A l’initiative d’un médecin territorial, les agents municipaux s’initient à la culture des immigrants chinois afin de leur faciliter l’accès aux soins.
Des enfants qui pleurent, des parents qui se taisent, un malaise qui s’ancre. Habitués à l’accueil d’immigrants, les services municipaux d’Aubervilliers se sont pourtant trouvés désemparés face au flux d’immigrés chinois originaires de la province du Wenzhou, arrivés en nombre dans l’agglomération au début des années 2000. Médecin de santé publique au centre communal d’hygiène et de santé, Fabienne Béjanin a perçu les difficultés de cette population en pratiquant les vaccinations des enfants.
Primo-arrivants, les parents ne parlaient pas le français. Frustrante, cette incommunicabilité risquait de plus d’engendrer des discriminations : lorsqu’un interlocuteur reste muet ou répond “oui” à toutes les questions, on finit par ne plus chercher à le comprendre.
Fabienne Béjanin
La jeune femme se renseigne auprès d’autres services, qui témoignent du même désarroi. Les agents de la PMI (protection maternelle et infantile) s’inquiètent de voir les bébés, souvent trop chaudement vêtus, pleurer continuellement. Le service de l’éducation constate que les enfants chinois paraissent particulièrement stressés par toute invitation à l’expression corporelle et une propension à l’obésité chez nombre d’entre eux. Quant aux services sociaux, ils s’étonnent de n’être jamais sollicités par cette population.
Enfants déstabilisés
Des contacts avec des traductrices, des recherches bibliographiques et des rencontres avec des associations permettent aux agents de la ville d’expliquer certains blocages. Il n’existe ainsi en Chine aucun équivalent des services municipaux et les arrivants, presque tous en situation irrégulière, voient dans toute question la continuation d’un système policier.
Leur propension à répondre par l’affirmative à toutes les questions traduit une marque de respect, mais ne correspond nullement à un consentement. Soucieux de protéger les enfants du froid, les parents ont tendance à se féliciter de leur embonpoint et leur évitent l’exercice physique. A l’école maternelle, ces enfants se trouvent déstabilisés par une pédagogie allant à l’encontre de leur propre éducation axée sur le respect scrupuleux de la norme.
Documents bilingues
Le désir d’ouverture est né. Fabienne Béjanin demande alors à Jean-François Papet, ethno-sociologue, et à la linguiste Ting-Shih Hsieh d’animer une formation de trois jours pour initier les agents communaux à la culture des nouveaux arrivants.
Le stage débute par l’énoncé des clichés que nous entretenons sur les Chinois – et ceux que les Chinois ont sur nous. Nous leur apparaissons comme des gens riches, mais peu civilisés et incompréhensibles. J’évoque ensuite la spécificité des Wenzhous. Ruraux et souvent illettrés, ils comptent sur leur capacité de travail hors pair pour faire fortune en France.
Jean-François Papet
La formation a eu lieu pour la première fois en octobre 2004 pour vingt personnes. Mais une centaine d’agents s’y sont inscrits. Une nouvelle session est prévue à la rentrée 2005.
La meilleure compréhension des Wenzhous se traduit par des initiatives concrètes: le centre municipal de santé dispense dorénavant des consultations assistées par une interprète et diffuse des documents de santé bilingues. Les enseignants du primaire ont organisé une exposition pour décrire aux parents le système scolaire national . En avril, les Chinois ont pour la première fois pris la parole lors d’une réunion publique pour présenter aux élus les agressions dont ils sont régulièrement victimes de la part de racketteurs qui savent qu’ils ne portent pas plainte.
Cette prise de parole constitue une marque de confiance. Mais l’absence de papiers maintient les Wenzhous en danger.
Fabienne Béjanin
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