Né au Brésil de parents d’origine luxembourgeoise, Fred Entringer a intégré la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette en 2014 en tant que coordonnateur pédagogique. Un concours de circonstances l’a conduit à initier le festival Urban Art, qui a fait fleurir 70 fresques murales et essaimé quatre festivals gratuits dans dix villes de quatre pays.
Transfrontalier dès son origine, Urban art se recentre aujourd’hui dans sa ville d’origine dans la perspective d’Esch 2022.
Esch-sur-Alzette vient d’être désignée pour les Best Practices Awards décernée par l’organisation internationale Cités et Gouvernements Unis (CGLU) à Mexico City pour son implication dans l’art urbain. Quel rôle le festival Urban Art a-t’il joué dans cette consécration ?
Considéré comme un exemple unique de musée à ciel ouvert, le projet Kufa’s Urban Art Project s’est trouvée au centre de cette reconnaissance internationale, dans un concours qui réunissait des centaines de villes du monde entier. Le choix s’explique par l’engagement d’Urban Art en faveur d’une ville plus inclusive et plus participative. Notre projet a également fait évoluer la vision de l’art urbain, qui est désormais moins stigmatisé. A Esch, les gens ont compris qu’il s’agit de faire de l’espace public un lieu d’expérimentation et d’expression citoyenne.
Etait-ce l’ambition que vous poursuiviez lors du lancement d’Urban Art ?
Pas du tout. Le projet initial était très peu ambitieux. Il s’agissait de décorer les murs de la Kulturfabrik, qui étaient gris et décrépis, pour exprimer le bouillonnement culturel qu’ils abritaient. En ce début 2014 se trouvaient réunis par hasard à Esch une professeure qui voulait faire participer ses élèves à un atelier d’art urbain, deux artistes polonais et italien qui souhaitaient faire une intervention murale et le centre culturel européen Pierre Werner, basé à Luxembourg, qui programmait un colloque sur ce thème. C’est ainsi que s’est constitué le triptyque démarche pédagogique – création artistique – sensibilisation à l’art urbain qui caractérise Urban Art aujourd’hui encore.
Le premier festival s’est monté en quatre mois. Des jeunes en difficultés sociales et scolaires ont été invités à visiter les sites historiques et les vestiges sidérurgiques de la ville, puis à les reproduire sous forme de pochoirs, de graffitis ou de collages sur les murs de la Kufa. Les enseignants ont été impressionnés par la motivation et la créativité de jeunes qui paraissaient jusqu’alors difficiles à encadrer. Leurs créations sont toujours visibles à la Kufa. Nous avons organisé un festival de clôture qui a rencontré un tel succès que la Kufa a décidé de poursuivre l’aventure.
Comment le festival a-t ’il évolué jusqu’à impliquer 125 partenaires institutionnels, 3.500 participants, dix villes et quatre pays au cours des cinq années suivantes ?
En 2015, comme nous n’avions plus de murs disponibles, nous avons demandé aux élus d’Esch-sur-Alzette d’ouvrir l’espace public au muralisme. Ils se sont d’abord montrés méfiants, puis ils ont accepté. La commune frontalière de Villerupt a également sollicité les artistes pour une fresque consacrée à son célèbre festival du film italien. Les journalistes ont visité les premiers circuits transfrontaliers de fresques et la médiatisation a suscité l’intérêt de nouvelles communes dont Etelbruck, Niederanven et Wiltz au Luxembourg, Trèves en Rhénanie-Palatinat, Thil et Longwy en Meurthe-et-Moselle et Herserange en Belgique. Urban Art a créé un musée à ciel ouvert. L’édition de 2017 a marqué une apogée : le programme avait pris la proportion d’un livre, une vingtaine de villes se disaient intéressées et les participants aux réunions de travail étaient si nombreux qu’il fallait ouvrir notre salle de concerts pour les accueillir ! Même en y affectant quatre personnes, dont deux salariés à temps plein, la Kulturfabrik ne pouvait plus gérer Urban Art à elle seule. C’est pourquoi nous avons proposé d’inscrire la suite dans un projet Interreg.
Comment avez-vous vécu le « no go » prononcé par la commission Interreg V A en novembre 2017 ?
Ce rejet, qui intervenait après une phase de Go, a constitué une énorme déception. Nous avons cru que des mois de travail allaient partir directement à la poubelle. Cela n’a pas été le cas, car les réflexions menées nous ont aidés à formaliser la suite du projet. Mais nous avons raté l’occasion de créer dans la Grande Région le plus grand parcours d’art urbain du monde, avec toutes les retombées touristiques et économiques qu’il aurait généré.
Qu’elles sont aujourd’hui les priorités d’Urban Art ?
Les citoyens, qui se trouvaient jusqu’à présent placés devant l’œuvre accomplie, sont désormais invités à s’exprimer en amont. Nous avons fait appel au cabinet luxembourgeois Socialmatter, spécialisé dans les projets à impact social, pour savoir ce que les riverains et les passants de tous âges apprécient dans leur ville et ce qu’ils voudraient voir changer. Des échanges ont eu lieu avec les artistes à l’occasion de « Urban Nights » dans quatre cafés de la ville.
La réalisation des projets sera également plus participative. Ils impliqueront aussi bien des personnes âgées ou handicapées que des demandeurs d’asile et des lycéens de filières ordinaires. Les 40 fresques qui constellent la ville et retracent en partie son passé serviront de support pédagogique pour les enfants. Elles seront consignées sous la forme d’un cahier de coloriage distribué gratuitement à tous les écoliers de primaire pour renforcer leur connexion à la ville.
Quel sera l’apport d’Urban Art au programme d’Esch 2022 ?
Il est encore trop tôt pour le dire, car les projets sont en plein négociation. Il est certain que nous allons développer des approches plus fonctionnelles répondant à des commandes spécifiques. Nous avons déjà commencé avec l’enseigne qui indique l’entrée de la canisette de la place de Brill. Il s’agit à la fois d’un pictogramme et d’une œuvre d’art lumineuse impossible à rater. Pour la période 2019/2020, nous avons d’autres projets d’interventions artistiques pour réaménager des placettes oubliées ou des tunnels mal éclairés. Nous envisageons la création de mobilier urbain ou de circuits des œuvres à travers les parcs de la ville. Ce processus évolutif et perpétuel suppose un gros travail technique et logistique, en concertation avec les services paysagistes et les architectes de la ville. Nous avons également conclu une convention avec les CFL pour transformer la gare d’Esch d’ici à 2022. Dix artistes locaux et internationaux en feront un bâtiment digne d’accueillir cette manifestation européenne. Les projets ne sont pas encore actés, mais le fil rouge est trouvé : il s’agit de montrer qu’Esch est une ville créative, inspirante et multiculturelle. Le travail que nous avons amorcé se poursuivra après 2022. Nous avons du plain sur la planche, mais nous avons de bonnes bases pour aller encore plus loin.
Propos recueillis par Pascale Braun
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