Face à la vague de restructurations chez Arcelor-Mittal ou Smoby, les collectivités prônent des solutions alternatives. Toutes souhaitent que le futur fonds national pour la réindustrialisation soit largement déconcentré.
Il y a tout juste un an, huit conseils régionaux, emmenés par Martin Malvy, président (PS) de Midi-Pyrénées, annonçaient leur intention d’entrer dans le capital d’EADS. Ils se sont, depuis, heurtés à un mur juridique et capitalistique. Leur volonté de peser sur les restructurations, elle, court toujours. Et dépasse allégrement les clivages partisans.
Déficit d’information.Ces dernières semaines, le nombre de collectivités menacées ou déjà frappées par de vastes plans sociaux a grossi à vue d’oeil. A Gandrange (Moselle), Arcelor-Mittal envisage de supprimer 595 emplois. Ce chiffre s’élève à 700 dans le Jura et l’Ain (Smoby), 560 à Arques, dans le Nord (Arc International), 254 à Saint-Dizier, en Haute-Marne (Miko), et 250 à Rumilly, en Haute-Savoie (Salomon). La colère face aux délocalisations atteint des pics. Le maire de Rumilly ne manque pas de rappeler que sa commune « a cédé, à titre gratuit, en octobre 1998, une parcelle de terrain de 15 hectares à Salomon ». Et André Feppon (UMP) de se plaindre d’avoir « été averti au dernier moment » de la restructuration. A cela, une raison très simple : tout dirigeant doit réserver la primeur de ces annonces à son comité d’entreprise. Tel n’est cependant pas toujours le cas.
Le plus souvent, seuls les « grands élus », expression que je n’apprécie pas du tout, sont informés en amont.
Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF)
Difficile médiation. Cependant, ces chocs se révèlent des processus longs, sur lesquels les acteurs locaux peuvent, à coups de déclarations, pétitions et manifestations, exercer une influence notable, à défaut d’être déterminante.
Les multinationales, en particulier celles dont l’activité vise directement le grand public, sont extrêmement sensibles à tous les mouvements qui pourraient mettre en cause leur responsabilité sociale.
Jean-Marie Bergère, délégué général de l'Association travail emploi Europe société
Aussi, les élus placés en première ligne ne relâchent-ils pas la pression en cette période électorale.
A Saint-Dizier, François Cornut-Gentille, s’efforce de jouer un « rôle de médiateur » entre la direction de Miko et les salariés. A l’initiative de multiples réunions, le député maire (UMP) s’emploie, par d’innombrables coups de téléphone, à renouer les fils d’un dialogue régulièrement rompu.
C’est une sorte d’accompagnement psychologique destiné à éviter que le conflit ne dégénère et ne se radicalise. Il faut montrer à la direction que nous ne lui sommes pas hostiles, mais qu’elle a en face d’elle des autorités locales prêtes à défendre leur territoire, et aux syndicats que nous ne voulons pas nous substituer à eux.
François Cornut-Gentille
François Cornut-Gentille et son équipe ont tiré les enseignements d’un précédent conflit social qui avait mal tourné chez McCormick.
Pour éviter la casse et en collaboration avec les syndicats, nous avons organisé un carnaval, dont le caractère festif a tranché avec les défilés habituels.
François Cornut-Gentille
L’opération exige beaucoup de doigté.
C’est aussi la réputation de la ville dans les médias qui est en jeu, jauge-t-il. Des débordements pourraient compliquer notre tâche pour attirer des entreprises à Saint-Dizier et y créer de l’emploi.
François Cornut-Gentille
Soutien sous condition. A Lons-le-Saunier, le député maire (UMP), Jacques Pélissard, multiplie également les contacts, à la veille du redressement judiciaire de Monneret-Smoby.
La reprise de la société ne pourra pas se limiter aux seuls brevets et marques, prévient-t-il. Elle doit être portée par un projet industriel.
Jacques Pélissard
Le président de la communauté de communes du bassin de Lons-le-Saunier avertit :
L’intercommunalité est prête à remettre aux normes les 10 000 m2 de bâtiments. Mais sa participation financière dépendra du nombre d’emplois maintenus.
Jacques Pélissard
Les élus qui refusent toute évolution sont de plus en plus rares. Au-delà de leur implication immédiate sur les dossiers, qui permet de contrecarrer les réactions locales hostiles, ils savent qu’ils seront jugés sur leur capacité à recréer de l’emploi.
Jean-Marie Bergère
En fonction de la gravité du sinistre, des contrats de site, des contrats territoriaux ou des conventions de revitalisation sont signés.
Obligation de revitalisation. Sur les lieux de l’ancienne usine Metaleurop de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), à l’origine de la procédure des contrats de site, Nicolas Sarkozy a plaidé, le 21 février, en faveur d’un « fonds national pour la réindustrialisation ». Christine Lagarde prépare un projet de loi destiné à réviser l’article 118 de la loi « Borloo » du 18 janvier 2005. Elle souhaite que les fonds issus de l’obligation de revitalisation des entreprises (de l’ordre de deux à quatre Smic par emploi supprimé sur un à trois ans) soient mutualisés afin d’être davantage alloués aux territoires les plus meurtris. Selon une source proche du dossier, une évaluation des actions menées dans ce cadre devrait être rendue obligatoire.
Les collectivités, associées aux démarches de reconversion, redoutent que ces évolutions législatives ne se traduisent par une recentralisation. Dans le droit de fil des préconisations d’un rapport (*) d’octobre 2006, elles prêchent, à l’instar de Jacques Pélissard, pour que leur rôle soit « mieux pris en compte ».
« Accompagner, plutôt qu’empêcher »
Il est illusoire de vouloir empêcher une restructuration en tant que telle. Il est, en revanche, indispensable pour les collectivités de demander à l’entreprise concernée si toutes les solutions alternatives, en particulier la recherche d’un repreneur, ont été étudiées. La réussite d’une opération de revitalisation passe d’abord par une évaluation approfondie de l’impact de la restructuration sur le territoire. Les collectivités ont, ensuite, tout intérêt à recréer une offre à destination des PME et dans des secteurs à fort contenu technologique. Dans ce domaine, c’est l’offre qui crée la demande, et non le contraire.
Jean-Michel Demangeat, président de Sofred (*)
Union sacrée pour l’emploi lorrain
Fermeture de l’usine de pneus Kléber, qui emploie 826 salariés à Toul (Meurthe-et-Moselle), 595 emplois menacés à l’aciérie Arcelor-Mittal de Gandrange (Moselle), suppression annoncée de 420 postes dans l’industrie pétrochimique mosellane… Une nouvelle fois confrontée à une crise industrielle majeure, la Lorraine s’alarme non seulement des quelque 5 000 pertes d’emplois industriels et tertiaires redoutées au cours des prochains mois, mais aussi d’un déclin plus diffus. Selon l’Insee, la région a perdu 1,6 % de son emploi salarié entre 2000 et 2005, contre une croissance de 2,7 % sur le plan national.
Notre bilan n’est pas brillant, mais il n’est pas désastreux. L’an dernier, l’industrie mosellane a créé 9 300 emplois mais elle en a perdu 6 000, ce qui prouve que les restructurations en cours ne sont pas encore surmontées.
Philippe Leroy, président (UMP) du conseil général
Nous sommes continuellement contraints d’immobiliser de l’argent pour convertir des friches et réparer des dégâts industriels, là où d’autres régions peuvent investir dans la recherche et l’innovation.
Jean-Pierre Masseret, président (PS) du conseil régional
Le conseil général de la Moselle a mobilisé l’Iseetech, structure associative dédiée au rapprochement entre université, entreprises et territoires, pour contribuer à la reconversion de la plateforme pétrochimique de Carling. L’Etat, la région et les fonds européens ont rassemblé 2 millions d’euros pour acquérir un scanner de nouvelle génération qui servira de support aux actions de formation, de recherche et de prestations pour le compte de PME de la chimie et de la plasturgie. Total Petrochemicals France cofinancera le projet, qui pourrait voir le jour sur le technoparc de Saint-Avold, en 2009.
(*) Rapport sur les dispositifs de revitalisation territoriale, contrats de site, conventions de revitalisation.
--Télécharger l'article en PDF --