Pour atteindre l’autosuffisance énergétique, la commune conjugue la méthanisation agricole, le bois-énergie et le solaire. Laboratoire des solutions alternatives, elle fait figure d’exemple au Luxembourg et dans les pays voisins.
L’accueil est sobre et efficace. A Beckerich, commune de 2 300 habitants nichée dans les collines boisées de l’ouest du Luxembourg, on ne s’émeut plus de recevoir une centaine de délégations par an.
Nous accueillons des journalistes, des élus, des professionnels du chauffage, des enseignants, des scolaires… L’accompagnement des visites va finir par représenter un temps plein !
plaisante Isabelle Bernard-Lesceux, membre de d'Millen
Basée au moulin de Beckerich, cette association guide les visiteurs à travers la commune qui s’achemine tranquillement vers l’indépendance énergétique.
Le réseau de chaleur gagne des abonnés
En pleins champs, une station de méthanisation (d’une puissance de 600 kW électriques et 750 kW thermiques) absorbe des déchets agricoles qui nourrissent deux digesteurs de 1 270 m3chacun et produisent 2,5 m3de biogaz par an. L’eau chauffée à 83 ° alimente un réseau de chaleur communal de 14 km qui dessert aujourd’hui l’ensemble des bâtiments communaux, cinq entreprises – dont l’usine d’embouteillage des eaux Cristalline – et soixante habitations.
Le raccordement au réseau coûte 17 000 euros par foyer.
Flore Reding, ingénieur et responsable technique de Beckerich
Contribuant à hauteur de 2 500 euros aux frais de raccordement, les particuliers sont équipés d’un échangeur qui restera propriété communale durant vingt-cinq ans, les services techniques en assurant gratuitement la maintenance. Dans un pays caractérisé par un coût du foncier très élevé, ils gagnent la place naguère occupée par la chaudière et la cuve de fuel, économisent les frais d’entretien et achètent leur kilowattheure au prix de 6 centimes d’euro, inférieur à celui du mazout. La commune ne garantit pas de prix fixe, les tarifs fluctuant en fonction des indices des coûts, mais une stabilité de la formule.
Au début des années 2000, le projet de réseau de chaleur a été adopté par référendum à une courte majorité. En 2008, 95 % de la population du hameau de Hovelange a voté en faveur du raccordement. La commune achèvera cette année deux extensions de 800 et 700 m de longueur, portant à 150 le nombre de foyers raccordés, sur les 700 maisons que comptent ses huit villages. Toute extension ultérieure est exclue, les investissements étant jugés trop importants.
La biomasse, premier gisement local
En 2004, au terme d’études de faisabilité portées par la commune, 19 agriculteurs se sont regroupés en coopérative et ont investi 4 millions d’euros dans la construction de la station de méthanisation, subventionnée par l’Etat à hauteur de 47 %.
Chaque année, l’installation traite 17 000 tonnes de lisier, 8 000 tonnes de fumier produites par leurs 2 350 bovins – aussi nombreux que les habitants de la commune – et un millier de tonnes d’herbe et d’ensilage, ainsi qu’une faible part de déchets organiques des ménages, déposés en déchetterie.
Les agriculteurs vendent leur production thermique à la commune à un tarif réajusté tous les six mois en fonction du prix du mazout (3,45 centimes d’euro/kWh mi-2011). Injectée dans le réseau national, l’électricité est achetée par Enovos, fournisseur d’énergies renouvelables issu de la fusion des trois principaux opérateurs nationaux, au tarif de 8,52 centimes d’euro du kilowattheure auxquels s’ajoutent 2,5 centimes de prime de l’Etat.
Les agriculteurs espèrent gagner un an sur le retour sur investissement, initialement programmé en 2018. Dans l’intervalle, ils bénéficient d’un engrais d’excellente qualité issu du digestat et règlent le problème des effluents d’élevage – qui ne sont pas réglementés au Luxembourg.
Afin de répondre à l’extension du réseau de chaleur, Beckerich a ajouté à la station de méthanisation une chaudière à copeaux de bois (2 MW de puissance) importée d’Autriche. D’un coût de 2,3 millions d’euros, ce complément fonctionne du 15 janvier au 15 avril.
Pour l’heure, les quelque 4 000 m3 de copeaux brûlés chaque année sont presque intégralement apportés par les particuliers, les entreprises de traitement des déchets verts et d’entretien d’espaces verts. La commune n’a pas encore dû mobiliser son patrimoine forestier (700 ha), dont l’entretien devrait suffire à alimenter la chaudière, si l’apport volontaire venait à manquer.
Des panneaux photovoltaïques en copropriété
En 2003, Beckerich a construit un hall sportif supportant 220 m2 de panneaux photovoltaïques exploités en copropriété par des habitants. Le succès fut tel que tout nouvel emplacement public propice est désormais placé à disposition de particuliers.
Basée à Beckerich, la société Energilux vend le courant à Enovos à des tarifs variant selon des dates de raccordement. Subventionnés par l’Etat à hauteur de 30 %, des panneaux d’une puissance installée de 1,15 kW coûteront 2 555 euros au sociétaire. Générant en moyenne un millier de kilowattheures par an, ils lui assureront un rendement de 3,9 % par an sur quinze ans, l’investissement lui-même étant amorti en huit ans et demi. Cette formule se développe sur nombre de toitures municipales de Wallonie.
Objectif 2030 au Mené
La communauté de communes du Mené (7 communes, 6 500 hab., Côtes-d’Armor) entend être un « territoire 100 % énergies renouvelables et locales » d’ici 2030, essentiellement grâce à la biomasse. Elle produira plus de 20 % de sa consommation dès 2013. Principaux outils déjà en place : une unité de méthanisation alimentée par des résidus agricoles, une huilerie produisant du colza-carburant et un réseau de chaleur au bois.
En projet : des parcs éoliens de 25 mégawatts.
Beckerich, Luxembourg
Population : 2 300 habitants, 8 villages dans le canton de Redange.
Objectif : Réduire de 60 % la consommation énergétique d’ici à 2025.
Réalisations : Une usine de méthanisation, un réseau de chaleur, une chaufferie bois et des toits photovoltaïques en copropriété.
avantages
- Une production électrique issue de la méthanisation de déchets organiques et de panneaux photovoltaïques couvre la consommation de 700 ménages.
- Un réseau de chaleur de 14 km constitue une exception en milieu rural.
- Un soutien volontariste aux économies d’énergie a permis une vingtaine de chantiers d’isolation de particuliers aidés à 25 % chaque année.
- La suprématie automobile persiste.
- Aucun carburant alternatif n’a été développé sur le territoire.
« Des projets affranchis des contingences électorales »
L’expert – Camille Gira, maire de Beckerich et élu écologiste de la Chambre des députés du Grand-Duché du Luxembourg
La clé du succès réside dans la dizaine de commissions consultatives instaurées à Beckerich, alors que les communes n’en comptent généralement que trois ou quatre.
Quatre-vingts citoyens deviennent ainsi les ambassadeurs de la politique énergétique municipale auprès de la population. Chaque habitant connaît au moins un membre de l’une des commissions et peut s’informer en amont.
Nos projets, qui prévoient des retours sur investissement sur trente à quarante ans, sont indépendants des échéances électorales. Notre réseau de chaleur a coûté cher mais, voici un siècle, nos ancêtres, qui étaient bien moins riches que nous, ont aussi consenti de lourds efforts pour acheminer l’eau potable. A notre tour d’investir pour sortir au plus vite de la dépendance énergétique. Il nous reste de gros efforts à réaliser pour diminuer notre consommation.
Nos fermes du XVIIIesiècle sont belles mais coûteuses à réhabiliter. Nous subventionnons les travaux d’isolation des bâtiments existants et soutenons les maîtres d’ouvrage de nouveaux bâtiments passifs ou basse consommation.
L’énergie est le défi le plus important des trente prochaines années. Nous nous y préparons en valorisant les ressources de proximité, dans un esprit de cohérence et de souveraineté.
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