Le Nord-Est a misé sur la biomasse forestière pour alimenter des chaufferies industrielles et collectives d’envergure, avant de s’inquiéter brusquement de l’accès à la ressource.
La biomasse lorraine flambe-t-elle ? Cofely Services inaugurera en octobre, à Forbach (Moselle), une centrale de cogénération d’une capacité de 24 MW thermiques et 6,4 MW électriques. Elle consommera chaque année 69 000 tonnes de rémanents de bois issus du massif forestier de l’est mosellan. Retenue dans le cadre de l’appel à projets du Fonds chaleur en 2009, cette centrale d’un montant de 30 millions d’euros est le plus grand chantier national de la branche énergie de GDF Suez pour 2013.
En début d’année, la société d’économie mixte UEM, ex-régie municipale de Metz, a mis en service pour 50 millions d’euros une chaufferie à biomasse de 45 MW, consommant 100 000 tonnes par an de plaquettes forestières. Nancy (Meurthe-et-Moselle) se prévaut d’un réseau de chaleur de 11 kilomètres, alimenté à 60% par des énergies renouvelables. Dalkia a créé une cinquantaine d’emplois en implantant à Velaine-en-Haye (Meurthe-et-Moselle) une plate-forme de préparation et de stockage de biomasse d’une capacité de 80 000 tonnes par an et mobilise 12 000 tonnes de bois local pour alimenter le réseau urbain de Saint-Dié-des-Vosges.
Les grands chantiers en berne
Inexistante voici dix ans, la filière biomasse fournit désormais 191 chaufferies bois, dont 49 installations industrielles. Papetiers, entreprises de sciage et fabricants de panneaux ont ajouté la plaquette forestière à leur mix énergétique. Dans les Vosges, le papetier Norske Skog, qui s’est doté en 2007 d’une centrale à cogénération biomasse, fait figure de pionnier. Il projette d’injecter 4 millions d’euros dans la transformation d’une chaufferie pour valoriser les sous-produits des implantations attendues dans la Green valley de Golbey, près d’Épinal. Les Papeteries des Vosges, situées à Laval-sur-Vologne, et la Fromagerie de l’Ermitage de Bulgnéville investissent respectivement 8 et 4 millions d’euros dans des installations biomasse.
Mais les plus gros projets industriels sont restés lettre morte. À Laneuveville-devant-Nancy (Meurthe-et-Moselle), la soudière Novacarb a renoncé à se doter d’une chaufferie mixte bois-paille-miscanthus, qui aurait mobilisé un investissement de 50 millions d’euros, faute de pouvoir garantir la pérennité de l’approvisionnement en paille. La conjoncture économique morose a mis à mal trois grands projets vosgiens portés par les papeteries Clairefontaine à Étival par le fabricant de panneaux Egger, à Rambervillers, et par le groupe EO2, filiale d’ONF, à Remomeix. Retenus lors des appels d’offres nationaux, les trois projets, qui ont une consommation annuelle de 325 000 tonnes de bois, arrivent au terme des délais d’éligibilité au fonds Biomasse (BCIAT) sans avoir émergé. Dans la Meuse, le projet de l’opérateur Nerea, qui compte vendre sa vapeur à l’usine de biodiesel Inéos et à l’usine de poudre de lait Lacto Sérum implantées à Baleycourt, n’est pas encore en phase de concrétisation.
La relative stabilité du prix du gaz, le faible coût du charbon et l’éventualité du gaz de schiste n’incitent guère les industriels à investir dans des installations longues à amortir. Il subsiste néanmoins un petit souffle d’écoconstruction. Si la filière biomasse continue à se structurer, elle est en mesure de répondre à de nouveaux projets.
Jacques Beylot, le directeur de l’agence lorraine de Cofely
Les projets avortés auraient pu permettre à la filière biomasse de se lancer sur d’autres pistes, mais la Lorraine s’est brusquement inquiétée de la pérennité de sa ressource. Tandis qu’une étude Cemagref datant de 2009 évaluait la ressource à quelque 1,3 million de tonnes par an, les estimations de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Lorraine, publiées en 2012, tablent sur 450 000 tonnes de bois annuellement disponibles. Cette spectaculaire révision intègre des données complexes telles que l’accessibilité de la ressource, la protection des espaces naturels sensibles et la proximité des points de captage.
Favoriser les circuits courts
Sur ces nouvelles bases, le conseil régional de Lorraine et l’Ademe ont décidé de stopper les aides à la filière biomasse et de n’accepter les nouveaux projets qu’à hauteur cumulée de 40 000 tonnes de plaquettes forestières supplémentaires par an. Les grandes installations, qui ont vu le jour à Metz ou à Forbach, seront donc irréalisables à l’avenir.
Le bois énergie constitue la filière ultime de la filière bois et ne doit en aucun cas concurrencer le bois industrie, qui génère une valeur ajoutée nettement supérieure et représente plus de 8 000 emplois en Lorraine.
Aude Barlier, la déléguée générale du Groupe interprofessionnel de promotion de l’économie du bois en Lorraine (Gipeblor)
La structure, qui fédère les producteurs forestiers, les professionnels du bois d’œuvre (sciage, construction, ameublement), les industriels de la deuxième transformation (papeteries, fabricants de panneaux) et les spécialistes du bois énergie, représente 4 500 entreprises employant 23 000 personnes pour 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Craignant que la demande en bois énergie ne déstabilise une filière éprouvée par des pertes d’emplois massives, Gipeblor prône un retour à de petits projets privilégiant les circuits courts.
Industriels, collectivités et professionnels de la collecte se refusent à croire condamnée une filière biomasse, qui démontre depuis une décennie des capacités d’organisation [ndlr : lire l’entretien ci-dessus].
La biomasse forestière n’est pas illimitée, mais elle est une belle ressource qui a apporté une bouffée d’oxygène à la filière bois. Elle contribue à créer et à maintenir l’emploi dans la région.
Marc Volpini, ingénieur à l’Ademe Lorraine
« Ces tonnages tuent tout projet structurant »
Alain Jacquet, directeur de la coopérative Forêts & bois de l’Est à Épinal (60 salariés, 120 emplois induits dans la gestion et la collecte).
Que pensez-vous des projets biomasse lorrains limités à 40 000 tonnes cumulées par an ?
Ces tonnages sortis d’un chapeau tuent dans l’œuf tout projet structurant en Lorraine. Naguère, on évaluait la ressource à plus de 1?million de tonnes. Aujourd’hui, on bascule dans l’excès inverse. Or la filière a prouvé qu’en regroupant ses acteurs, elle parvenait à alimenter de manière pérenne de grands projets biomasse.
Selon vous, la ressource en bois reste importante ?
Certainement ! Toute la question est de faire sortir le bois de la forêt. Pour améliorer l’accès à la ressource, il faut structurer une multitude de petits propriétaires forestiers, repenser l’organisation de la collecte et des transports. Certes, deux filières, le bois énergie et le bois industrie, sont susceptibles d’utiliser le même produit. Mais il y a de la place pour tout le monde, à condition d’anticiper les besoins et de structurer la filière.
Les restrictions en vigueur constituent-elles un coup d’arrêt à la filière ?
Non, car les grands projets se développeront ailleurs, dans les régions limitrophes ou frontalières. Rien ne les empêchera de s’approvisionner en bois lorrain. Les barrières ne serviront à rien. La solution n’est pas de verrouiller ou de limiter, mais de permettre à la biomasse lorraine de s’organiser autour de grands projets.
- 40 000 tonnes : C’est la quantité maximale de bois mobilisable chaque année par les nouveaux projets biomasse lorrains.
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