Directeur administratif du théâtre Eurodistrict Baden Alsace (BAAL), Guido Schumacher a vécu l’ouverture du théâtre binational à Neuried fin septembre 2019 comme une consécration. Comédien et metteur en scène, titulaire d’une maîtrise de langues obtenue à Nantes, d’un master de management culturel décerné par l’université de Kaiserslautern et d’un diplôme de traducteur – interprète décroché à Sarrebruck, il s’implique depuis 2014 dans l’édification de passerelles théâtrales entre l’Allemagne et la France.
Le théâtre Eurodistrict BAAL, dont la direction artistique est assurée par Edzard Schoppmann, emploie une quinzaine de personnes qui jonglent avec les langues pour estomper les frontières culturelles et linguistiques.
Le théâtre Eurodistrict Baal a pris possession fin septembre de sa nouvelle salle dans les locaux du Forum européen du Rhin à Neuried. Que vous apporte ce nouveau lieu ?
L’apport est considérable : nous étions une troupe sans théâtre et ne disposions que de petits locaux à notre siège d’Offenbourg ou de salles prêtées. Pendant des années, nous sommes allés vers le public. Aujourd’hui, nous pouvons inviter nos partenaires à venir nous voir.
A l’heure où la tendance est plutôt à baisser les subventions et à fermer les théâtres, nous sommes très fiers d’être parvenus à en faire ouvrir un. Comme le projet remonte à 2012, notre directeur artistique Edzard Schoppmann a eu le temps de mûrir le concept de la salle. Nos 150 places se répartissent en cinq niveaux, avec une vue plongeante sur la scène. Hautement démocratique, la forme d’amphithéâtre inverse la perspective habituelle.
Le théâtre est implanté dans un édifice de format européen à l’architecture unique : le Forum européen a été conçu par l’architecte Jurgen Grossmann, originaire de la région et connu dans le monde entier, qui y a implanté son agence. Le bâtiment en forme de bateau se situe en bordure du Rhin, au bout du pont Pflimlin. Les berges elles-mêmes constituent le point de départ de promenades transfrontalières. Dans le théâtre Eurodistrict BAAL et son environnement, tout est symbolique.
Vous présentez jusqu’au 4 avril 2020 la neuvième édition du festival Allez Hop. Quelle place ce festival franco-allemand jeune public occupe-t-il dans votre programmation ?
Ce travail théâtral transfrontalier fait partie de notre ADN. Le spectacle permet aux enfants de se décomplexer et de constater combien la langue du voisin est belle. Cette année, nous proposons deux nouvelles productions, Zora Chabottée et Raus aus dem Haus, et nous invitons d’autres compagnies dont les strasbourgeois Tohu Bohu, les badois Junge BLB et le théâtre de marionnettes Gregor Schwank de Freiburg. Soutenu, côté français, par l’Office pour la langue et la culture d’Alsace (Olca) et par le conseil régional du Grand Est, il voyage dans le Haut-Rhin, dans le Bas-Rhin et dans le Bade-Wurtemberg, dans des environnements très différents. Nous nous adaptons aussi bien aux villes qu’au monde rural. Nos spectacles se produisent pour partie dans des structures professionnelles, mais nous jouons aussi dans des églises ou dans des salles communales pas toujours chauffées où nous devons monter le décor nous-mêmes.
Allez Hop reflète notre travail. Ce festival demande beaucoup de travail et génère peu de recettes. Nous assurons 34 représentations dans 15 villes de part et d’autre de la frontière. La fréquentation dépend de la capacité des salles et on ne peut guère demander aux enfants une participation de plus de six euros. Voici deux ans, nous avons organisé des ateliers avec les enfants, notamment sur le thème du paradis, qu’ils n’imaginent pas du tout comme peuvent le faire les adultes. Leurs réponses ont alimenté nos recherches et inspiré des décors que nous avons ensuite intégré à nos spectacles. Nous apportons beaucoup de soin aux spectacles pour enfants. Il faut se souvenir que c’est peut-être la dernière fois qu’ils verront une pièce de théâtre.
Quels sont vos objectifs vis-à-vis du public adulte ?
Dès les débuts de notre compagnie en 2005, nous avons estimé que notre travail ne s’arrêtait pas à la frontière et que nous ne pouvions pas nous limiter à un public exclusivement français ou allemand. Il a donc fallu trouver des concepts fonctionnant dans les deux pays : de l’expression non verbale, des chanteurs d’opéra, des performances… En 2019, nous avons pour la première fois fait appel à la langue alsacienne, également en partenariat avec l’Olca, grâce à la trilogie théâtrale « Histoires contre l’oubli » rédigée par l’écrivain alsacien Pierre Kretz. « D’fàmeli Strumpfmann » raconte l’histoire d’un ancien Malgré-Nous qui découvre la modernité dans les années 50 et 60. Ce travail, cofinancé par le Land du Bade-Wurtemberg, nous a conduits à collecter les témoignages d’une génération qui est en train de disparaître et à compulser les archives. Comme nous n’avions pas encore notre salle, nous nous sommes produits en plein air. Les sept premières représentations ont affiché complet. Les spectateurs allemands ont été ravis de découvrir la vision alsacienne de l’histoire, qu’ils ne connaissaient pas. Cette production ne pouvait naître qu’ici, car les Allemands comprennent la langue alémanique.
Comment espérez-vous aujourd’hui développer vos coopérations transfrontalières ?
Fin septembre 2019, notre semaine inaugurale a été marquée par de grands moments qui ont conforté l’importance et la visibilité du seul théâtre binational d’Europe. Nous avons créé pour l’occasion la production « La symphonie du Rhin ou l’apprivoisement d’un sauvage », où un corbeau relate l’histoire rhénane depuis l’époque romaine jusqu’au Parlement européen. Le final a été très émouvant, car le public a repris en choeur l’Hymne à la joie. A cette occasion, nous avons voulu offrir aux collectivités présentes un grand bouquet transfrontalier en présentant notre théâtre comme un laboratoire culturel, économique et politique. Le Land du Bade Wurtemberg, qui est notre premier partenaire, l’a bien compris. Nous avons également le soutien des maires du Landkreis Ortenau. Dans cet espace, nous assurons chaque année 51 représentations communes dans 35 communes. Les politiques nous voient comme le théâtre du district, mais aussi comme des pionniers de la médiation franco-allemande. L’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau soutient notre projet depuis 2016 en nous demandant d’assurer 15 représentations en France et 15 en Allemagne, pour un budget de 60.000 euros. Côté français, le Grand Est subventionne la création et la diffusion de certaines de nos productions et s’engage via l’Olca. Ce soutien reste limité et le Bade-Wurtemberg ne peut pas tout financer. J’espère que la région Grand Est découvrira notre salle et la verra comme un nouvel outil culturel binational.
Propos recueillis par Pascale Braun
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