Officiellement notifiée fin décembre aux Arbeitsämte allemands, équivalents de nos Pôle emploi, la décision du Tribunal social fédéral allemand, basé à Kassel, marque une victoire très attendue pour les milliers de travailleurs transfrontaliers du Grand-Est.
Depuis deux ans, la question de “l’impôt fictif” qu’appliquaient les Arbeitsämte de Sarre, Rhénanie-Palatinat et du Bade-Wurtemberg aux quelque 43.600 personnes résidant en France étaient socialement assurées en Allemagne prenait de l’ampleur.
Saisie par un employeur du Bade-Wurtemberg, qui souhaitait être fixé sur la classe fiscale applicable à sa centaine de salariés français, la cour sociale régionale de Fribourg, puis la cour sociale régionale du Bade-Wurtemberg ont donné raison à l’agence fédérale pour l’emploi qui soutenait le principe de l’imposition des revenus du chômage partiel. Mais la cour sociale fédérale de Kassel a jugé cette double imposition discriminatoire, ouvrant la voie à un remboursement.
Un zéro très attendu
Face à cette décision en appel, les Arbeitsämte n’ont plus d’échappatoire et devront régulariser la situation des salariés qui ont été injustement soumis à une double imposition.
Arsène Schmitt, président du comité de défense des travailleurs frontaliers de la Moselle
L’association a soutenu un millier d’adhérents dans ce contentieux. Les organismes payeurs ont tenté de plaider qu’ils auraient besoin de temps pour répercuter le jugement dans leur procédure. La ligne correspondant à l’impôt frontalier reste pour l’heure en place, mais elle correspond au chiffre zéro tant attendu.
Il ne s’agit pas d’une victoire symbolique, mais bien d’une question d’argent. Ce premier arrêt en appelle d’autres, car nous allons poursuivre la procédure pour les indemnités maladies, les accidents du travail ou encore, les retraites, qui font également l’objet d’un impôt discriminant.
Éric Schullien
L’avocat sarrois est en charge d’un millier de dossiers.
Très technique, le litige se fonde sur les termes de la convention fiscale franco-allemande signée en 2015 pour éviter la double imposition des travailleurs frontaliers. Son article 13 prévoit, dans son alinéa 8, que “les pensions, les rentes (y compris les sommes versées au titre des assurances sociales légales) et les autres rémunérations similaires ne sont imposables que dans l’État dont le bénéficiaire est un résident”.
Des revenus réduits de moitié
Dans le cas du chômage partiel, la rémunération forfaitaire accordée par le Arbeitsamt est calculée à partir de la différence entre le montant que le salarié aurait perçu sans l’arrêt de travail et le montant que le salarié a effectivement perçu. Mais cette indemnisation forfaitaire tient compte des cotisations de sécurité sociale et des impôts. Ainsi, 20 % du forfait de sécurité sociale, de l’impôt de solidarité et de l’impôt sur le revenu sont déduits de la rémunération nette.
Cette imposition “fictive” a particulièrement affecté les frontaliers durant la crise sanitaire, qui s’est traduite pour nombre d’entre eux par de longues périodes de chômage partiel. Doublement pénalisés par le montant réduit du chômage partiel, puis par la double imposition, ils ont pu perdre jusqu’à 52 % de leur revenu, selon les calculs de la députée LR Laurence Muller-Bronn (Bas-Rhin), qui a interpellé sur ce point en janvier 2021 le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères chargé des affaires européennes.
Coincée entre Bercy et le ministère allemand de l’Économie, la question est restée en souffrance jusqu’à ce que la justice allemande y mette un terme. Les frontaliers ont bénéficié du soutien de la chambre de commerce franco-allemande, de certains députés locaux et l’instance de soutien juridique Task Force transfrontalière. En revanche, les syndicats allemands, et notamment IG Metall, ont affiché leur soutien au gouvernement fédéral.
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