Les scieurs investissent pour adapter leur production à la demande de constructeurs régionaux de maisons en bois. Le projet Green Valley structure une éco-construction en plein essor.
Une maison neuve sur quatre est construite en bois dans les Vosges. Le département forestier, qui fournit du matériau de charpente à la France entière, peine pourtant à répondre à la demande croissante de son propre marché. Voici encore deux ans, l’épicéa constituant les murs, les poutres et les planchers de ces nouveaux chalets provenait presque exclusivement des forêts allemandes et scandinaves. Les pins vosgiens, sciés, mais non séchés, étaient, eux, expédiés comme bois de charpente dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la France.
Pour changer la donne, à la mi-2010, les scieurs vosgiens ont mis en service Lorraine Industrie Bois (LIB), la première usine de rabotage et d’aboutage dédié au bois local, à La Bresse. Majoritairement porté par le groupe Poirot, constructeur de maisons en bois, cet investissement de 5 millions d’euros s’inscrit dans une logique collective. L’usine constitue un outil commun aux dix scieurs regroupés depuis 2006 au sein de Fibre Lorraine. Cette société anonyme, qui compte 200 salariés, a réalisé 40 millions d’euros de chiffre d’affaires l’année dernière.
Marchés local et national
Fibre Lorraine a mis en service fin août la première unité de séchage des Vosges, à La Bresse. Exploité par Énergie renouvelable de l’Est, une filiale du groupe Poirot, cet équipement a nécessité 2,5 millions d’euros d’investissement. Il permet de traiter 80 000 mètres cubes de bois par an. Actionnaire de Fibre Lorraine, la scierie Lemaire, basée à Moussey (Vosges), a commencé elle aussi la construction d’un séchoir de même capacité qui entrera en service en 2012.
Ces investissements nous permettent de concrétiser une filière courte et fermée intégrant la coupe, la deuxième transformation, puis la taille, la découpe et la fabrication de maisons à ossature bois destinées aux marchés local et national.
Sébastien Sergent, le directeur général de Fibre Lorraine
En un an, l’entreprise a produit l’équivalent d’une cinquantaine de maisons à destination des maîtres charpentiers d’Alsace et de Lorraine, qui construisent pour des particuliers, et de la France entière.
Fondateurs de Poirot Construction en 1997, les trois frères Poirot commercialisent chaque année 150 chalets et maisons auprès de particuliers, dont 30 % en Alsace et en Lorraine et 10 % au Japon, où ces constructions sont prisées pour leurs qualités antisismiques. Autre filiale du groupe, JYM (les initiales des trois frères James, Yan et Michaël) met à disposition de Fibre Lorraine le logiciel Filobois, qui propose un bureau d’études virtuel permettant de concevoir une construction en bois, d’obtenir un devis et de commander le matériau en temps réel.
Le renom des constructeurs vosgiens (outre le groupe Poirot, Socopa, Charpente Houot, Cuny, Valobois Constructions, etc.) au niveau national est le fruit de dix ans de mobilisation de la filière. Forts d’un taux de pénétration exceptionnel sur leurs terres, ces « bâtisseurs » gagnent du terrain en Moselle. Ce département frontalier de l’Allemagne concentre la moitié de la construction régionale et compte des maîtres d’ouvrage exigeants en matière de performances techniques (basse consommation) et environnementales.
La structuration de la filière confère au territoire une véritable puissance de feu sur un marché dont l’intérêt ne fait aucun doute. En dépit des mauvais chiffres de la construction individuelle et de la forte concurrence sur les marchés publics, la construction en bois demeure un marché très porteur.
Pierre Buray, repreneur voici trois ans de Gico, spécialiste installé à Xonrupt-Longemer
L’entreprise a porté sa production annuelle de 60 à 100 maisons à ossature bois en trois ans. L’entreprise, qui compte 50 salariés, prévoit de réaliser 7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011. Elle s’apprête à mettre en service une filiale dédiée à la fabrication de murs, de planchers et de toitures en bois. Implantée sur 7 000 mètres carrés à Golbey, près d’Épinal, Gico Industrie s’inscrit dans le projet de Green Valley, la société d’économie mixte portée par la communauté d’agglomération d’Épinal-Golbey, pour attirer des entreprises d’éco-construction. Depuis juin, ce cluster fait partie des grappes d’entreprises sélectionnées par la Datar, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.
Green Valley regroupe une demi-douzaine de membres dont Fibre Lorraine, Gico, le papetier norvégien Norske Sgog et la start-up NR Gaïa, qui a mis en service en 2010 une unité de production de ouate de cellulose à base de papier journal, d’une capacité de 40 000 tonnes par an. Leader européen des systèmes d’isolation en fibres de bois pour les professionnels, le suisse Pavatex annonce l’implantation d’ici à 2013 d’une usine de panneaux à Golbey, en partenariat avec Norske Skog. Ce projet représente un investissement de 60 millions d’euros et créera une cinquantaine d’emplois.
Fortement impliqués dans la croissance de la filière bois, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux multiplient les chantiers pilotes démontrant la performance de cet écomatériau dans les constructions les plus complexes. Le conseil général des Vosges a ainsi fait bâtir deux collèges en bois. Le Toit Vosgien a démontré l’an dernier la faisabilité d’un HLM passif de quatre étages à ossature bois. Premier producteur français de feuillus, avec près de 2 millions de mètres cubes chaque année, le département expérimente désormais la valorisation du hêtre dans la construction.
Vivier de compétences
Répondant à un appel à projets lancé par l’Association des maires des Vosges, la commune forestière de Tendon a fourni gracieusement 40 hêtres pour édifier un bâtiment périscolaire de trois étages en caissons, conçu par des ingénieurs du Centre régional d’innovation et de transfert de technologie (Critt) bois d’Épinal. Placé sous la maîtrise d’oeuvre d’un cabinet d’archite vosgien, ce chantier expérimental doit démontrer à l’échelle nationale l’opportunité d’une filière courte permettant de valoriser localement un bois jusqu’à présent utilisé prioritairement en menuiserie.
Du 15 au 19 septembre, le salon Habitat d’Épinal mettra en vedette les acteurs de ce succès régional. Fer de lance de la recherche, le campus Fibres d’Épinal regroupe sur un même site le Critt bois, l’École nationale supérieure des techniques et industries du bois (Enstib) et le pôle de compétitivité Fibre du Grand Est. L’éco-construction et l’éco-conception se trouvent au centre de la R et D du pôle, qui fédère quelque 450 membres, dont 350 entreprises lorraines et alsaciennes.
Le pôle excellence bois de Lorraine fait certainement des envieux dans les autres régions de France. Bénéficiant d’un vivier de compétences en adéquation avec les besoins des entreprises, la région est en position de transformer son bois en or.
Aude Barlier, la déléguée générale du Groupement interprofessionnel de promotion de l'économie du bois en Lorraine (Gipeblor)
67,5 millions d’euros
C’est le montant des investissements industriels qui seront réalisés dans les Vosges d’ici à 2013.
« Une main-d’oeuvre qualifiée et des débouchés de proximité »
Nous avons toutes les raisons de nous réjouir d’avoir repris en 2009 la menuiserie Couval, basée à Rupt-sur-Moselle. Unique site bois de notre groupe, qui compte trois autres usines dans le Bas-Rhin, le Maine-et-Loire et les Côtes d’Armor, l’usine vosgienne nous a permis de créer une nouvelle génération de fenêtres bois-alu. Notre effectif est passé à 80 salariés. Nous avons augmenté d’un tiers notre capacité de production et avons enregistré en 2010 un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros, en progression de 15 % par rapport à 2009. Nous trouvons dans les Vosges une main-d’oeuvre qualifiée et des débouchés de proximité, tels la station de ski du Hohneck, entièrement reconstruite par le groupe Labellemontagne, qui lance une extension. Notre seul regret concerne l’incapacité du marché français à nous livrer le pin dont nous avons besoin. Nous sommes obligés d’importer les carrelets bois que nous usinons. Il ne manque qu’un petit coup de pouce pour que la filière bois locale puisse nous approvisionner dans les dimensions et les quantités voulues.
Hans-Werner Hilzinger, PDG d'Hilzinger France
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