Consul général de France en Sarre depuis septembre 2012, Frédéric Joureau quittera ses fonctions au 31 août 2016 pour assurer la direction des relations internationales de l’Autorité de sûreté nucléaire. Le diplomate revient sur quatre années de coopération constructive entre la Sarre et ses voisins français.
Le consulat général de France en Sarre constitue l’un des quatre consulats français dits « d’influence ». Comment avez-vous perçu cette mission ?
La notion de consulat d’influence résulte d’une réforme des réseaux consulaires français en 2005. La France compte désormais en Allemagne deux consulats de plein exercice assurant les formalités administratives et quatre consulats d’influence chargés d’une mission politique de coopération. Celui de Sarrebruck revêt une importance politique évidente compte tenu de nos relations mouvementées avec la Sarre au cours des 100 dernières années. Depuis le rattachement du Land à l’Allemagne en 1955, la Sarre est devenue un laboratoire de la coopération franco-allemande et accueille plusieurs institutions importantes. L’ancien lycée français de Sarrebruck est devenu le plus abouti des trois lycées franco-allemands existant, avec un enseignement dans les deux langues dès le niveau quatrième. Depuis 13 ans, l’Université franco-allemande regroupe les coopérations universitaires, mais aussi celles établies avec les grandes écoles. Par ailleurs, le Secrétariat franco-allemand organise la mobilité entre enseignants français et allemands dans les établissements d’enseignement professionnels.
J’ai pris mes fonctions en septembre 2012, tandis que la Sarre s’apprêtait à célébrer les 50 ans du Traité de l’Elysée. Cette période s’est avérée particulièrement riche, avec tout d’abord, le spectacle de la compagnie Die Redner, qui mettait en scène les discours du Général de Gaulle à la jeunesse allemande, puis l’année franco-allemande qui a organisé 300 manifestations portées par la Sarre en 2013 avec l’appui de la société civile. Cette année a constitué le point de départ de la Frankreichstrategie, à laquelle j’ai été associé, et qui doit faire de la Sarre un espace multilingue d’ici à 2043.
Avez-vous assisté à des avancées au cours des quatre dernières années ?
Oui. Au regard de la situation générale de l’Union européenne, tout particulièrement après le Brexit, la coopération entre la Sarre et ses voisins relève clairement de ce que Robert Schumann appelait « l’Europe des projets ». Au cours des trois dernières années se sont développées des initiatives concrètes qui présentent une incidence pour le quotidien des citoyens. Il s’agit essentiellement d’unifier le marché du travail pour permettre aux jeunes chômeurs de Moselle, dont le nombre a atteint 22 %, d’accéder aux 4 000 à 5 000 places que le marché sarrois pourrait leur proposer. Le bureau de placement transfrontalier instauré fin 2012 poursuit cet objectif et les premiers chiffres font état d’un taux de placement de 60 %. Ce très bon chiffre indique que ce service est parvenu à décloisonner le marché du travail en ouvrant les perspectives d’un emploi en Sarre à des jeunes qui n’auraient pas postulé spontanément. L’accord-cadre conclu en juin 2014 a rencontré un succès moindre, avec seulement 14 contrats d’entreprise signés en deux ans. Je citerai également l’Ecole transfrontalière de la Deuxième chance qui a remporté de très bons résultats en dépit de financements fragiles.
Avez-vous assisté à des reculs de la coopération ?
Non, mais je perçois des dangers. Il me semble nécessaire d’introduire dans les régions frontalières un droit à l’expérimentation. Les Etats devraient accepter de renoncer à une partie de leur capacité juridique et accepter de créer un droit spécifique pour permettre à la coopération de surmonter certains obstacles. Le tram-train Sarreguemines-Sarrebruck, qui constitue l’une des lignes les plus anciennes entre les deux pays, a failli fermer en 2013 pour des questions fiscales. Parcourant 16 km en site propre, puis en site partagé avec le réseau ferroviaire classique, elle ne comporte qu’un kilomètre en France. Lors de son lancement, elle a été exonérée de fiscalité, mais les taxes n’ont pas tardé à la rattraper et sont passées de 40 000 à 200 000 euros par an. Dans ces conditions, l’exploitant sarrois, la Saarbahn, a failli en arrêter l’exploitation, au moment précis où se concluait l’accord de formation transfrontalière pour les apprentis. Un accord sur trois ans a été signé pour sauver la ligne, mais il faudra le renégocier en fin d’année.
La coopération sanitaire ne se trouve-t-elle pas dans l’impasse ?
Plus tout à fait. Une zone organisée d’accès aux soins transfrontaliers (Zoast) est en cours de négociation pour mettre en réseaux six établissements hospitaliers dont quatre en Moselle (Forbach, Freyming-Merlebach, Sarreguemines et Saint-Avold) et deux en Sarre, la clinique du Winterberg à Sarrebruck et l’hôpital privé à but non lucratif de Volklingen. A l’origine de ce projet se trouve le partenariat en matière d’urgences cardiaques signé en décembre 2013 entre les établissements de Forbach et de Saint-Avold et l’hôpital de Volklingen. Cette convention, qui permet le traitement des urgences en Sarre, puis les soins de suite en Moselle, a certainement sauvé des vies. La Zoast doit s’étendre à de nouvelles pathologies (1), mais le projet achoppe encore sur le problème des circuits de remboursement entre un interlocuteur unique côté français, la Caisse nationale d’assurance maladie, et les nombreux organismes côté sarrois. En novembre 2015, la ratification a échoué car les partenaires sarrois exigeaient la mise en place de circuits courts côté français. C’est désormais chose faite, mais de nouvelles exigences portent cette fois sur des autorisations préalables d’admission – ce qui s’avère incompatible avec le principe d’une Zoast. Nous ne sommes plus très loin du déblocage, mais il faut que les caisses allemandes reviennent à la raison.
Dans quels domaines la coopération vous semble-t-elle la plus porteuse et la plus nécessaire ?
Sans aucun doute, le moteur de la coopération transfrontalière avec la Sarre doit être économique. On ne peut pas développer les champs de coopération indépendamment les uns des autres. Il faut un chapeau économique commun pour créer de la croissance et de l’emploi dans les deux régions. Les pôles de compétitivité transfrontaliers dans les domaines de la Silver économie, de l’automobile et de la cyber-sécurité peuvent y contribuer par leur effet démultiplicateur. Si ces partenariats créent de l’emploi, les autres coopérations s’imposeront comme autant d’évidences : il faudra plus de transports, plus d’échange, plus de culture…
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