Contrevenant au Code rural, Henri Boguet a interdit l’usage des néonicotinoïdes dans son village de Fontoy. En quarante-sept ans de mandat, le médecin n’a jamais craint d’être à contre-courant.
Un tuteur jaune surmonté d’une abeille égaye le bureau du premier magistrat de Fontoy (3.000 habitants en Moselle). Au milieu des affiches de défense de la chasse, des céramiques de la Révolution française ou du défilé de Saint-Cyriens, l’objet ne constitue qu’un indice des passions d’Henri Boguet. Mais celui-ci conduira sous peu le maire devant le tribunal administratif de Strasbourg.
En décembre 2016, l’édile a signé, en contradiction avec le Code rural, un arrêté interdisant l’usage des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles sur son ban communal. Il l’a ensuite maintenu en dépit des injonctions du sous-préfet de Thionville, qui lui rappelait que seul l’Etat peut en prononcer l’interdiction.
En tant que médecin, je suis convaincu que la toxicité de ces produits met en péril le monde des abeilles, le personnel agricole qui les manipule et les riverains qui les inhalent. La loi n’est pas claire : nous sommes responsables de l’état sanitaire de notre environnement, mais nous sommes en infraction lorsque nous prenons des arrêtés visant à le défendre.
Henri Boguet
Un combat de principes
A soixante-dix-huit ans, dont quarante-sept ans de mandat, le maire de ce village de la vallée de la Fensch ne recherche ni gloire ni provocation. Eloigné des réseaux sociaux, il a appris incidemment que son initiative lui avait valu une pétition de soutien signée par 54.400 personnes sur Facebook.
C’est un combat de principe . On se demande quel intérêt défend le sous-préfet, puisque la nocivité de ces produits n’est pas contestée et qu’à Fontoy, personne ne s’est plaint de cet arrêté.
Maître Etienne Couronne, avocat de la commune
Dans le village, les agriculteurs assurent ne pas utiliser cette famille de pesticides. Les apiculteurs y sont les bienvenus.
Désastre post-minier
A la sortie du village, le nouveau lotissement du Pogin, richement arboré, témoigne également de l’opiniâtreté du maire. L’écoquartier doit son émergence à un désastre post-minier. Expertisée par les services de l’Etat en 2002 suite aux affaissements survenus dans l’ex-bassin ferrifère, la commune s’est avérée quasi inconstructible. Pire, 17 maisons récentes et intactes ont dû être démolies, le sous-sol présentant un risque d’effondrement brutal. La situation avait inspiré à Henri Boguet une phrase qui estomaqua les autres maires de la vallée de la Fensch.
Si on avait su ce que les mines nous réservaient, au lieu de manifester contre leur fermeture, nous aurions défilé pour qu’elles ferment plus tôt.
Henri Boguet
Pour reloger les sinistrés et assurer à sa commune une ultime possibilité d’extension, le maire a négocié la transformation d’une parcelle agricole de 20 hectares en zone constructible de très haute qualité environnementale . Il a d’abord placé la barre si haut que les promoteurs ont boudé le projet. Endettée, la commune a revu ses exigences à la baisse, sans pour autant transiger sur les grands principes environnementaux.
Chasse gardée
Elu en 1974 dans une vallée ouvrière alors majoritairement communiste, Henri Boguet n’a jamais fait mystère de ses convictions gaullistes. Il est plus enclin à célébrer le mois de mai 1958, date du retour du Général, que celui de la décennie suivante. Fils d’un médecin de campagne et père d’un médecin militaire, il est né en 1940 à Hayange, alors territoire allemand. Il garde un souvenir net de la Libération et des Américains traversant Fontoy, tandis que les soldats allemands s’enfuyaient dans la vallée.
Village-frontière en 1871, la commune conserve la mémoire et les stigmates de l’Annexion. En ce matin de juin 2018, Henri Boguet vient d’apprendre que le monument des Fusillés du Conroy, abattus par les Allemands le 26 août 1914, a été détérioré. Le regard du petit homme s’assombrit.
C’est une honte. On n’a pas le droit de renier son histoire.
Henri Boguet
Réélu sans discontinuer avec au minimum 61 % des voix, Henri Boguet dit être entré en politique comme on entre en médecine – ou en religion. Sa décision de ne pas se représenter en 2020 paraît récente. En revanche, après une période de retraite, il a revissé sa plaque de médecin à l’automne 2017, après les départs successifs de plusieurs confrères. Certains détracteurs évoquent une chasse gardée, d’autres pointent un fonctionnement autocratique. Nul ne conteste la modernisation et l’embellissement du village, mais d’aucuns aimeraient voir le maire lever plus souvent la tête vers la grande image d’Epinal qui surmonte son bureau. Un jeune Poilu timide y demande gentiment à une rangée de gradés : « Vous permettez, les aînés ? »
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