La Française de l’énergie, qui estime à 60 milliards de mètres cubes le potentiel gazier des veines de charbon non exploitées de l’ancien bassin houiller lorrain, voit dans la guerre en Ukraine un argument supplémentaire pour exploiter cette ressource en circuits courts.
La forte tension sur le gaz provoquée par le conflit ukrainien peut-elle relancer la filière lorraine ? Haut lieu de l’extraction charbonnière durant 150 ans, l’ancien bassin houiller de l’est mosellan recèle encore un énorme gisement de gaz dans les profondeurs de ses veines de charbon inexploitées.
Candidate à la captation de cette manne, la Française de l’Energie (FDE), qui a succédé en 2015 au groupe australien European Gas limited, attend impatiemment une réponse à la demande de concession qu’elle a déposée fin 2018, sur la base d’un gisement attesté de 6,7 milliards de mètres cubes.
Cinq forages réalisés entre 2007 et 2017 lui ont permis d’évaluer le volume global à 60 milliards de mètres cubes, soit l’équivalent de 10 ans de la consommation de gaz en France. La FDE se propose de valoriser ce gaz en circuits courts, à l’échelle régionale et transfrontalière.
Dossier inflammable
Les délais d’instruction de tels dossiers se montent d’ordinaire à trois ans, mais la crise sanitaire – ainsi que l’inflammabilité du dossier, dans un bassin houiller encore profondément marqué par les séquelles environnementales de l’extraction minière -, font tarder la décision.
Mais la guerre en Ukraine offre aujourd’hui à la FDE des arguments de poids en faveur d’une autorisation.
Nous disposons en Lorraine de l’une des plus importantes ressources d’Europe de l’Ouest et des études démontrent que l’usage de ce gaz présente une empreinte carbone dix fois moindre que celle du gaz russe. Dans le contexte actuel, son exploitation relève du simple bon sens.
Julien Moulin, PDG de la FDE
Concession bleue
Le mode d’exploitation envisagé n’a rien de commun, ni avec l’extraction charbonnière, qui supposait le creusement de larges galeries, ni avec le gaz de schiste obtenu par fracturation de la roche. La technique proposée par la FDE consiste à réaliser des forages verticaux semblables à ceux de l’eau potable à 1.000 mètres de profondeur, puis à faire circuler des drains horizontaux d’un diamètre de 15 centimètres dans la veine de charbon pour y capter le gaz, sans créer de gros vides. Le risque d’affaissements miniers semble donc écarté.
Sur le périmètre de la concession demandée, qui englobe 191 kilomètres carrés répartis sur 40 communes de l’Est mosellan, la « concession bleue lorraine » divise élus et habitants. L’enquête publique lancée fin 2019 fait apparaître 83 % d’avis défavorables sur les 530 observations déposées. Les inquiétudes portent essentiellement sur l’impact des forages sur l’eau et le risque de fuite de méthane.
Souveraineté
La FDE oppose à ses détracteurs le rapport de la Dreal, qui a jugé le dossier recevable, et un mode d’exploitation qui a fait ses preuves en Australie, au Canada ou en Afrique du sud. En novembre dernier, 66 élus – députés, sénateurs, eurodéputés, maires – ont signé une tribune s’opposant à l’exploitation d’une nouvelle source d’hydrocarbures contraire à l’objectif de sortir de la dépendance aux énergies fossiles .
Sur place, le projet trouve des soutiens.
Cela répond à notre volonté de souveraineté et à notre politique de diversification, qui nous a conduit à installer des éoliennes, du solaire thermique et des méthaniseurs sur notre territoire. Nous aurons encore besoin de gaz durant vingt ou trente ans et celui qui se trouve sous nos pieds permettra à nos entreprises de s’approvisionner en énergie à un coût maîtrisé.
François Lavergne, président du district urbain de Faulquemont
A 300 kilomètres de l’Est mosellan, l’association des communes minières de France, basée à Liévin, se dit également favorable à la valorisation du gaz de houille. Filiale à 100 % de la FDE, Gazonor exploite 70 millions de mètres cubes de gaz dans l’ancien bassin minier des Hauts-de-France et 6 millions de mètres cubes en Wallonie.
Labellisée Greenfin France Finance Verte, cette production diffère de celle envisagée en Lorraine. Il s’agit en l’occurrence de capter, dans des veines déjà exploitées, du grisou qui s’échapperait de toute manière dans l’atmosphère. La ressource est utilisée sous forme d’électricité verte et de chaleur. La ville de Béthune compte alimenter prochainement sa chaufferie par du gaz de méthane, moyennant une baisse d’au moins 10 % de sa facture énergétique.
Détenue à 54 % par des investisseurs institutionnels français, à 34 % par des familles industrielles et les salariés et à 12 % par des actionnaires individuels, la FDE a investi 40 millions d’euros en 10 ans dans ses forages lorrains. Cotée en Bourse depuis 2016, elle affiche pour 2021 un chiffre d’affaires de 10,2 millions d’euros qu’elle espère tripler cette année. Dopé par le stress énergétique mondial, le cours de son action a bondi de 87 % au cours des six derniers mois.
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