Artiste, scénographe et productrice luxembourgeoise, Clio Van Aerde a choisi de s’exprimer sur le mode de la performance. Le 24 octobre 2018, elle a présenté en ouverture du projet Border Stories, piloté par l’Université de la Grande Région, le parcours de 25 jours à pied qu’elle a effectué cet été au long de la frontière luxembourgeoise. Elle revient sur les expériences vécues lors de cette marche et sur le sens de sa démarche.
Comment avez-vous conçu votre parcours ?
J’ai choisi le village hautement symbolique de Schengen comme point de départ et d’arrivée. A partir de là, j’ai dessiné la frontière luxembourgeoise avec les pieds. En m’engageant dans ces 24 jours et demi de marche, je voulais questionner ce trait à la fois très concret et très abstrait. Je prépare une restitution d’une trentaine de minutes sur cette performance.
Une petite équipe de tournage me rejoignait régulièrement et un site internet retraçait mon parcours en temps réel, mais j’ai souvent éprouvé un sentiment d’isolement. Je n’y ai pas rencontré beaucoup de gens. J’ai vu moins d’humains que d’animaux sauvages ou domestiques. Il n’y a pas de frontière à ce que l’on peut rencontrer sur une frontière. A quelques centaines de mètres d’écart, on trouve des stations d’essences les unes derrières les autres, puis de grands espaces sans aucune trace humaine.
Il m’a fallu une dizaine de jours avant de réaliser que je suivais un trait invisible, mais assez oppressant. Dans beaucoup d’endroit du monde, les frontières délimitent des zones de guerre. En Europe, nous vivons une situation très privilégiée. Mais sur une carte, toutes les frontières ont le même aspect d’un trait qui sépare les groupes humains.
Dans votre parcours professionnel, avez-vous travaillé sur les frontières de la Grande Région ?
Oui. Je suis notamment membre du festival Kolla qui se tient depuis six ans à Steinfort, à la frontière belgo-luxembourgeoise, et je suis co-organisatrice de la résidence d’artistes Antropical, où le festival se prépare.
Kolla a pour but de sensibiliser aux alternatives pour une consommation collaborative et plus responsable. La programmation dépend des artistes et de la dynamique de groupe qui naît au cours du séjour en résidence. Cette année, le festival a été plutôt théâtral, avec des performances sonores interactives et des manières très variées de créer le contact. Le dialogue entre artistes et spectateurs s’est noué de manière fluide et naturelle, presque par inadvertance.
Chaque festival offre des moments magiques de liberté et d’utopie. Le public est constitué de nationalités, d’âges et de classes différentes, ce qui ouvre les frontières à la fois sociales et psychologiques. Les échanges entre artistes sont aussi très fructueux, car le festival permet à la scène luxembourgeoise d’inviter des artistes européens.
Depuis la création de Kolla, nous essayons d’aller de plus en plus loin en direction de la Belgique, mais nous nous heurtons à des obstacles très banals. Par exemple, il n’y a pas de bus entre Steinfort et Arlon.
Existe-t-il une Grande région culturelle ?
J’ai l’impression qu’il existe encore un grand potentiel qui pourrait être mieux exploité. Dans mon réseau, il n’y a pas beaucoup d’échanges transfrontaliers, si ce n’est des échanges ponctuels à l’occasion de vernissages.
Il pourrait y avoir plus de liens, d’échanges entre spectacles ou entre résidences d’artistes. Les réseaux sociaux permettraient aussi d’organiser des événements en donnant plus de visibilité aux deux parties. Il est de la responsabilité des artistes d’aller chercher des collaborations de l’autre côté des frontières, mais c’est aussi le rôle des institutions.
Propos recueillis par Pascale Braun
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