Contribution du Land de Sarre à l’Année européenne du patrimoine culturel 2018, l’exposition Resonanzen témoigne d’une utopie architecturale oubliée. De 1945 à 1965, les architectes français ont exprimé dans ce Land dévasté au statut incertain l’envie de reconstruire de manière à la fois pragmatique et visionnaire.
Discrètement insérée entre la rivière et un grand parc paysager, l’ex-ambassade de France en Sarre témoigne par son existence même d’un projet politique franco-allemand aussi ambitieux qu’éphémère. De 1945 à 1955, la Sarre envisagea de renaître sous la forme d’un Etat indépendant, à l’instar du Luxembourg. Accompagnant cette utopie, l’administration française a confié à l’architecte Georges-Henri Pingusson la conception d’une ambassade avant-gardiste à l’esthétique soignée. Le lieu accueille aujourd’hui et jusqu’30 novembre 2018 l’exposition Resonanzen.
Les partenaires du projet ont réussi à faire de ce bâtiment élégant un lieu d’accueil et d’échange. Il n’avait pas de meilleur endroit pour retracer l’impulsion d’une coopération qui visait à refaire l’histoire. Dans ce petit coin d’Europe, les frontières ne devaient plus séparer les Etats, mais créer des passerelles.
Ulrich Commerçon, ministre de l'Education et de la Culture de la Sarre
Le 28 septembre 2018, le vernissage de l’exposition a permis de retracer l’histoire du lieu, mais aussi de la pensée qui a précédé sa construction et essaimé de nombreux autres bâtiments, dont le très symbolique émetteur grandes onde d’Europe 1 à Uberherrn, sur la frontière franco-allemande.
La reconstruction de la Sarre commence des 1945/1946, sous l’impulsion du gouverneur militaire Grandval qui fédère les initiatives d’architectes et d’urbanistes français dont Georges-Henri Pingusson, mais aussi Marcel Roux et Edouard Menkès ou Jean Prouvé.
Dans cette Europe de l’immédiat Après-Guerre, la reconstruction est une priorité. Les maisons préfabriquées de Jean Prouvé et de Raymond Camus y jouent un rôle déterminant. L’usine forbachoise de l’entreprise Dietsch produit sous licence eds pièces préfabriquées de grande taille qui intégreront les grands chantiers de construction de Behren, près de Forbach, ou du quartier de Folsterhöhe près de Sarrebruck. Les décennies 50 et 60 voient également naître un nouvel art sacré, avec les églises en béton rondes de Sarre et de Moselle.
En 1946, la Sarre était considéré comme étant un eldorado potentiel pour des innovations, pour la réalisation d’un urbanisme contemporain. Lorsque la Sarre a retrouvé une organisation politique, vers 1949, les rapports des urbanistes français avec les Sarrois sont devenus plus tendus. Il était difficile d’imposer des vues trop futuristes à une population traditionaliste qui sortait de guerre et restait encore très marquée par le Troisième Reich.
Jean-Michel Helwig, architecte forbachois et membre du Deutscher Werkbund Saarland
Pingusson a démissionné en 1949 pour devenir l’architecte départemental de la Moselle. Il ne sera pas rappelé en Sarre mais sera chargé du projet de construction de l’Ambassade de France. Le bâtiment est à peine achevé lorsqu’en 1955, les Sarrois votent par référendum leur rattachement à la République fédérale allemande.
L’ambassade de France à Sarrebruck présente une haute portée symbolique et chargée d’émotion. Elle rappelle l’idée européenne de la Sarre, mais témoigne aussi d’une occasion manquée. Tout comme lors du référendum de 1935, le petit Land portait sans doute une utopie trop grande pour lui.
Rainer Hartz, photographe et historien
Un vaste réseau transfrontalier s’est mobilisé pour organiser Resonanzen, inscrit soutenu par les fonds Interreg Grande Région, par le ministère fédéral de la Culture et des médias et par le ministère de l’Education et de la culture de Sarre. Porté par l’institut pour une esthétique stratégique K8, l’exposition s’est appuyée sur le travail patrimonial du Deutscher Werkbund, mais aussi sur les archives modernes d’architecture en Lorraine (Amal), les archives départementales de Metz et de Saint-Avold, la Drac Grand Est, le Luxembourg Centre of Contemporary and Digital History de l’Université de Luxembourg.
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