Depuis cinq ans, plusieurs collectivités lorraines recourent au pâturage pour gérer les friches industrielles et agricoles.
Chevaux polonais dans la Meuse, vaches écossaises dans les Vosges, moutons mérinos en Moselle… au cours des cinq dernières années, les collectivités lorraines ont multiplié les recours aux troupeaux pour entretenir leurs paysages. Cofinancé par le ministère de l’Écologie, l’Union européenne et les collectivités territoriales, le Conservatoire des sites lorrains (CSL) a joué un rôle déterminant dans ce mode de gestion des sites sensibles.
Dans notre région, toute prairie non entretenue redevient forêt en l’espace de quelques décennies. Plus durable que le brûlis, le pâturage permet, de surcroît, aux acteurs locaux de s’approprier les sites.
Mathieu Millot, chargé d'études sur l'agro-pastoralisme au CSLL
Dédié à la préservation de la biodiversité, l’organisme a expérimenté le système voici une vingtaine d’années dans la Meuse, en introduisant un troupeau de konick polski, petits chevaux polonais en voie d’extinction, sur les côtes tourbeuses de Pagny-sur-Meuse et de Billy-sous-Mangiennes.
Nous avons recréé un milieu pionnier où sont revenues, en grand nombre, des liparis de loesel, rarissimes petites orchidées protégées.
Emmanuel Patte, chargé de la communication du CSL
Recrutement de Highland Cattle
Aux enjeux scientifiques et écologiques du pâturage se sont peu à peu ajoutées des préoccupations plus pragmatiques. Voici une dizaine d’années, le parc naturel du ballon des Vosges a « recruté » des Highland Cattle pour défricher les fonds de vallées envahis de ronces et de ligneux. Ces petites vaches écossaises se sont si bien adaptées que la régulation du troupeau s’impose désormais.
L’initiative du parc a fait des émules dans les Vosges mosellanes, également confrontées à la déprise agricole. A Schorbach (621 habitants), les riverains se sont plaint des multiples nuisances engendrées par une végétation mal maîtrisée. Tiques et serpents infestent les alentours des maisons et les paysages se sont dégradés. La mairie étudie donc le pâturage. Mais le projet se heurte encore au coût des travaux préparatoires 4 500 euros à l’hectare pour abattre des arbres, poser des clôtures, aménager des points d’eau, créer un sentier… et, surtout, à la dispersion des propriétaires fonciers (lire l’encadré ci-contre). Une fois le projet validé et financé, l’Association mosellane d’économie montagnarde (*) choisira l’éleveur.
Pastoralisme périurbain
Cet été, la communauté d’agglomération du Val de Fensch (10 communes, 78 000 habitants, Moselle) a mis à l’herbage 200 mérinos qui entretiendront les hauteurs de l’ancienne vallée sidérurgique. Première expérience de pastoralisme en milieu périurbain, le projet mobilise l’intercommunalité depuis deux ans. Signataire d’un plan paysage et d’un projet de gestion des espaces naturels remarquables dès sa création en 2000, celle-ci a consacré 66 500 euros à l’étude globale du projet qui associe le Val de Fensch, la communauté de communes du pays de l’Orne (8 communes, 23 000 habitants) et la ville de Fontoy (3 252 habitants). La pâture s’étend sur 200 hectares abandonnés, dont certaines parcelles devront faire l’objet d’un débroussaillage mécanique avant d’accueillir les animaux. Evalué à 98 000 euros la première année, le pâturage sera subventionné par les fonds Feder, le département de Moselle et la région Lorraine au titre du contrat de plan.
Les brebis appartiennent à un agriculteur local et le salaire du berger sera pris en charge par le CSL durant trois à cinq ans. A terme, le cheptel doit atteindre 650 têtes. La vente des agneaux devrait alors permettre à l’agriculteur d’assumer le salaire du berger.
Le pâturage nous permet de maintenir ouverts des espaces comportant plusieurs espèces protégées. En outre, nous créons dans ces espaces un sentier pédagogique ouvert aux élèves des écoles primaires et des collèges.
Philippe Greiner, maire de Ranguevaux
La préservation de la biodiversité constitue la motivation principale de Villécloye (240 habitants, Meuse), qui mobilise depuis trois ans un troupeau de moutons sur 20 hectares de pelouses sèches. Grâce à une convention signée avec l’Office national des forêts et le CSL, la mairie préserve des espèces remarquables telles des hiboux grands ducs, dans un espace que l’ancienne municipalité entendait planter de pins. Le cheptel, passé de 60 brebis en 2002 à 200 bêtes, est gardienné par un berger municipal, recruté dans le cadre des emplois-jeunes. La commune revend le produit de l’agnelage sur pied à l’occasion de fêtes traditionnelles ou à des habitants du village.
Le pâturage nous donne satisfaction, mais ne peut prétendre à l’autofinancement. D’ici à dix-huit mois, le contrat du berger prendra fin. Pour pérenniser le système, nous envisageons d’augmenter encore le cheptel et d’étendre le pâturage à des communes voisines en Meuse ou en Belgique.
Guy Thiercy, maire de Villécloye
L’intercommunalité, une bonne échelle
Si le coût du pâturage, compris entre 427 et 630 euros par hectare, reste compétitif par rapport à celui du fauchage mécanique (1 700 et 3 200 euros l’hectare) et plus encore par rapport au défrichage à la débroussailleuse (2 800 euros l’hectare), le système n’en reste pas moins onéreux. En mutualisant les frais de fonctionnement, l’intercommunalité peut contribuer à pérenniser le pâturage.
Le département se trouvant trop éloigné et les communes manquant de moyens, l’intercommunalité constitue l’échelle la mieux adaptée à la gestion des friches par pâturage. L’entretien du paysage fournit, par ailleurs, un élément fort de l’identité territoriale.
Charles-Yvonick Soucat, directeur de la division de l'environnement et de l'espace rural au conseil général de Moselle
Les réussites
- Les communes confrontées à la déprise agricole évitent la fermeture des paysages.
- Le pâturage s’avère plus économique que le défrichement mécanique.
- Le système contribue au maintien de la biodiversité.
Les écueils
- La fin du dispositif des emplois-jeunes a menacé la pérennité de certaines expériences.
- Le recrutement de bergers demande des montages juridiques complexes.
- L’équilibre économique du système reste aléatoire.
116 propriétaires perdus
Le projet de pâturage de Schorbach (621 habitants, Moselle) s’étend sur 15 hectares répartis en 234 parcelles d’anciens jardins familiaux. Or, nombre des 116 propriétaires ignorent jusqu’à l’emplacement de ces lointains héritages ! La commune a bénéficié de l’aide de l’Association départementale pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles de Moselle (Adasea).
Nous avons mis plus d’un an à retrouver les propriétaires. Les deux tiers d’entre eux ont accepté le pâturage et se sont regroupés en association syndicale reconnue par la préfecture. Mais ils n’entendent pas pour autant mettre la main à la poche.
Romuald Vallon, conseiller agricole à l'Adasea
L’Adasea multiplie donc les demandes de subventions.
Voie ouverte au pâturage
Avec 82 sites retenus et 4 autres en cours de désignation, la Lorraine achève la mise en place de son réseau Natura 2000, qui protégera 1 260 hectares répartis sur une centaine de sites. Les aides prévues pour limiter le nombre de bêtes à l’hectare et la fertilisation favorisent le pâturage extensif. Ainsi, un propriétaire situé en zone Natura 2000 percevra 91 euros à l’hectare pour limiter ses apports à 60 unités d’azote par hectare et par an, et jusqu’à 300 euros à l’hectare s’il cumule la prime à la non-fertilisation et l’aide à la fauche tardive.
(*) Créée par la chambre départementale d’agriculture, cette association réunit élus, agriculteurs et professionnels du massif vosgien pour soutenir des projets de développement économique rural.
Publicité
--Télécharger l'article en PDF --