facteur d’agressivité supplémentaire, les pompiers entendent prendre en charge leur propre protection. Le CNFPT s’apprête à généraliser des formations aux techniques d’évitement basées sur des attitudes qui n’accroissent pas l’agressivité.


Les syndicats mettent en cause les conditions de travail

« C’est le métier », « Cela arrive »…

En outre, la ­violence subie, l’agent agressé se trouve parfois confronté à une banalisation confinant au déni. Les syndicats, qui admettent n’avoir pris conscience du problème que récemment, mettent en cause la dégradation des conditions de travail ouvrant la voie au stress et aux violences, ainsi qu’un manque de structure où s’exprimeraient solidarité, écoute et prévention.

Philippe-BouvierLa violence au travail est directement liée à la dégradation des conditions de travail. Nous regrettons tout particulièrement les restructurations, qui privilégient l’individualisation au détriment des collectifs de travail.

Philippe Bouvier responsable du collectif santé de la CGT

L’agent victime d’une agression doit se sentir soutenu. Or le comité d’hygiène et de sécurité, qui devrait constituer un lieu d’écoute, de débat et de proposition, est court-circuité.

Dominique Bacha, conseillère confédérale de SUD-collectivités territoriales

La CFDT confirme une forte demande syndicale au sujet de la violence au travail.

L’individu se sent démuni face à une agression. Il faut mettre en place une réponse collective qui ne se résume pas à une approche psychologique. Nous demandons des adaptations dans l’organisation, dans le management, voire dans le dispositif technique pour prévenir les violences. Certes, la prévention a un coût. Mais les agressions constituent un tel préjudice humain et financier que la prévention vaut toujours mieux que la réparation.

Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT chargé des questions de santé au travail


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Pascale Braun

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