Il y a plus de dix ans, la Meuse postulait à l’implantation d’un laboratoire de l’Andra.
Depuis 1993, le département accueille sur son territoire un établissement d’intérêt national. Cette manne ne garantit pas forcément un développement plus dynamique.
Quel département pauvre et faiblement peuplé ne rêverait pas d’un chantier d’intérêt national générateur d’une manne annuelle de près de 10 millions d’euros ? En 1993, la Meuse a pris le pari d’accueillir dans le village de Bure (430 hab.) le laboratoire souterrain de recherche sur l’enfouissement de déchets hautement radioactifs. Réalisé sous la maîtrise d’ouvrage de l’Agence nationale pour le retraitement des déchets radioactifs (Andra), le projet lancé en août 1999 a déjà englouti 249 millions d’euros, mais les élus restent circonspects quant à son impact sur l’économie locale.
Les fonds d’accompagnement ont permis à la Meuse de rattraper partiellement son retard en termes d’infrastructures, sans pour autant générer de projets structurants. Accumulant les retards, le laboratoire de l’Andra sera, par ailleurs, dans l’incapacité de boucler le programme scientifique initialement prévu. Le résultat des recherches servira néanmoins de base à un débat parlementaire prévu par la loi « Bataille » sur la gestion des déchets radioactifs.
Chargé de gérer les fonds d’accompagnement du projet, le groupement d’intérêt public (GIP) Objectif Meuse dispose, pour la période 1999-2006, d’une dotation annuelle de 9,14 millions d’euros essentiellement abondée par l’Andra sous le contrôle de l’Etat. Affectés au développement économique et local, aux infrastructures, au soutien au développement touristique et à la notoriété du département, ces fonds peuvent financer jusqu’à 80% des projets sur la zone de proximité englobant les cantons de Montiers-sur-Saulx, Gondrecourt-le-Château et Ancerville (Meuse) et Poissons (Haute-Marne).
Emploi en berne
Les communes, qui ont assuré les deux tiers de la maîtrise d’ouvrage, ont engagé 70% des montants qui leur étaient alloués, soit 4 millions d’euros en 2003, passés à 7 millions en 2004. Parmi les principales réalisations figurent 35 réhabilitations de mairies, 7 salles polyvalentes, la création d’une vingtaine de logements communaux ou encore, la restauration de 142 monuments. Mais les communes n’ont porté aucun projet d’envergure et peinent à mobiliser l’intégralité des subventions potentielles.
En moyenne, 30% des projets restent à notre charge. Or les recettes fiscales des communes du sud meusien ne leur permettent pas d’engager de grosses dépenses. De surcroît, il subsiste une incertitude quant à la pérennité de la manne au-delà de 2006. Dans ces conditions, mieux vaut éviter les projets pharaoniques et privilégier l’entretien du patrimoine.
Robert Fernbach, maire d’Houdelaincourt
Président du conseil général de la Meuse depuis mars 2004, Christian Namy a décidé d’infléchir cette politique de saupoudrage.
A l’avenir, j’entends affecter 80% des fonds à de grands projets tels la réfection des collèges et la maillage routier du département.
Christian Namy
Même déception sur le plan de l’emploi. En 2000, l’Andra engage les travaux de forage de deux puits. Mais, en 2002, à la suite de l’accident mortel d’un employé, elle est contrainte d’interrompre ses travaux durant un an. Le drame, qui a rendu obsolète l’échéancier des études, a également compromis les espérances de la Meuse en termes d’emploi : durant un an, le site, qui occupait 300 salariés, a été déserté. Les recrutements ont repris au début de 2003 pour se stabiliser à 348 salariés. Le laboratoire aurait ainsi généré environ 10% de l’emploi local. Mais les élus soulignent une augmentation de près de 13,6% de chômage dans l’arrondissement de Commercy entre octobre 2002 et octobre 2003.
Prévu dans la loi « Bataille », le projet de pôle scientifique à proximité du laboratoire laisse également un souvenir amer. A la suite des travaux de l’Association pour la création du pôle scientifique et technique (ACPST), la Mission pour l’implantation des laboratoires de recherche souterrains avait présenté, au début de 2003, deux axes de recherche : un centre d’expérimentation souterrain à usage des entreprises du bâtiment et des travaux publics et des industries d’extraction, et un projet de fibres optiques et capteurs pour la surveillance des eaux.
Nous avions identifié vingt-trois entreprises ou opérateurs susceptibles de participer aux opérations de pilotage des deux projets, dont l’étude mobilisait un investissement de 3 millions d’euros. Ces fonds sont encore disponibles, mais le projet reste sans réponse depuis plus d’un an et les équipes et partenaires potentiels se sont envolés.
Bernard Féry, coordinateur de la mission
Christian Namy dénonce, pour sa part, « un échec complet ».
Contestation antinucléaire
En dépit de ses efforts d’information, le comité local d’information et de suivi (Clis) de Bure constate une relative indifférence de la population meusienne pour les projets de l’Andra. Le site s’est, en revanche, imposé comme une place forte européenne de la contestation antinucléaire.
En termes d’image, l’implantation d’un laboratoire de recherche s’avère bien plus négative que celle d’une centrale nucléaire.
Benoît Jacquet, secrétaire général du Clis
Au sentiment de dépréciation du site s’ajoute, même pour les partisans initiaux du projet, le sentiment d’avoir été floués : « l’Andra a présenté le laboratoire comme un impératif scientifique. Or, elle nous affirme aujourdhui que les retards accumulés dans la recherche pénaliseront à peine le débat ! » . S’il n’y a, en théorie, aucune automaticité entre la recherche sur l’enfouissement des déchets radioactifs et la création d’un centre de stockage, les opposants n’en dénoncent pas moins, de longue date, un « pseudo-laboratoire » annonciateur d’une décharge nucléaire à plus ou moins brève échéance.
Nous nous opposerons absolument à la mise en place de quoi que ce soit sans débat national préalable. L’expérience meusienne prouve que le débat local s’évère cher et inefficace. Il faut resituer le débat dans un cadre politique et national.
Christian Namy
D’ici à 2006, trois hypothèses se profilent : celle d’un moratoire qui mettrait un terme aux travaux du laboratoire ; celle du lancement d’un centre de stockage ; et, enfin, celle de la prolongation des recherches. Le conseil général défendra cette troisième solution.
Les réussites
- En cinq ans, le département a perçu 45 millions d’euros qui lui ont permis d’engager quelques projets d’aménagement du territoire
- Le chantier emploie près de 350 ouvriers qui génèrent une activité économique supplémentaire
Les écueils
- Les retombées en termes d’emploi local sont très faibles
- Le projet ne s’inscrit plus dans l’esprit de la loi « Bataille »
- L’image du sud meusien s’est dégradée
Comparaison devenue sans objet
La loi « Bataille » , du 30 décembre 1991, prévoit la création de deux laboratoires d’enfouissement permettant de comparer les propriétés de confinement de l’argile et du granit. Le 3 août 1999, l’Andra obtient par décret l’autorisation d’implanter et d’exploiter un laboratoire dans le sous-sol argileux de Bure. Mais, compte tenu de l’hostilité des riverains de l’ouest de la France, elle n’a trouvé aucun site acceptant le lancement de recherches en sous-sol granitique. Le débat parlementaire prévu au début de 2007 s’ouvrira donc forcément sur des bases tronquées.
Un faible impact sur l’économie locale
Les fonds d’accompagnement mobilisés pour implanter, dans le village de Bure (430 hab.), le laboratoire de recherche sur l’enfouissement des déchets hautement radioactifs ont permis à la Meuse de rattraper partiellement son retard en termes d’infrastructures. Pour autant, aucun projet structurant n’a été mis en oeuvre.
Consultation lancée en septembre
Dans un rapport sur « le stockage géologique, l’entreposage et la transmutation des déchets radioactifs », rendu le 15 mars, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques à l’Assemblée entérine le principe du stockage géologique d’ici à 2020-2025. Il préconise donc de choisir un site d’entreposage de longue durée. Par ailleurs, Patrick Devedjian, ministre délégué à l’Industrie, ainsi que le député (UMP) Serge Pelletier ont saisi la Commission nationale du débat public pour une consultation, en septembre, sur « les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs à activité moyenne, à activité haute et à vie longue ».
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