Les forestiers privés organisent des convois d’épicéas entre les Vosges et les Landes pour écouler leur bois hors des marchés saturés du Grand Est. Le ministère de l’Agriculture débloque 16 millions d’euros pour les aider à surmonter la crise sanitaire des scolytes et à préparer le reboisement.
A force de ronger l’écorce des épicéas du Grand Est, les scolytes auront ouvert une nouvelle route du bois. Depuis cet automne, des convois ferroviaires relient la gare de Raon-l’Etape, au coeur du massif vosgien, à la plate-forme de Smurfit Kappa, qui produit des papiers d’emballage à base de cellulose de pin à Facture, dans les Landes.
Ce parcours de 1.000 kilomètres engendre un surcoût évalué à 20 euros par mètre cube, mais les sylviculteurs vosgiens y voient l’exutoire salutaire d’un marché local terriblement saturé. Depuis l’automne 2018, les petits coléoptères ont détruit 3 millions de mètres cubes de résineux dans le Grand Est et en Bourgogne. A la faveur d’étés secs et d’hivers doux, ils ont également contaminé les forêts frontalières d’Allemagne, de Suisse, d’Autriche et du Benelux. Seule la façade ouest de la France, qui ne s’est pas encore remise des dégâts de la tempête Klaus en 2009 et manque de matière première, est susceptible d’importer du bois.
Aide d’urgence
Après quelques prospections exploratoires en camion, la coopérative Forêts & Bois de l’Est, qui regroupe 6.000 propriétaires sur 80.000 hectares, a organisé des expéditions en train, désormais hebdomadaires.
Nous avons démontré nos capacités d’organisation, mais il reste à rendre l’opération économiquement viable. Nous avons obtenu une première aide et espérons pouvoir compter sur un soutien pérenne pour surmonter la crise.
Alain Jacquet, directeur général de la coopérative
Forêts & Bois de l’Est emploie 120 salariés à Epinal pour un chiffre d’affaires de 42 millions d’euros en 2018.
En octobre, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a annoncé une aide de 16 millions d’euros dont 6 millions d’euros pour limiter le surcoût du transport et 10 millions d’euros pour anticiper le reboisement.
Un fléau impalpable
Ce soutien logistique conduit les forestiers du Grand Est à élargir leur prospection auprès d’autres d’industries de Nouvelle-Aquitaine (construction, etc.), mais l’incertitude subsiste quant à la tournure que prendra la crise sanitaire l’an prochain.
En 1999, quand la tempête Lothar a abattu 32 millions de mètres cubes de bois, nous avons pu définir des priorités et nous organiser. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un fléau impalpable qui nous oblige à travailler sur des hypothèses.
Alain Jacquet
Les scientifiques considèrent la crise des scolytes comme un phénomène cyclique qui se résorbera au cours des deux ou trois années à venir. Mais dans l’intervalle, entre 2 et 6 millions de mètres cubes supplémentaires auront été détruits. L’attaque du scolyte n’est visible que lorsque l’arbre est mortellement atteint, environ un mois après l’infestation. Le coléoptère invite dans son sillage un champignon qui teinte l’écorce et la surface extérieure du tronc d’une teinte bleuâtre peu prisée dans le bois d’oeuvre.
La crise du scolyte nous fait toucher du doigt les conséquences du et accélère la recherche sur les techniques de reboisement. De nombreux laboratoires publics et privés travaillent à sélectionner les nouvelles essences susceptibles de mieux résister au réchauffement au cours des 50 ou 100 prochaines années.
Bertrand Servois, président de l'Union de la coopération forestière française
Ilots d’avenir
Dans le Grand Est, l’ONF lance par conséquent un programme expérimental sur cent îlots de deux hectares de forêts publiques et privées. Dix nouvelles essences essentiellement méditerranéennes – cinq types de feuillus et cinq espèces de résineux – entreront en culture dans les conditions ordinaires. Quelque 300.000 arbrisseaux, dont des sapins de Cilicie d’origine turque, des chênes zéens courants en Algérie et en Espagne ou encore des calocèdres américains, seront invités à faire leurs preuves dans les massifs du Grand Est.
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