Co-auteur du Platt lorrain pour les Nuls (1), Hervé Atamaniuk voit dans la préservation du dialecte francique une impérieuse nécessité et une précieuse passerelle vers l’allemand et le luxembourgeois. Intervenant à l’Université de Lorraine, il défend les langues, officielles ou non, au nom du dialogue entre les cultures.
Comment jugez-vous la position de Jean-Pierre Masseret, président du conseil régional de Lorraine, qui s’est prononcé pour la non ratification par le gouvernement de la charte européenne sur les langues régionales et minoritaires ?
Cette position me paraît incompréhensible. Elle témoigne d’une volonté de confiner le Platt à un usage folklorisant et va à l’encontre de l’engagement du Président de la République. Il s’agit à mon sens d’une erreur stratégique. Jean-Pierre Masseret a sous-estimé le fait que le Platt reste un marqueur d’identité dans la frange germanophone de la Lorraine et il heurte la sensibilité des Alsaciens sur la question. Il s’agit même d’une double erreur, car il ouvre ainsi une brèche à son rival alsacien favorable à la charte. Il est sans doute sincère, mais son choix témoigne d’une méconnaissance de la situation. La question de l’identité est centrale au sein de la future grande région. Les langues en présence – l’alsacien et le francique, mais aussi le roman (le welsch en Alsace) tout comme les langues non territorialisées comme le yiddish ou les langues issues de la migration en font partie intégrante.
Depuis 20 ans, l’Alsace a mis en place sous l’impulsion d’Adrien Zeller, aujourd’hui décédé, une série d’outils pour la transmission de la culture alsacienne et allemande. Les Alsaciens se demandent aujourd’hui si cet héritage pourra être sauvé. La réponse est bien sûr affirmative, mais ignorer la langue comme marqueur identitaire peut conduire à un repli sur soi potentiellement violent.
Le Platt a-t-il une place entre la Frankreichstrategie de la Sarre et la Stratégie Allemagne de la Lorraine ?
La Frankreichstrategie sarroise est pour nous autres français un miroir extraordinaire et nous interroge sur notre propre capacité au multilinguisme. Elle s’appuie sur l’histoire européenne du Land. Quand Stefan Toscani, ministre de l’Economie et de l’Europe du Land de Sarre, s’exprime – dans un français parfait -, il rappelle qu’il parle allemand, français et Platt. Les Lorrains ont plus de difficulté à revendiquer leur langue régionale. Or, le Platt constitue une passerelle précieuse vers le Hochhdeutsch et le Luxembourgeois. On n’a jamais parlé aussi bien l’allemand en Moselle que lorsque l’on y parlait bien le Platt.
En outre, il ne suffit pas de dire qu’il faut apprendre l’allemand pour trouver du travail. Il faut rendre l’apprentissage de la langue attrayant, rappeler que nous sommes imprégnés de cette culture germanique. On fait tout l’inverse depuis 50 ans. Nos amis sarrois encouragent l’apprentissage du français non seulement parce qu’il s’agit d’une langue universelle, mais surtout parce que c’est la langue qui les relie culturellement à leurs voisin. L’apprentissage commence à la maternelle de manière ludique, par des chansons et des comptines.
Comment le Platt peut-il survivre et prospérer ?
Il y a un grand travail d’explication à faire pour préserver les langues et inviter les personnes à continuer à le transmettre, qu’elles soient nationales, régionales ou locales. Le jacobinisme s’est construit contre les provinces et a imposé l’idée simpliste du français comme seule langue universelle, sacralisant ce parler et portant l’anathème sur toutes les autres langues en présence. Dans les années 70 est apparue la notion de diversité culturelle, surtout défendue par la gauche intellectuelle. C’est une idée essentielle et qui est la clef de voûte de la construction européenne et de la Charte. Mais cette valorisation des cultures en présence ne vaut que si les cultures peuvent dialoguer entre elles. Il faut que les enfants puissent parler Platt, arabe, yiddish ou kurde, mais il faut surtout qu’ils puissent parler entre eux, faute de quoi la langue devient un élément d’enfermement identitaire.
Pour valoriser un multilinguisme toujours présent en Lorraine, je préconise que l’on ajoute un feuillet au carnet de naissance des enfants pour dire à leurs parents : « si vous parlez une langue, parlez-là à votre enfant, qu’il s’agisse d’une langue régionale comme le Platt ou d’une autre », et leur donner des conseils pour une éducation bilingue. Grâce à une bonne prise en compte des langues en présence, les Luxembourgeois parviennent bien à être trilingues, voire quadrilingues. Pourquoi n’y parvenons-nous pas ? Parfois, il ne sert à rien d’inventer des méthodes, il suffit de copier les bonnes pratiques de nos voisins…
(1) Le Platt lorrain pour les Nuls, par Hervé Atamaniuk, Marielle Rispail et Marianne Haas-Heckel, First Editions, 2012.
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