Engagé en politique depuis les années 70 et maire de Forbach de 1995 à 2008, Charles Stirnweiss a défendu sans relâche l’édification d’une connurbation transfrontalière englobant Sarrebruck et l’Est mosellan. Visionnaire et pragmatique, il a initié à Forbach l’expérimentation pionnière du Sydème qui a su transformer durablement les déchets ménagers en ressources.
Aujourd’hui retiré de la vie politique, Charles Stirnweiss continue à défendre l’essor d’énergies nouvelles sur un territoire binational uni par une histoire commune.
SaarMoselle, derrière Berlin mais avant Paris
En 1955, la Sarre a choisi son rattachement à l’Allemagne au terme d’un référendum un peu biaisé : on demandait aux Sarrois s’ils voulaient rester allemands alors qu’ils n’avaient jamais eu l’impression d’avoir cessé de l’être. Cette décision a coupé en deux un espace économique d’un million d’habitants répartis sur 15 kilomètres carrés, soit l’une des plus fortes densités d’Europe derrière Berlin, mais devant Paris. La frontière a créé deux entités différentes sans cohérence urbaine ni économique, avec 700 000 habitants et toutes les institutions côté sarrois et 300 000 habitants adossés à un no man’s land côté mosellan.
Tant que les Houillères du bassin de lorraine existaient, ces déséquilibres ne se voyaient pas. Leur retrait a joué un rôle de révélateur extraordinaire. Jusqu’alors, on n’avait pas pris conscience de ce que représentait cet espace en termes de PIB local et de richesse moyenne. Le poids de la frontière a créé des déformations. Si l’espace se reconstitue, le territoire se recolle et redevient une connurbation dense et bien répartie.
Nous ne sommes pas frontaliers, nous sommes un même espace
Il a fallu du temps pour parvenir à la réconciliation. Les échanges se sont reconstitués grâce aux jumelages, aux amis de la nature d’inspiration marxiste, des sociétés de mineurs se revendiquant d’une même appartenance minière, mais aussi grâce à la continuité du mouvement mutualiste bancaire fondé par Frédéric Guillaume Raiffeisen dans la zone rhénane allemande. Peu à peu, le territoire a retrouvé une continuité.
Né du mouvement de fond du fédéralisme européen, la construction européenne a contribué à résorber les frontières. Mais pour un Etat français dont les valeurs sont construites sur le centralisme, toute initiative vers l’extérieur était suspecte.
Les accords de Karlsruhe ont permis de créer des relations directes aux frontières. L’Etat a suivi contraint et forcé, sans enthousiasme. Paradoxalement, c’est la Datar, service de l’Etat, qui s’est rendu compte la première de l’importance du fait frontalier. Elle a créé des connexions, lancé une autre réalité plaçant la connurbation Sarre-Moselle au centre de l’Europe.
L’Eurodistrict castré dès le départ
Les coopérations transfrontalières ont été considérées avec beaucoup de circonspection. L’Etat ne voulait surtout pas perdre la main. Le Groupement local de coopération transfrontalière créé en 2010 est resté tout théorique. Il a été castré dès le départ, car il est privé des moyens d’une d’intercommunalité française. Il ne peut pas décider de dépenses communes, puisqu’il ne peut pas souscrire d’emprunt. Toute initiative locale est plombée et les gros dossiers sont freinés au lieu d’être accélérés.
L’Etat n’a jamais manifesté son soutien à l’Eurozone, la zone d’activité binationale créée à Forbach. Il n’a jamais été possible d’unifier les tarifs téléphoniques ou postaux. C’est encore le cas aujourd’hui : les frontaliers ne savent jamais s’ils captent le réseau français ou allemand et les communications locales leurs sont facturées au tarif international. Vous vous demandez pourquoi ? Demandez-vous qui a intérêt à ce que cela ne marche pas…
Une démocratie de projets
Il y a des occasions manquées. A la fin des Houillères, nous nous sommes battus pour préserver au moins une exploitation minière pour en faire un laboratoire permanent des techniques minières. Nous avons échoué. C’est dommage, car ce projet relevait de la politique industrielle nationale. La « carbone vallée » aurait attiré l’attention des investisseurs et positionné l’Eurodistrict comme une terre d’énergie. Nous avons persévéré en nous positionnant sur des terres vierges comme l’hydrogène et la méthanisation. Le Sydème constitue une solution créatrice à la question du réchauffement climatique et à la baisse de la ressource. La méthanisation des déchets ménagers a créé 200 emplois, sans compter les retombées et royalties actuelles et futures. Ce projet – pour lequel nous n’avons reçu aucune aide – représente une démocratie de projets et embarque tout un territoire pour les 20 prochaines années. L’Eurodistrict a besoin de projets forts, sinon, il s’enferme dans une gestion au quotidien qui devient forcément pro domo. Il faut aborder les choses en commun et construire une approche fédéraliste. Fédérer pour construire, il n’y a pas de meilleur choix.
Propos recueillis par Pascale Braun
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