Diplômée de philosophie, d’histoire de l’art et de biologie, Françoise Hervé a fait de la sauvegarde de la beauté de sa ville, Nancy, ainsi que de sa région, son cheval de bataille. Depuis trente ans, elle lutte pied à pied sans craindre de se mettre promoteurs et architectes à dos.
Une alliance certes, mais pas une allégeance. Françoise Hervé a rejoint en janvier 2014 la liste UDI de Laurent Hénart, bien décidée à faire respecter leur accord point par point. Elle souhaite notamment refondre le plan de déplacements urbains, remplacer le tramway sur pneu par un tram ferré, réviser le secteur sauvegardé et relancer une architecture contemporaine respectueuse de l’héritage patrimonial de la ville. En 30 ans de confrontations avec André Rossinot, maire de Nancy de 1983 à 2014, l’élue a eu tout loisir de méditer sur l’inutilité de la position d’opposante. Quatre fois tête de liste, elle a forgé son armure et démontré une ténacité hors pair.
Pendant cinq mandats, j’ai été la voix discordante du conseil municipal. On a voulu me cantonner au patrimoine et donner de moi une image négative, mais je n’ai pas lâché prise et tout ce que j’ai prédit s’est réalisé.
Françoise Hervé, diplômée d’histoire, d’histoire de l’art, de philosophie et de biologie
Cheveux gris coupés court, sans maquillage, vêtue de coton clair, Françoise Hervé évoque de prime abord une nonne-soldate. Elle reçoit place Stanislas, splendide quadrilatère néoclassique où se sont déroulés bon nombre de ses combats. Arrivée de Dijon en 1952, la petite fille alors âgée de 9 ans a été subjuguée par les statues, les ferronneries dorées et les fontaines de la place. En janvier 1975, elle a effectué ses premiers faits d’armes au Musée des beaux-Arts en organisant, au grand dam de l’équipe municipale de l’Hôtel de ville tout proche, une exposition intitulée « Vie et mort de Nancy ». Etayée par 500 plans et photos, la manifestation traduisait plusieurs années d’activisme patrimonial. Depuis son retour de l’université de Fribourg en 1972, l’ex-lectrice en langue française a sillonné la Vieille ville et le quartier Charles III pour prévenir les habitants des ardeurs dévastatrices des promoteurs.
Françoise Hervé m’a impressionné par son érudition et sa force de caractère. Elle est imbattable dans sa connaissance de l’urbanisme, de l’architecture et de l’histoire. Rien ne l’arrête : elle traverse des barricades et mène des guérillas avec une incomparable force de persuasion.
salue aujourd'hui Jack Lang, qui a grandi, étudié et enseigné à Nancy où il a été témoin et soutien des luttes contre la destruction du patrimoine Art nouveau de la ville
La Croisée du patrimoine a su s’entourer d’autres alliés dont l’architecte Jean Prouvé, le prince de Beauveau-Craon – dont la famille réside encore dans le château de Haroué près de Nancy -, le préfet Jean Rochet,en poste en Meurthe-et-Moselle de 1972 à 1977 ou encore, le secrétaire d’Etat à la Culture Michel Guy.
Ces soutiens ont joué un rôle décisif dans la nomination de Françoise Hervé au poste d’inspecteur général des sites en 1977. Nommée en Lorraine tandis que la direction de l’Architecture aurait préféré expédier le trublion dans le Massif central, Françoise Hervé a guerroyé durant 31 ans pour la protection du patrimoine urbain et naturel lorrain, parvenant à protéger ou à classer quelque 25 000 hectares. Elle n’a pas craint d’affronter les élus et de défier l’administration pour contrer les projets de routes et d’autoroutes, de lotissements et de coupes à blanc, de gravières et de décharges.
Lorsque la beauté est menacée, mon sang ne fait qu’un tour. Nous étions confrontés à des ministères techniques qui étaient nos ennemis, des ingénieurs des Ponts et chaussées, puis du Génie rural, qui rasaient les paysages. Il a fallu persuader les maires. Il est difficile de les contraindre, car l’Etat et devenu peureux. Un préfet ne va pas à l’encontre d’un maire.
Françoise Hervé qui « voit » dans la beauté l'autre nom de Dieu et n’hésita pas à qualifier un conservateur régional des bâtiments de France de « chiffe molle dans un gant de fer»
Le conseil municipal a constitué le théâtre d’autres batailles, souvent vaines. André Rossinot ne souhaite pas commenter trois décennies de cohabitation forcée avec celle qu’il qualifiait, plus brutal que taquin, de « Mademoiselle Hervé » ou « vieille copine ». Françoise Hervé a combattu dès ses prémisses la mise en service du premier tram sur pneu de France qui faisait la fierté du maire de Nancy. Le 8 décembre 2000, tandis que l’engin arrivait piteusement à son inauguration tracté par une dépanneuse, Françoise Hervé distribuait des tracts dénonçant « un faux tramway pour le prix d’un vrai » – cruelle prémonition que quinze années de rafistolage sont venues confirmer.
Aucune grande réalisation de l’ère Rossinot ne trouve grâce aux yeux de l’ancienne opposante. François Hervé, qui avait exhumé un plan d’urbanisation des rives de Meurthe envisagé par l’architecte Lecreulx en 1763, se dit déçue par la réalisation de l’urbaniste-paysagiste Alexandre Chemetov. La requalification, par le même maître d’œuvre, du Plateau de Haye, le quartier populaire des hauteurs de la ville, ne l’enthousiasme pas davantage. L’architecte Marc Barani obtient une mention passable pour sa récente transformation de l’ancien centre de tri postal en espace de congrès, mais le projet de Jean-Marie Duthilleul, maître d’ouvrage de l’écocité Nancy Grand Cœur (15 hectares autour de la gare) lui paraît sans âme. Elle ne pardonne pas la destruction intégrale de la prison Charles III, vestige de l’architecture saint-simonienne et haut lieu de la déportation.
« Toute transformation du paysage est devenue aujourd’hui, sauf exception, une détérioration : déchirure d’un tissu, appauvrissement des composantes des lieux, prolifération maligne d’éléments exogène », écrivait Françoise Hervé dans la Revue des Deux Mondes en mars 2002.
Mais sa plume sait aussi se faire douce et guillerette lorsqu’elle évoque les plantes et les animaux. Certains de ses discours ont le charme et la verve de nouvelles d’Alphonse Daudet lorsqu’elle conte les joutes héroïques qui permirent à quelques arpents de jardins, parcs et vieilles pierres de résister face au béton. Dans ses tiroirs dorment livres pour enfants qui gagneraient à être publiés. La philosophe se régale de poésie et cultive amoureusement un jardin de banlieue.
Ses nouvelles fonctions n’ont guère modifié le quotidien de cette travailleuse acharnée arrivée au conseil municipal en terrain connu. Des orages menacent déjà à propos du Musée lorrain, concentré du patrimoine de la Renaissance en cours de restauration.
Françoise Hervé trouve du soutien lorsqu’il s’agit du patrimoine 1900, mais elle a mené ses autres combats seule ou par le biais d’actions juridiques très pointues. A l’instar de Jeanne d’Arc, elle est animée par une foi extraordinaire, mais ses troupes sont réduites. Le pouvoir en place accepte de l’entendre, mais les Jeanne d’Arc gagnent rarement lorsque le pouvoir change d’avis.
l’écologiste Pierre Christophe, témoin avisé de la vie politique nancéienne
Ce nouveau combat n’effraie pas Françoise Hervé.
Dates
- 1943 : Naissance à Beaune
- 1977 : Nommée inspecteur régional des sites de Lorraine.
- 1983 : Aux municipales, sa liste obtient 6,4 % des voix. Elue de la liste
- 1989 : Elue conseillère municipale sur la liste d’André Rossinot.
- 1995 : Conduit une liste contre André Rossinot (15 % au premier tour, 28 % au second).
- 2001 : Sa liste remporte 17 % au premier tour, puis 13 % au second tour.
- 2008 : Sa liste « la ville rassemblée » remporte 15 % au premier tour et 8,7 % au second.
- 2014 : Rejoint la liste de Laurent Hénart, successeur d’André Rossinot (52 % des voix au second tour). Devient septième adjointe en charge de la valorisation de Nancy, du Patrimoine et du secteur sauvegardé.
25 000 hectares protégés ou classés dont :
Les abords de la place Thiers à Nancy. La Brasserie de l’Excelsior a constitué la première victoire emblématique de Françoise Hervé en tant que militante du patrimoine en 1974. Le périmètre de l’extension de la place Thiers englobait d’autres chefs d’œuvre Art nouveau dont la salle Poirel et les locaux de la chambre de commerce et d’industrie.
Parcs et châteaux. Au titre d’inspecteur général des sites de Lorraine, Françoise Hervé a obtenu la protection du château de Gerbéviller, de son parc et des quatre kilomètres de la vallée de la Mortagne qui l’entoure. A Fléville, elle a fait classer 300 hectares attenant au château Renaissance, ainsi que le château d’Haroué et la vallée du Madon.
Lacs et étangs. Dans les Vosges, 900 hectares ont été sauvegardés tout au long du lac de Longemer, haut lieu du tourisme vert. En Meuse, l’étang de Lachaussée, créé en 1273, est désormais inscrit au patrimoine national et abrite une réserve naturelle.
Bourgs et vallées. Les habitants de Neufchâteau (Vosges) lui doivent l’inscription du centre urbain, qui a permis la création d’un secteur sauvegardé. La vallée du Vair et le Ballon de Rouge-Gazon, dans les Vosges, et la vallée de la Canner, en Moselle, ont eux aussi été inscrits.
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