Président du bureau français de l’assemblée parlementaire franco-allemande, Christophe Arend a cosigné avec son homologue allemand Andreas Jung et plusieurs membres de cette jeune institution (1) des appels à l’unité et à la coopération franco-allemande face au Covid-19.
La fermeture des frontières de l’espace sarro-mosellan l’affecte, mais il veut croire à un regain de solidarité au sortir du confinement.
Le ministère allemand de l’Intérieur a annoncé la prorogation pour 20 jours de la fermeture des frontières promulguée le 15 mars 2020. Dans l’espace franco-mosellan, 18 des 25 points frontières seront donc fermés et les sept autres, étroitement surveillés. Cette décision vous déçoit-elle ?
Bien sûr, même si elle ne me surprend pas. Mi-mars, la Chancellerie allemande avait cédé aux pressions des ministres de l’Intérieur des trois Länder frontaliers – la Sarre, la Rhénanie-Palatinat et le Bade-Wurtemberg – qui pensaient ainsi limiter la propagation du virus, alors même que le ministre allemand de la Santé Jens Spahn estimait cette mesure inutile.
Je comprends d’autant moins cette prolongation que l’institut Robert Koch, établissement de référence de la santé publique et de la recherche en Allemagne, estime aujourd’hui que la Sarre présente le même niveau de dangerosité en matière de propagation du Covid-19 que le Grand Est.
Quelles sont les conséquences de cette fermeture dans l’espace SaarMoselle pour les travailleurs frontaliers ?
Elles les contraignent à des détours énormes. Par exemple, un habitant de Petite-Rosselle dont le lieu de travail se trouve à Grande-Rosselle, à 700 mètres à pied, doit désormais faire 50 kilomètres aller-retour pour prendre son poste. J’apprends aujourd’hui que le site de ZF, à Sarrebruck, va reprendre le travail, mais sans les frontaliers. En revanche, d’autres employeurs sarrois comme les Dillinger Hütte ou la clinique Winterberg à Sarrebruck ne peuvent pas se passer des frontaliers, qui se trouvent contraints de parcourir de grandes distances.
La fermeture des frontières ne touche pas uniquement les travailleurs. Elle affecte également le droit de visite des enfants pour les parents séparés ou les aidants qui, de part et d’autre, ne peuvent plus s’occuper de leurs proches.
Les politiques sarrois et mosellans ne témoignent-ils pas d’une forme d’acceptation de la fermeture des frontières ?
Une fois que la décision est prise, il faut bien en prendre acte et voir comment en sortir. Nous avons assisté à des réflexes de peur et de repli sur soi tout à fait regrettables, mais aussi à des manifestations d’amitié et de solidarité. Je citerai à titre d’exemple la vidéo d’une vingtaine de maires sarrois en soutien à la France, les appels à l’unité de Patrick Weiten et de Stephan Toscani, président du Landtag de Sarre, du ministre-président de la Sarre Tobias Hans et de son ministre de la Justice Roland Theis, ou encore, du parlementaire européen sarrois Joe Leinen…
Le danger invisible et mal connu du Covid-19 réveille des antagonismes dont les réseaux sociaux donnent un aperçu. Lorsque les frontières seront rouvertes, il faudra il faudra poser les mêmes règles sanitaires de chaque côté. Sinon, autant les laisser fermées. La crise actuelle montre la nécessité de renforcer les coopérations. Je pense notamment à la convention transfrontalière Mosar, qui permet la prise en charge des urgences cardiologiques, et qu’il faudrait étendre à toutes les spécialités.
Quel rôle a joué le comité de coopération transfrontalière mis en place dans la foulée du traité d’Aix-la-Chapelle début 2019 ?
Ce comité est tout récent, puisqu’il n’a été mis en place que le 22 janvier 2020. Des réunions informelles s’étaient tenues, mais le Covid-19 et les mesures de confinement lui ont bien sûr porté un coup de frein. Les politiques français et allemands n’ont pas eu le réflexe d’actionner cet outil avant de prendre leurs décisions, notamment en matière de fermeture des frontières. C’est dommage, car cette instance aurait pu exprimer un ressenti différent.
Avec mon collègue Andreas Jung, nous avons adressé à nos ministres de tutelle respectifs un appel à une réunion du comité de coopération transfrontalière. Nous espérons qu’il pourra se tenir avant la fin du mois d’avril.
Etes-vous confiant quant à la reprise de la coopération ?
Il faudra analyser ce qui s’est passé, promouvoir ce qui a bien fonctionné, pointer les maladresses, corriger les erreurs… Nous n’avons pas d’autre choix. Soit nous nous transcendons, soit nous descendons aux enfers. Si nous échouons, les seuls gagnants seront les populismes.
Nos aînés ont réussi à se tendre la main après la Deuxième guerre mondiale, mais cela a pris du temps. Je ne suis pas sûr que nous disposions d’autant de temps aujourd’hui. Sur le plan national, les deux Etats ont bien coopéré. C’est grâce aux transferts de malades dans les pays voisins que nos médecins n’ont pas eu à choisir qui ils allaient pouvoir soigner. C’est cette coopération que l’Histoire retiendra.
Les frontaliers ne représentent numériquement qu’une proportion infime de la population franco-allemande. L’histoire locale est celle de la construction d’un bassin économique commun solidaire et durable. Il ne faut pas laisser perdre ce projet, qui revêt lui-aussi une importance nationale.
Propos recueillis par Pascale Braun
(1) Christophe Arend, député LREM de la Moselle, Andreas Jung, député CDU/CSU du Bade-Wurtemberg, Dr. Reinhard Brandl, député CDU/CSU de Bavière, Angelika Glöckner, députée SPD de Rhénanie-Palatinat, Dr. Nils Schmid, député SPD du Bade-Wurtemberg, Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin, Michael Link FDP du Bade-Wurtemberg, Dr. Franziska Brantner, députée Grüne du Bade-Wurtemberg, Sylvain Waserman, député MoDem du Bas-Rhin, Cécile Untermaier, députée de Saöne-et-Loire, Antoine Herth, député UDI du Bas-Rhin et Jean-Michel Clément député Liberté et territoires de la Vienne.
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