Outre Notre-Dame-des-Landes, le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, devra aussi se prononcer sur la poursuite de Cigéo. Une contestation de plus en plus radicale a émergé autour du projet d’enfouissement de déchets hautement radioactifs aux alentours de Bure.
Précédés d’une sono trimballée dans une poubelle roulante, environ 400 manifestants ont défilé, le 20 mai dernier, dans les rues de Saint-Dizier pour dénoncer non seulement le projet Cigéo, qui consiste à enfouir les déchets les plus hautement radioactifs du parc nucléaire français dans le sous-sol meusien, mais aussi la « nucléarisation » de la Meuse, de la Haute-Marne et de l’Aube. Depuis la mise en service du centre d’entreposage de déchets de faible et moyenne activité par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à Soulaines en 1996, une dizaine d’installations en cours ou en projet sont venues conforter la présence d’EDF, d’Areva et de leurs sous-traitants dans la partie la plus faiblement peuplée du Grand Est.
Pacifique, mais étroitement encadrée par la police, la manifestation bragarde témoigne d’un regain de mobilisation contre un projet d’enfouissement remontant à deux décennies et dont la perspective se précise. Au cours des dix dernières années, l’Andra a creusé 1.400 mètres de galeries à près de 500 mètres de profondeur dans son laboratoire de Bure. L’agence estime aujourd’hui avoir démontré la compatibilité des argiles callovo-oxfordiennes âgées de 160 millions d’années avec l’entreposage de déchets hautement radioactifs. Elle espère pouvoir débuter en 2020 le creusement du Centre industriel de stockage géologique Cigéo, destiné à enfouir 80.000 tonnes de déchets ultimes, qui resteront actifs durant 100.000 ans.
Ce scénario se heurte aujourd’hui à une résistance de plus en plus structurée, que la nomination du nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire ne calme guère.
Nous nous demandons ce que Nicolas Hulot vient faire dans cette galère. Nous n’excluons pas un deal qui suspendrait Notre-Dame-des-Landes pour mieux confirmer Cigéo. Mais la population ne veut pas de ce projet. Jusqu’à présent, nous nous sommes toujours battus avec des mots. Les jeunes venus s’installer en Meuse en tant qu’opposants pourraient s’exprimer autrement.
Jean-Marc Fleury, candidat EELV aux prochaines élections législatives
La situation s’est tendue voici un an avec les travaux de défrichement entrepris par l’Andra au bois Lejuc, dans la commune de Mandres-en-Barrois, limitrophe de Bure, dans le département de la Meuse. Cette parcelle de 220 hectares cristallise aujourd’hui confrontations médiatiques, batailles juridiques et affrontements physiques. Le bois revêt une importance stratégique pour l’Andra, qui entend faire construire les puits d’accès aux travaux de creusement en sol meusien, la descenderie des déchets et le stockage étant prévus en Haute-Marne. Cette configuration répond moins à des impératifs techniques qu’à un engagement conclu en 2012 vis-à-vis des deux départements, l’un et l’autre soucieux de percevoir les retombées fiscales d’un éventuel enfouissement.
Batailles juridiques
Or, la maîtrise foncière du bois Lejuc s’avère épineuse. En 2013, la mairie de Mandres-en-Barrois a consulté ses 150 habitants par référendum pour statuer sur sa cession à l’Andra. Le résultat du vote (50 voix contre, 35 voix pour) aurait pu clore le débat. Mais deux ans plus tard, en juillet 2015, un étrange conseil municipal s’est tenu à 6 heures du matin sous protection des gendarmes. Les onze élus ont accepté à 7 voix contre 4 d’échanger la parcelle convoitée contre le bois de la Caisse, que l’Andra avait racheté à la commune voisine de Bonnet. En février 2017, le tribunal administratif de Nancy a enjoint la commune de prendre une nouvelle délibération. Le 18 mai , le conseil municipal s’est réuni en dépit d’affrontements entre une soixantaine d’opposants et des policiers venus en nombre. Le vote a confirmé la cession avec un écart réduit de 6 voix contre 5. Dans la foulée, 33 habitants ont déposé un nouveau recours à la fois en référé et sur le fond contre une délibération qu’ils jugent entachée de conflits d’intérêts.
Le 22 mai dernier, les opposants ont obtenu gain de cause sur un autre dossier : la cour d’appel de Nancy a confirmé l’illégalité des travaux de défrichement lancés par l’Andra au bois Lejuc en juin 2016. Engagés sur 7 hectares sous une pluie battante, les excavatrices ont creusé des ornières et rendu inutilisables les troncs de chênes et de hêtres couchés dans la boue. Après de violentes altercations entre opposants et vigiles, l’Andra a alors fermé l’accès au bois par un mur de deux mètres de hauteur. Saisi en référé par huit associations, le tribunal de Bar-le-Duc a ordonné le 1er août 2016 l’arrêt du défrichement, la destruction du mur et la remise en état des parcelles. Un nouvel arrêté préfectoral sera nécessaire pour reprendre les travaux, qui ne pourront débuter que fin juillet, après la période de nidification.
Mais les oiseaux ne sont pas les seuls à s’être nichés dans les feuillus du bois Lejuc. Au cours des six derniers mois, une soixantaine d’opposants ont élu domicile soit au sol, soit dans des cabanes juchées au faîte des arbres. L’Andra a obtenu, le 26 avril dernier auprès du tribunal d’instance de Bar-le-Duc, l’autorisation d’expulser les « habitants » du bois, mais s’en garde bien, compte tenu d’un contexte de plus en plus tendu. En février, Bruno Leroux, alors ministre de l’Intérieur, pointait « un certain nombre d’individus appartenant à la mouvance écologiste radicale qui contestent avec violence le projet Cigéo et veulent transformer le site en ZAD ». Les jeunes occupants du bois Lejuc dénoncent, pour leur part, une escalade policière et assument leur proximité idéologique avec les opposants à Notre-Dame-des-Landes.
Nous ne venons pas tous de Notre-Dame-des Landes, mais nous partageons cette culture politique qui fédère des associations, des squatters, des citoyens, des naturalistes et des paysans. Pour ancrer la résistance à Cigéo, notre collectif a racheté trois maisons. Nous voulons occuper le terrain et repeupler le désert.
Sylvain, un occupant du bois Lejuc
Les opposants se livrent à une guérilla sur le terrain et à un harcèlement juridique. Ce sont des aléas avec lesquels nous devons composer en nous défendant au cas par cas. Mais tout ne se passe pas dans le bois Lejuc ! Nous préparons activement le dossier de demande d’autorisation de création [DAC]. Au vu des enjeux et de la durée du projet, cette Dac n’est pas l’affaire de quelques mois !
David Mazoyer, directeur du Centre Andra de Meuse - Haute-Marne
Présenté comme l’unique option possible pour décharger les générations futures du fardeau des déchets radioactifs, l’enfouissement constitue un enjeu essentiel pour la filière nucléaire française. La loi de 2006 prévoyait le dépôt d’une demande d’autorisation de création en 2015 en vue du vote d’une nouvelle loi. Selon ce calendrier aujourd’hui caduc, le creusement aurait débuté en 2019 pour réceptionner en 2025 les premiers colis radioactifs.
Les doutes montent
Mais les doutes minent progressivement Cigéo. Le chiffrage de l’enfouissement, initialement estimé à 13 milliards d’euros, a bondi à 25 voire 35 milliards d’euros alors même que les ressources des deux principaux financeurs, EDF et Areva, s’amenuisent dangereusement. En 2014, Ségolène Royal, alors ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, a semé le désarroi parmi les partisans du projet en se déclarant favorable à l’étude d’alternatives à l’enfouissement. Cette même année, le débat public organisé sur la thématique de la réversibilité du stockage a tourné court sous les huées des opposants. Soulevée par six associations, la question du potentiel géothermique aux alentours de Bure n’est pas enterrée : déboutés en appel, les opposants, qui accusaient l’Andra de rétention d’information, ont déposé un pourvoi en cassation.
Des minorités déterminées arrivent à médiatiser le projet pour faire en sorte que les politiques ne prennent pas de décision. Or, il est évident qu’il faut traiter le problème des déchets nucléaires. Alors que les Suisses, les Belges et les Suédois progressent, nous avons déjà perdu des années.
Jean-Yves Le Déaut, député PS de Meurthe-et-Moselle
Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en alternance avec le sénateur haut-marnais Bruno Sido depuis 1989, l’élu lorrain a tenté en juillet 2015 d’inscrire dans la loi Macron un amendement visant à avaliser Cigéo sans recourir à un nouveau débat parlementaire. L’amendement ayant été retoqué par le Conseil constitutionnel, il a fait voter en juillet 2016 une loi actant le principe de réversibilité de l’enfouissement durant un siècle et décalant de deux ans la date de remise de la Dac. Or, l’échéance de 2018 paraît à nouveau fortement compromise.
Même les partisans du projet paraissent aujourd’hui lassés de rester dans le flou. La manne annuelle de 60 millions d’euros déversée chaque année par les groupements d’intérêt public Meuse et Haute-Marne au titre de l’accompagnement de Cigéo atténue les critiques, mais les élus des deux départements attendent toujours des consignes précises quant au nombre de routes, de logements et d’aménagements qu’il leur faudra prévoir dans la perspective du chantier. Créée voici dix ans par les industriels locaux espérant capter une partie des marchés engendrés par Cigéo, l’association Energic 52-55 s’avoue aujourd’hui déçue.
Nos membres sont unanimement favorables au projet. Puisqu’il faut enfouir les déchets, autant que ce soit en Meuse ! Mais pour l’heure, si le projet a permis l’implantation de grands groupes, il n’a que très peu bénéficié aux PME et PMI locales.
Florence Hutin Obara, directrice d'Energic 52-55
Les opposants voient, pour leur part, dans la contestation même du projet l’opportunité de repeupler le territoire par l’arrivée de néoruraux tout en ouvrant la voie à des alternatives à l’enfouissement.
Dans sa nouvelle configuration, Cigéo ne doit enfouir définitivement les déchets que dans 125 ans. Cela nous donne plus d’un siècle pour développer de nouvelles filières de traitement, notamment dans la perspective du démantèlement des centrales nucléaires.
Michel Marie, délégué du Cedra (collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs)
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