Après des années d’abandon, l’église de fer de Crusnes (Meurthe-et-Moselle) va être restaurée. Les travaux vont démarrer fin mai ou début juin: c’est ce que vient d’annoncer la Direction des affaires culturelles (Drac) de Lorraine.
Lieu de culte des mineurs, la « casserole » embarrassait l’évêché. De loin, la seule église de fer d’Europe paraît être construite en bois. La rouille a bruni, rongé, perforé l’édifice que les mineurs de Crusnes avaient fièrement érigé dans le matériau du pays. La porte en fer grince; les vitraux bleus et roses, ébréchés, laissent passer trop de jour; l’armature métallique entretient une atmosphère glaciale même au printemps. Mais les habitants de Crusnes ont toujours défendu ce vestige de leur âge du fer.
Perdu entre les deux rivières, la Meurthe et la Moselle, à quelques kilomètres du Luxembourg, Crusnes ne comptait que 323 habitants au début du siècle. Les paysans, pour certains expropriés par la mine ouverte par la famille de Wendel, ont vu arriver sans bienveillance les ouvriers lorrains, italiens et polonais qui, dès 1914, se sont installés dans la cité rectiligne construite au pied de la mine, à deux kilomètres du coeur du vieux village. En 1936, Crusnes compte 2 212 habitants. Le village et la cité s’ignorent. Bien que ferventes, les familles de mineurs boudent l’ancienne église exiguë et éloignée. La cité se dote alors d’une salle très polyvalente: lieu de culte le matin, théâtre, cinéma ou lieu de réunion le soir.
En 1938, les mineurs revendiquent une vraie église. Charles Benoît, le maître de forges, ne se fait pas prier: deux de ses neuf enfants sont prêtres. La famille de Wendel commande aux établissements Fillod un prototype entièrement construit en plaques de tôle érigé au pied de la cité. L’église est conçue pour être reproduite dans les colonies africaines. Les vitraux figurent sainte Barbe, la patronne des mineurs, saint Nicolas, patron de la Lorraine, mais aussi saint Bobola et saint Stanislas, témoins de la piété des Polonais.
Nous avons inauguré notre église le 29 mai 1939. La fête que nous avons faite! Durant tout l’hiver, les jeunes filles avaient fabriqué des roses en papier pour les tresser autour des mâts de cocagne, devant l’église.
Georgette Lecomte, 75 ans, actuelle présidente de l'association des amis de Sainte-Barbe
Le franc symbolique
Trois mois plus tard, l’heure n’est plus aux roses en papier. Crusnes se trouve sur le tracé de la frontière franco-allemande de 1870 que revendique Hitler. L’église de fer est mitraillée dès 1940. A la Libération, certaines familles polonaises retournent dans leur pays natal, convaincus d’y trouver un paradis socialiste. Des immigrés italiens tout aussi catholiques les remplacent à la mine comme à l’église. Les années 70 sonnent le glas de la mine. A sa fermeture, en 1973, les établissements de Wendel offrent l’église à l’évêché de Nancy pour le franc symbolique. Ce dernier accepte sans enthousiasme l’étrange construction. L’édifice, qui n’est plus chauffé, commence à rouiller; l’hiver, la pluie qui traverse les vitraux brisés gèle immédiatement sur le sol métallique. Au fil des ans, les fidèles se font rares.
C’est le 22 janvier 1988 que Georgette Lecomte décide de sauver l’église. Les canalisations ont éclaté une fois de plus, transformant la nef en patinoire. La vieille dame essore sa serpillière, prend la plume et écrit à FR3 pour plaider la cause de l’église à l’agonie. Une équipe de tournage vient filmer les murs troués de rouille. Michel Depeyre, PDG de la multinationale Astron, spécialisée dans les constructions métalliques, voit le reportage et offre la réfection de la toiture. En 1990, l’église de Crusnes est classée monument historique, échappant ainsi à la casse.
Quêtes
En 1991, un enfant du pays offre à son tour du sable et du ciment pour restaurer le soubassement. Trente mineurs à la retraite, dont certains n’avaient jamais mis les pieds à l’église , se portent volontaires pour les travaux. Georgette Lecomte et ses amis organisent des quêtes: de 1988 à 1991, la vieille dame rassemble 150 000 francs au nom des Amis de Sainte-Barbe.
Enfin, l’an dernier, les Monuments historiques établissent un plan de financement de la réfection de l’église. L’Etat et le Feder (Fonds européen de développement régional) prennent en charge près de 80% du montant de la première tranche de travaux, évaluée à 1,3 million sur un total de plus de 3 millions de francs. L’appel public a été lancé pour ces travaux de «toute première urgence» qui vont durer six mois. Ils consisteront notamment à remplacer des tôles, une partie de la charpente et à améliorer l’électricité et le chauffage.
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