En dépit de plusieurs investissements massifs, la filière régionale s’inquiète de la multiplication de difficultés chez ses équipementiers.
Les courriers d’élus et de syndicalistes lorrains s’amoncellent sur le bureau de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde. Denis Jacquat, député UMP de la Moselle, plaide la cause du site messin de PSA. L’usine de Borny (2 000 salariés) craint pour son avenir si elle n’est pas retenue pour assembler le prochain modèle de boîtes de vitesses du constructeur. Les députés PS Jean-Yves Le Déaut et Christian Eckert interpellent, eux, le gouvernement pour signaler 310 emplois perdus parmi les sous-traitants du bassin de Villers-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle). Quant à la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, elle a alerté la ministre de la situation de Safe Automobile, qui risque de perdre 80 emplois à encore Villers-la-Montagne.
Les appels à l’aide reflètent l’inquiétude des Lorrains face aux aléas de l’automobile. Le secteur fournit 35 000 emplois dans la région, en perte de vitesse. Bien sûr, il y a des sites qui marchent fort comme Smart à Hambach (Moselle), Sovab à Batilly (Meurthe-et-Moselle) ou PSA à Trémery (Moselle). Le premier a investi 18 millions d’euros dans son usine mosellane pour construire la version électrique de sa citadine. Renault a injecté 151 millions d’euros dans l’usine de Sovab pour y fabriquer le modèle X 62, dernière génération de son utilitaire Master. Et PSA Trémery, spécialisé dans la fabrication de moteurs, a bénéficié de 200 millions d’euros d’investissement pour lancer une nouvelle génération de moteurs essence à 3 cylindres pour équiper les petites Peugeot et Citroën.
Ces bonnes nouvelles masquent le décrochage de plus petits acteurs. Evobus, la filiale de Daimler qui assemble des autobus et des autocars, a subi plusieurs arrêts de production au cours des trois derniers mois. En cause ? La baisse des commandes. Le sort de l’usine, qui emploie 400 salariés à Ligny-en-Barrois (Meuse), pourrait empirer. Le groupe entend regrouper son activité peinture en Allemagne, à Ulm. Mais la direction certifie que cela ne devrait pas avoir d’incidence sur le site meusien.
Les 300 sous-traitants de la région, dont les deux tiers emploient moins de 100 salariés, subissent eux aussi une pression croissante des donneurs d’ordres. Laissé exsangue par la crise de la sidérurgie, puis les ratés de l’ère Daewoo, le bassin de Longwy (Meurthe-et-Moselle) se trouve une nouvelle fois en première ligne des restructurations. À Villers-la-Montagne, les déboires du groupe Sealynx Automotive, propriétaire depuis trois ans d’une usine de 70 salariés, se solderont bientôt par le licenciement de plus de la moitié de l’effectif.
Principal client de l’entreprise, la filiale vendéenne du groupe allemand Webasto doit reprendre courant avril 35 salariés de ce site qui employait encore 250 personnes à la fin des années 1990. Voisin de Sealynx, Eurostamp, qui emploie 350 personnes dans la fabrication de pièces embouties pour l’automobile, a supprimé 90 postes. L’usine, qui recourt largement aux heures supplémentaires et à l’intérim, a connu en mars un blocage dû à des revendications salariales. Toujours sur cette même zone industrielle, le plasturgiste MGM, sous-traitant d’équipementiers, a été liquidé courant mars après une première saignée qui avait supprimé la moitié de l’effectif de 90 personnes.
En Moselle, Safe Automotive, qui emploie 320 salariés à Hagondange, se trouve en redressement judiciaire depuis janvier. Fondée par Renault en 1930 pour assurer la fabrication de ses tôles, l’usine fournit aujourd’hui encore 40 % de sa production au constructeur en perte de vitesse en France.
Nous avons été asphyxiés par la non-répercussion de la hausse des tarifs de la matière première, qui représente 55 % de nos coûts, la politique de prix bas imposée par les constructeurs depuis plusieurs années et des difficultés d’organisation en interne.
Claude Callier, secrétaire CGT du comité d'entreprise de Safe Automotive
Deux candidats, le groupe français Farinia, qui prévoit 79 licenciements, et le métallurgiste italien Bifrangi, qui n’a pas encore affiné le volet social de sa proposition, restent en lice pour la reprise du site.
En expansion continue, l’usine Thyssenkrupp Presta France, qui emploie plus d’un millier de salariés dans son usine de colonnes de direction de Florange (Moselle), fait figure d’exception. « Les sous-traitants de grands constructeurs allemands ou ceux de PSA, qui maintient sa production en France, se portent plutôt bien. Ceux de Renault souffrent davantage, car le constructeur a fortement délocalisé et cherche ses partenaires à proximité des sites de montage. Les sous-traitants de capacité, fragilisés par les appels d’offres continuels, subissent des contraintes de plus en plus fortes et doivent faire face aux risques de délocalisation », analyse Jean-Pierre Lucas, président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) de Moselle et de Lorraine.
À la recherche de solutions
Pour limiter la casse, le conseil régional de Lorraine compte mobiliser des fonds spécifiques. Le fonds lorrain des matériaux ou le fonds de consolidation devraient être mis à contribution mais ces dispositifs ne conviennent guère aux entreprises en grande difficulté. L’UIMM, lui, voit dans les actions de formation collectives et les aides à l’innovation de possibles remèdes.
La crise financière est sans doute terminée pour certains, mais les pertes de parts de marchés sont réelles et les sous-traitants continuent d’en payer les pots cassés. Les équipementiers jouent de la menace de délocalisation et en profitent pour dégraisser.
Patrice Magnette, responsable de l'union locale CGT de Meurthe-et-Moselle
À une vingtaine de kilomètres de Trémery, l’usine PSA de Borny, dans la banlieue de Metz, devient, à son corps défendant, une sorte de symbole. Elle est en ballottage avec le site de Valenciennes (Nord) pour décrocher la fabrication de la boîte de vitesses à double embrayage (un investissement de 240 millions d’euros). Attendue depuis plus de six mois, la décision sera connue au plus tard cet été. La direction de l’usine confirme que ce projet constituerait un challenge technologique stimulant, mais assure que le choix de Valenciennes ne compromettrait pas le site mosellan, qui a fêté fin mars sa quarante-millionième boîte de vitesses. Les syndicats se montrent moins optimistes… en soulignant le risque d’obsolescence et de déclassement d’une usine vieille de quarante ans.
20 000salariés travaillent pour des constructeurs ou des sous-traitants automobiles en Lorraine.
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