Expert-comptable et commissaire aux comptes, Bernard Stirnweiss a présidé la chambre de commerce et d’industrie d’Alsace d’avril 2015 à décembre 2016. Désormais président de l’association Fond’action Alsace, ce fervent partisan de la coopération transfrontalière revient sur une période charnière.
Quel bilan tirez-vous de la présidence de transition que vous avez assurée durant vingt mois ?
Ma mission principale consistait à mettre à bon vent la CCI d’Alsace Eurométropole en fusionnant les chambres de commerce de Strasbourg, de Mulhouse et de Colmar. J’ai structuré une nouvelle organisation territoriale pilotée à partir de Strasbourg et partagée avec les Lorrains, qui veille à conserver aux chambres territoriales leur caractère de proximité. Désormais structuré, ce projet ouvre de grandes perspectives. Je suis fier de l’avoir porté dans un contexte budgétaire très tendu.
Quelle place la coopération transfrontalière a-t-elle occupé dans votre projet ?
La coopération transfrontalière était déjà mutualisée et rattachée à la direction régionale. Le transfrontalier est imprimé comme une marque : c’est le domaine dans lequel la chambre de commerce d’Alsace se différencie. Les chambres consulaires s’investissent dans les quatre piliers de la Région Métropolitaine Trinationale du Rhin Supérieur – les sciences, l’économie, la société civile et la politique, qui s’est fixé un nombre limité et précis de 10 objectifs. Les élus et les permanents de ces réseaux se connaissent et savent travailler ensemble. L’une de leurs plus belles réussites est création du campus européen Eucor à Strasbourg. Nous sommes également partie-prenante du groupement européen de coopération transfrontalière Pamina et de l’eurodistrict Strasbourg-Ortenau. Les réseaux transfrontaliers existent depuis plus de quarante ans et ne demandent qu’à renforcer leur coopération. Nous avons porté le flambeau et le nouveau président, Jean-Luc Heimburger, est déterminé à poursuivre dans cette voie.
Dans quelle mesure les CCI pourront-elles contribuer à la coopération transfrontalière ?
Elles peuvent jouer un rôle important dans la revitalisation de l’emploi frontalier. La CCI d’Alsace et la IHK Südlicher Oberrhein se sont emparés de la question du détachement de travailleurs étrangers. Cette mesure, inscrite dans la directive européenne Bolkenstein pour éviter le dumping social, nuit à la fluidité du marché frontalier. Saisie par les professions du BTP, l’administration française applique depuis plusieurs mois une interprétation très restrictive. Pour venir installer une cuisine en France, un artisan allemand doit apporter la preuve qu’il n’existe pas de compétences locales. Un blanchisseur qui effectue sa tournée de ramassage de linge sale est tenu d’indiquer chaque jour ses horaires de déplacement. L’administration française demande aux entreprises allemandes des informations qu’elles jugent confidentielles, comme leur chiffre d’affaires ou les salaires pratiqués. Ce problème affecte l’Alsace, mais plus généralement toutes les zones d’emploi frontalières. Nos partenaires allemands et nous-mêmes avons saisi les parlementaires européens, les ministères français et le Bund pour faire valoir un droit à l’expérimentation qui résoudrait ce problème.
Au-delà des questions législatives, il existe des coopérations à approfondir et des pistes à explorer. Nous avons initié des opérations de marketing croisées avec le Bade-Wurtemberg. Nous mobilisons également le réseau de l’Union européenne des chambres de commerce pour établir des liaisons entre le Danube, le Rhin et l’axe fluvial est-ouest Paris-Normandie. Présidente du Port autonome de Strasbourg, Catherine Trautmann porte une vision très européenne des connexions ferroviaires et multimodales.
Comment vos partenaires allemands appréhendent-ils la réforme territoriale ?
Lors des réunions que nous avons organisées sur ce thème à Bâle, Fribourg et Sarrebruck, nous avons perçu des messages d’inquiétude. Nous nous efforçons de rassurer nos interlocuteurs en leur disant que le Grand Est ne peut pas ignorer ses 800 kilomètres de frontières. Cette coopération doit trouver des pilotes. Côté français, Philippe Richert a réaffirmé en fin d’année dernière qu’il faisait du transfrontalier une priorité. En Sarre, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente du Land, a l’expérience de la coopération grâce à la Frankreichstrategie. Les initiatives pour relancer le processus peuvent partir de l’Alsace et de la Sarre. Sur le plan institutionnel, le risque de dilution de la coopération existe, tant au nord qu’au sud. Il existe dans le Grand Est un corridor frontalier très motivé qui ne demande qu’à se coordonner, mais qui manque d’information et de coordination. Le Rhin supérieur et la Grande Région devront repenser leur fonctionnement pour relancer la coopération à une nouvelle échelle sans renoncer à ce qui a été fait.
Propos recueillis par Pascale Braun
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