Ex-ministre de de la Culture, ancienne maire socialiste de Strasbourg et députée européenne de 2004 à 2014, Catherine Trautmann ne s’est jamais départie de sa passion pour la culture et de sa confiance en la construction franco-allemande. Elle défend une vision politique de la coopération culturelle, qui lui paraît essentielle pour renforcer et renouveler le projet européen.
Strasbourg revendique haut et fort son caractère européen. Quel rôle la culture joue-t-elle dans cette spécificité ?
Je n’exerce plus de responsabilité spécifiquement culturelle à Strasbourg, mais j’ai piloté la ville et l’agglomération durant dix ans. En matière de culture et d’université, j’ai vu se développer des réseaux d’acteurs très forts qui ont contribué à la dimension européenne de la métropole. L’Eurométropole consacre un tiers de de son budget à la culture, en intégrant toujours un projet culturel européen à son contrat triennal. Le pôle métropolitain Symbio, qui réunit Strasbourg, Mulhouse et Colmar, cherche à étendre cette intégration alsacienne à l’échelle de ses partenaires culturels de l’autre côté de la frontière.
Comment ces coopérations se sont-elles traduites ?
Elles sont multiples. La Carte Culture vise d’emblée les 15 000 étudiants du nouveau réseau européen Eucor, qui regroupe les universités de Bâle, Fribourg-en-Brisgau, Haute-Alsace et Strasbourg ainsi que le Karlsruher Institut für Technologie. Les étudiants de ce campus, qui constitue la première place universitaire européenne, accèdent aux spectacles et aux manifestations culturelles d’Alsace à des tarifs préférentiels. La coopération implique également les acteurs de la formation, comme en témoigne le festival Musica qui associe le Conservatoire de Strasbourg, la Haute école des arts du Rhin (HEAR), l’Université de Strasbourg, et le projet du GREAM (Groupe de recherches expérimentales sur l’acte musical) développé avec la Hochschule fur Musik de Karlsruhe.
Dans le domaine économique, le financement de projets créatifs Tango&Scan porté par l’Eurométropole déborde aujourd’hui sur Metz, Nancy et les pays limitrophes. Le théâtre national de Strasbourg reste largement ouvert au franco-allemand. La vocation franco-allemande de Strasbourg n’est pas nouvelle. L’exposition « Laboratoire d’Europe – Strasbourg, 1880-1930 » (1) rappelle que l’empereur d’Allemagne Guillaume II avait voulu faire de Strasbourg la deuxième capitale de la Prusse, et le passage obligé des grands noms de la culture européenne de l’époque.
Ce rôle persiste-t-il dans la relation franco-allemande contemporaine ?
La culture est une dimension fondamentale de la relation franco-allemande. J’étais moi-même ministre de la Culture en 1997, alors que venait d’être créé en Allemagne le premier ministère fédéral autonome de la Culture. Nos deux institutions ont choisi de coopérer en premier lieu sur l’audiovisuel, pour aider le cinéma allemand à élargir son assise en Europe. C’est la vision politique de la culture qui a permis la création, en 1988, du Haut conseil culturel franco-allemand. Fondée par le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl, cette institution dont je suis vice-présidente, soutient toujours le même pari politique : on ne peut pas avancer ensemble sans avancer sur le plan culturel. Le Haut conseil culturel franco-allemand joue un rôle important dans le soutien à l’audiovisuel et au cinéma. Arte a contribué à l’aventure. Le programme européen Europe Créative, qui détient un bureau à Strasbourg, soutient les coproductions franco-allemandes, mais aussi celles de la Grande Région incluant la Lorraine, la Belgique, le Luxembourg et la Sarre. Le programme s’est mué en un forum franco-germanophone. Les professionnels de cet espace recherchent non seulement une reconnaissance et un appui financier, mais aussi une ouverture européenne.
Quels obstacles voyez-vous à la coopération culturelle transfrontalière ?
La coopération entre voisins permet de monter d’un cran la coopération à l’échelle européenne. La proximité est à la fois une chance et un problème. Les difficultés proviennent des différences administratives, de la temporalité politique et parfois de la concurrence entre sites. Mais lorsque l’on parvient à dépasser ces obstacles, on est utile à l’Europe tout entière.
La Fondation rhénane pour la culture soutient depuis 2012 le projet Interreg Szenik, qui répertorie l’ensemble des acteurs culturels de l’espace frontalier français, suisse , allemand , luxembourgeois et belge. L’espace rhénan a la chance de présenter une densité culturelle exceptionnelle, notamment en matière de musées publics et privés, mais cet atout se transforme parfois en handicap. Lorsqu’en 2007, Strasbourg a postulé, en partenariat avec Karlsruhe et Bâle, au statut de capitale européenne de la Culture, le projet a été retoqué car nos interlocuteurs estimaient que puisque nous avions déjà tout, nous n’avions besoin de rien – ce qui est injuste !
La réforme territoriale est-elle de nature à élargir les espaces de coopération ?
Oui, d’autant que la loi de Modernisation de l’action publique (Maptam) permet aux collectivités d’établir des schémas de coopération transfrontalière. Les villes du Grand Est coopèrent déjà dans le domaine culturel. Elles ont aujourd’hui la possibilité d’ouvrir un espace plus vaste, même si les finances publiques se trouvent dans une phase critique. Je souscris à l’opinion du Conseil économique, social et environnemental du Grand Est, qui défend la participation active de tous les citoyens à la culture. J’ai rédigé en 1998 la Charte des missions de service public pour le spectacle vivant, et je suis convaincue que l’on ne ne réunit pas les habitants de plusieurs anciennes régions sans une programmation culturelle destinée à tous les publics. Le Grand Est doit mettre la culture au cœur de son projet. Nous sommes au cœur de l’Europe historique et notre territoire est bien placé pour renouveler le projet politique de l’Europe. La culture constitue un antidote à la montée des populismes. C’est une responsabilité que nous devons assumer et partager avec nos pays voisins.
Propos recueillis par Pascale Braun
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Très bon article