Député européen social-démocrate du Grand Est et ex-délégué CFDT d’ArcelorMittal, Édouard Martin a cosigné, le 27 octobre dernier, un courrier adressé conjointement par la Confédération européenne des syndicats et par l’organisation patronale IndustrieAll pour demander à Jean-Claude Junker de protéger l’industrie européenne contre le dumping chinois.
Que craignez-vous exactement avec la Chine ?
Édouard Martin : Nous entrons dans la dernière ligne droite des négociations avec la Chine, qui, 15 ans après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce au titre d’économie non marchande, demande le statut d’économie de marché (SEM). Or, elle ne répond aujourd’hui qu’à un seul des cinq critères caractérisant une économie libre. A priori, la commission n’entend pas lui accorder ce statut, mais elle ouvre la voie à un compromis qui nous paraît dangereux : la Chine bénéficierait d’un statut particulier et seuls certains secteurs industriels européens seraient protégés – et encore, d’une manière peu convaincante.
E & C : Quelle incidence l’octroi de ce statut présenterait-il pour l’économie européenne ?
E. M. : Selon l’étude de Robert E. Scott publiée par l’Economic Policy Institute, le SEM augmenterait de 25 à 50 % les importations chinoises et mettrait en péril trois à quatre millions d’emplois en Europe. L’Union européenne minimise le risque et évoque le chiffre de 400 000 emplois menacés, mais elle n’a pas encore rendu publique son étude d’impact. Dans un continent qui compte 25 millions de chômeurs, peut-on se permettre une telle perspective économique et stratégique ? Si nous laissons faire, nous allons revivre la crise du textile des années quatre-vingt-dix. La Chine gagnera des parts de marché en cassant les prix, puis fixera ses propres tarifs quand il n’y aura plus de capacité de riposte. Nous ne pourrons pas tenir, sauf à accepter que les États européens puissent eux aussi faire jouer de leur puissance économique et politique pour aider les entreprises en difficulté. Ce n’est pas dans l’air du temps.
E & C : L’Union européenne peut-elle contribuer à améliorer les conditions de vie des travailleurs chinois ?
E. M. : La politique sociale ne relève pas de la compétence de l’Europe, mais de celle des États. La concurrence déloyale commence en Europe, avec l’absence de garanties sociales communes. La Conférence européenne des syndicats n’a pas d’interlocuteur en Chine, où le syndicalisme libre n’existe pas. Mais l’Europe peut imposer des règles environnementales et sociales à ses partenaires commerciaux. Parmi elles, la reconnaissance des représentants des travailleurs pourrait aboutir à des progrès.
Propos recueillis par Pascale Braun
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