Autour de Verdun, les petits villages rescapés de la Grande Guerre sont confrontés à une nouvelle menace. L’eau se raréfie et la sécurisation de la ressource suppose des chantiers colossaux à l’échelle d’un territoire où la densité n’excède pas 15 habitants au kilomètre carré.
Pour l’instant, je suis à l’équilibre. Mais la météo n’annonce pas de pluie, alors je ne suis pas tranquille…
Alain Jeannesson, maire de Neuvilly-en-Argonne
Chaque matin, Alain Jeannesson refait ses calculs. Les 218 habitants de Neuvilly-en-Argonne, dans la Meuse, consomment quotidiennement 50 mètres cubes d’eau. En cette mi-juillet, les trois sources forestières du village apportent une quantité suffisante, grâce au petit coup de pouce de la mairie. Tous les matins, dimanches et jours fériés compris, l’ouvrier communal place une motopompe dans la rivière. Les agriculteurs arrivent en tracteur pour remplir leurs citernes et abreuver les vaches, qui boivent 60 litres par jour. Ils sont parfois rejoints par des particuliers venus puiser de quoi arroser leur jardin.
Facture salée
Ancien militaire, élu sans discontinuer depuis 2001, Alain Jeannesson n’a pas attendu l’avis de vigilance du 16 juillet sur le bassin Aisne-Amont pour interdire le lavage des véhicules et des trottoirs. Pour l’heure, l’eau coule au robinet. Mais, l’automne dernier, la sécheresse, qui a perduré jusqu’en décembre, a tari les sources. Les habitants ont parfois dû se contenter d’un mince filet d’eau au robinet, voire attendre toute la nuit que le château d’eau se recharge. En novembre 2018, la commune à sec a affrété un camion-citerne de la coopérative laitière voisine pour recharger l’édifice. L’eau est revenue – au prix d’une facture salée : 17 euros le mètre cube, contre 1,35 euro facturé à l’habitant.
A 600 euros le ravitaillement, heureusement que ça n’arrive pas trop souvent, parce qu’on mangerait la grenouille.
Alain Jeannesson
Mais, depuis 2015, les périodes de sécheresse sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Autour de Verdun, les petits villages rescapés de la Grande Guerre sont confrontés à la nouvelle menace du manque d’eau. Presque toutes décorées de la croix de guerre et reconstruites vaille que vaille après les destructions massives, ces communes sont trop isolées pour disposer d’un syndicat des eaux et trop pauvres pour renouveler des canalisations vieilles d’un siècle. Disséminées dans les paysages forestiers de l’Argonne, elles abritent principalement des retraités. Les écoles ferment, les téléphones captent mal, les GPS perdent la connexion, Internet rame… Un manque d’eau serait le coup de grâce.
Distribution de bouteilles
Le problème n’est pas vraiment nouveau. Le sous-sol de l’Argonne recèle depuis une centaine de millions d’années de la gaize, une roche très particulière qui rend l’eau turbide. En certains points, le gaz sarin utilisé au cours de la Grande Guerre continue à polluer les sources. Le réchauffement climatique n’arrange rien : cette année, la canicule a fait chuter le débit des cours d’eau et le taux d’humidité des sols a chuté de moitié. En cas de pénurie, l’Agence régionale de santé du Grand Est met en place des solutions d’urgence : remplissage des châteaux d’eau par citerne alimentaire, recours à des sources de secours de moindre qualité, voire distribution d’eau en bouteille.
Mais la sécurisation de la ressource suppose des moyens d’une tout autre envergure.
Dans cette intercommunalité de 7.500 habitants, où la densité culmine à 15 habitants au kilomètre carré, le diagnostic mis en oeuvre par l’Agence de l’eau Seine-Normandie a mis en exergue des problèmes de qualité ou de quantité dans chacun des 38 villages.
L’approvisionnement en eau est une obligation, quelle que soit la taille de la commune. La loi Notre donne aux élus le temps de se préparer aux futures compétences des intercommunalités.
Alexandre Rochatte, préfet de la Meuse
Bénévoles
Mais, l’an dernier, l’intercommunalité a refusé de se saisir de la compétence obligatoire en eau, préférant jouer du délai légal qui court jusqu’en 2026. Jaloux de leurs prérogatives, les maires craignent aussi de faire exploser leurs factures.
La communauté de communes fera appel à des entreprises spécialisées qui coûteront plus cher et seront certainement moins réactives que les bénévoles des villages.
Jean-Pierre Delandre, maire de Vauquois
Cette commune de 25 habitants en comptait 168 avant que la Première Guerre mondiale ne la réduise à une termitière arasée par les bombes. A cette aune, les soucis de sécheresse paraissent un moindre mal.
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