Dirigé depuis près de 25 ans par un maire écologiste, la commune luxembourgeoise de Beckerich fait figure de laboratoire européen de l’autonomie énergétique. La commune conjugue méthanisation, biomasse et énergie solaire pour valoriser ses propres ressources. Elle s’apprête à lancer une monnaie locale.
Aux confins du Luxembourg et de la Belgique, la discrète commune rurale de Beckerich n’en finit pas d’étonner ses voisins. Dirigée depuis un quart de siècle par le maire écologiste Camille Gira, la bourgade de 2300 habitants relève le pari de l’indépendance énergétique. Dotée d’un réseau de chauffage urbain exceptionnel en milieu rural, la commune produit en local 95% de l’énergie qu’elle consomme. Les panneaux solaires en copropriété ont fait école dans l’ensemble du canton de Redange. Dernière curiosité en date, Beckerich s’apprête à lancer le becki, monnaie locale transfrontalière visant à relocaliser les fruits de la finance.
Nous avons reçu pas moins d’une centaine de groupes depuis le début de l’année. Le rythme des visites s’est encore intensifié cet automne à l’occasion des élections communales en Belgique: les candidats viennent puiser ici des idées qu’ils promettent de mettre en pratique dans leur commune.
Isabelle Bernard-Lesceux, membre de d'Millen, association locale dédiée au patrimoine et au développement durable
Une centrale Alimentée aux déjections animales
Constituée de huit hameaux, la bourgade ne présente pourtant de prime abord qu’un paysage classique de forêts et de champs où pâturent des bovins. Le visiteur remarquera tout au plus quelques travaux de voierie au long du village-rue où s’alignent vieilles fermes et pavillons rectilignes. Cette apparente banalité recèle les clés d’une économie circulaire sans équivalent en Europe. Les vaches – aussi nombreuses que les habitants – et autres animaux d’élevage fournissent grâce à leurs déjections la matière première d’une usine de méthanisation implantée en plein champ.
Cofinancée par l’Etat et par 19 des 22 agriculteurs de la commune, l’installation fournit une puissance de 600 kW électriques et de 750 kW thermiques. La coopérative agricole, qui a investi 4 millions d’euros dans la construction de l’usine en 2004, revend sa production électrique à l’opérateur national Enovos. L’énergie thermique trouve un débouché durable dans le réseau de chauffage urbain municipal. La commune achète la chaleur à un tarif régulièrement réindexé sur le cours du fuel.
Les agriculteurs, qui escomptaient un retour sur investissement à l’horizon 2018, sont en passe de gagner un an sur leurs prévisions. Le système leur assure par ailleurs un engrais gratuit d’excellente qualité et règle le problème des effluents d’élevage sans recours à une quelconque législation. Le réseau de chauffage urbain n’a cessé de s’allonger jusqu’à atteindre 14 km et dessert aujourd’hui 260 maisons, l’ensemble des bâtiments communaux et cinq entreprises – dont l’usine d’embouteillage des eaux de Beckerich, fleuron luxembourgeois du groupe Cristalline.
Adopté par référendum à une courte majorité lors de sa présentation au début des années 2000, le projet a été plébiscité lorsqu’en 2008, 95% des habitants du hameau de Hovelange, membre de la commune de Beckerich, ont opté pour le raccordement au réseau de chaleur. Pour permettre cette extension, la municipalité a ajouté à la station de méthanisation une chaudière à copeaux de bois d’une puissance de 2 MW pour un montant de 2,3 millions d’euros, ce complément fonctionne du 15 janvier au 15 avril. Les quelque 4000 m3 de copeaux brûlés chaque année sont presque intégralement apportés par les particuliers, les entreprises de traitement des déchets verts et d’entretien d’espaces verts, et n’obèrent pas le patrimoine forestier de la commune.
Les particuliers contribuent à hauteur de 2 500 euros aux frais d’installation et bénéficient durant 25 ans d’une assistance gratuite assurée par les services techniques municipaux. Ils achètent leur kilowattheure au prix de 6 centimes d’euro, inférieur à celui du mazout, et se tiennent à l’abri de la flambée des prix.
Nos projets, qui prévoient des retours sur investissement sur trente à quarante ans, sont indépendants des échéances électorales. Notre réseau de chaleur a coûté cher mais, voici un siècle, nos ancêtres, qui étaient bien moins riches que nous, ont aussi consenti de lourds efforts pour acheminer l’eau potable. A notre tour d’investir pour sortir au plus vite de la dépendance énergétique dans un esprit de cohérence et de souveraineté , explique Camille Gira.
Réélu fin 2011 pour un quatrième mandat de six ans, le maire a eu la satisfaction d’assister cet automne à l’inauguration d’une station de méthanisation municipale dans le petit village belge de Malempré.
Les dividendes du Becki investis localement
Le modèle de Beckerich a également fait école en matière de panneaux solaires municipaux exploités par les riverains en copropriété. En 2004, la commune a placé une installation photovoltaïque de 207 m2 sur le toit de son hall sportif et ouvert aux habitants la possibilité d’y acheter des espaces. Fluctuant au gré des tarifs de rachat, la formule permettait l’an dernier à un particulier qui avait investi 2500 euros dans l’achat de panneaux un amortissement en huit ans et un rendement moyen de 3,9% sur quinze ans.
Toutes les toitures municipales propices sont désormais couvertes de panneaux solaires et la formule se propage dans les communes de Wallonie. Focalisée par son ambition de réduire de 60% sa consommation d’énergie d’ici à 2025, Beckerich s’est appuyée sur ses propres ressources agricoles, forestières et solaires. Dans cette même logique, elle entend aujourd’hui relocaliser les produits de la ressource financière d’un territoire élargi.
Annoncé pour janvier prochain, le becki doit faire son apparition aux caisses et comptoirs du canton de Redange et d’Arlon, chef-lieu de la province du Luxembourg belge, distante d’à peine huit km. La nouvelle monnaie doit encourager la consommation locale, diminuer les transports et soutenir par ses dividendes des projets sociaux et environnementaux.
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