Pouvoirs publics et collectivités pensaient avoir anticipé l’impact de la fermeture des mines de charbon de l’est de la Moselle. Mais en l’espace d’une décennie, les anciennes cités minières ont sombré dans la pauvreté et l’exclusion. Conscientes de l’urgence, quatre intercommunalités mobilisent dans un Scot les politiques de la ville et voient dans la coopération transfrontalière une planche de salut. Mais les projets structurants achoppent sur le manque de moyens et sur les carences de la cohésion territoriale.
Voici dix ans, la fermeture de la mine de Freyming-Merlebach a scellé la fin de 150 ans d’épopée charbonnière. Elle a aussi marqué le délitement d’un modèle de cohérence urbaine et sociale. Les Houillères du bassin de Lorraine (HBL) avaient façonné à leur guise paysages, infrastructures et habitat dans les collines boisées de l’est mosellan. La mosaïque de villes, villages et cités ouvrières dessinée par les houillères a toujours été marquée par des frontières invisibles entre anciens bourgs cossus et villages prolétaires, entre paysans et mineurs, entre main d’oeuvre venue d’Europe du sud et de l’est à la fin du XIXème siècle et immigrés d’Afrique du nord de l’après-guerre. La puissance tutélaire de la mine avait néanmoins forgé une culture commune. Celle-ci s’effrite aujourd’hui.
Les 183 communes de l’ancien bassin houiller (264 652 habitants pour une densité est de 186 hab/km2, contre une moyenne régionale de 99 hab/km2) se trouvent aujourd’hui confrontées à des degrés divers au déclin de la population, au manque d’emploi et au lourd passif de l’héritage minier.
Les dernières statistiques de l’Insee témoignent d’un déclin particulièrement marqué dans les bastions historiques de l’activité minière. L’arrondissement de Forbach (Freyming-Merlebach, Stiring-Wendel, Behren-les-Forbach…) a perdu 22 000 habitants depuis 1990, alors que Les villes excentrées du bassin – Sarreguemines, Saint-Avold et Creutzwald – ont vu leur population stagner ou même croître dans la même période.
Sur le plan sanitaire, le bassin houiller cumule d’inquiétants records en matière de cancers, de maladies respiratoires et de surmortalité. Cinq ans durant, les villes centres du bassin ont défendu la création d’un plateau technique hospitalier unique à Béning. Validé par l’Agence régionale de santé en 2010, le projet d’un montant de 155 millions d’euros a lourdement capoté sur les dissensions internes.
Cet énorme plantage démontre les conséquences du manque de cohésion du bassin, qui n’a pas su s’entendre sur l’essentiel. Cet échec aura au moins permis d’esquisser un « G4 » regroupant la communauté d’agglomération Forbach-porte de France et les communautés de communes du Warndt, de Freyming-Merlebach et du Pays naborien.
Jean Michels, secrétaire général de la communauté d’agglomération Forbach – Porte de France
Naguère bien loti avec une demi-douzaine d’hôpitaux édifiés par les HBL, le bassin houiller se trouve aujourd’hui contraint d’imaginer des rapprochements entre hôpitaux éloignés, le développement de la médecine ambulatoire et le recours aux équipements du Land allemand voisin de Sarre.
Le retrait des houillères a induit le même déséquilibre en matière de logement. La mine a laissé derrière elle quelque 70 cités construites tantôt au pied des carreaux, tantôt entre champs et forêts. Excentrées, disproportionnées, ces cités naguères prospères et laborieuses s’asphyxient dans un contexte économique radicalement modifié.
Adaptations résidentielles
Partenaire fidèle du bassin houiller, la SNI Sainte-Barbe a consacré 940 millions d’euros en dix ans au parc immobilier des Houillères, soit 15 000 logements répartis sur 26 communes. Aux rénovations thermiques lourdes ont succédé des efforts de résidentialisation et d’adaptation de l’habitat aux populations vieillissantes. Les réhabilitations de grande ampleur réalisées par l’ensemble des bailleurs du bassin ont donné un coup de jeune aux cités décaties, mais la population, en large partie composée d’anciens mineurs, de leurs épouses ou de leurs veuves, avance en âge. La SNI Sainte-Barbe évalue à 27 % le nombre d’habitants de son parc qui auront dépassé 75 ans d’ici à 2025. Or, un revenu moyen de 1 800 euros pour un couple rend prohibitif le coût d’une maison de retraite.
Nous avons commencé à proposer des petits logements adaptés de 65 m2 entièrement accessibles. La prolongation du maintien à domicile suppose également le maintien de commerces de proximité, le développement des aides à domicile et le relais important de la domotique.
Philippe Blech, directeur général délégué de la SNI Sainte-Barbe
Le bailleur a doté ses pavillons pilotes de capteurs, de chemins lumineux, de dispositifs d’alertes et de liaisons internet adaptées au grand âge. Les équipements, qui constituent un surcoût de 8 000 euros par appartement, devraient être pris en charge par le conseil général de la Moselle.
Propriétaires de la majorité des 2 972 logements de Behren-lès-Forbach, la SNI Sainte-Barbe et Nouveau logis de l’Est, tous deux filiales de la Caisse des dépôts( Nouveau Logis et SNI -Sainte-Barbe) se sont engagés aux côtés de l’OPH Moselis et de la Foncière Logement dans un programme Anru.
Conventionnée en juin 2011, l’opération d’un montant de 64 millions d’euros vise à réduire et à reconfigurer cette ville de 9 200 habitants devenu un prototype des cités minières en souffrance. Entre 1957 et 1962, les houillères accolèrent au village 5 000 logements préfabriqués pour loger à la hâte les mineurs étrangers. Excentrée et surdimensionnée, la Cité de Behren constituée de petits collectifs en « morceaux de sucre » s’est muée en îlot de misère où la population survit avec moins de 450 euros par mois. Le parc est occupé à 60 % par des « ayant-droits » bénéficiant d’un logement gratuit à vie. Confrontés à la sous-qualification – 63 % des plus de 15 ans n’ont aucun diplôme – et à l’impossibilité matérielle de se rendre sur un lieu de travail faute de transports en commun, les jeunes s’enlisent dans le désœuvrement.
Reconstruire l’attractivité de Behren-les-Forbach relève de la gageure. L’opération Anru s’y est néanmoins essayée. Avec 544 démolitions pour 40 créations de logements pour personnes âgées dépendantes, le programme vise explicitement à dédensifier la Cité. Les emprises libérées par les démolitions permettent de créer des voiries et de faire émerger un nouveau centre-ville. Implanté sur 800 mètres carrés sur l’emprise de tours détruites, le marché hebdomadaire constitue l’une des plus grandes animations commerciale de l’est mosellan. Classée aux Bâtiments de France et désacralisée, l’église nomade de Jean Prouvé abrite la bibliothèque municipale. Associé aux études de l’Anru, l’Epareca pourrait s’engager dans la reconfiguration de l’offre commerciale qui s’éparpille en quatre centres plus ou moins désaffectés. La rénovation urbaine ne lésine pas sur la vidéosurveillance, qui constituera un réseau de 34 caméras.
L’insécurité s’est muée en thématique récurrente dans les villes du bassin dont le Front national compte faire une terre d’ancrage. Les violences urbaines éclatent périodiquement. A Forbach, le Wiesberg concentre un millier de logements dans quinze tours bleu ciel entourées de petits collectifs. Conçu dans les années 60 par l’architecte Emile Aillaud, le quartier de quasi-centre-ville, doté de logements spacieux et de larges espaces verts, a connu des jours heureux. Aujourd’hui, il se ghettoïse.
« Il faut raser les tours bleues du Wiesberg », s’est exclamé en novembre 2012 Alexandre Cassaro, opposant UMP à la mairie socialiste de Forbach. Ses propos ont ouvert une polémique urbanistique et politique entre partisans de nouvelles zones pavillonnaires et défenseurs du patrimoine. Partagés, les habitants se refusent à imputer à l’architecture l’entière responsabilité du mal-être social.
Un Scot à l’échelle du bassin
Le scot (Shéma de cohérence territoriale) Val de Rosselle, dont le DOG (Document d’Orientation Générale) a été arrêté fin 2010, inscrit enfin à l’échelle du bassin les aspirations de quatre intercommunalités, soit 47 communes longtemps affaiblies par l’omnipotence de la mine. Rédigé en concordance avec son équivalent sarrois, le Leitbild, le document s’inscrit dans l’Eurodistrict SaarMoselle, également constitué en 2010. Il préconise de requalifier l’espace autour des noyaux urbains du territoire et d’y densifier l’habitat. Pour l’heure, les élus ne se sont pas montrés outre mesure enclins à limiter l’éclosion des zones pavillonnaires ni à contrer l’étalement urbain.
Dans le cadre du Grenelle II, le scot fixera des ratios de densité que les communes seront bien obligées de respecter. Le scot constitue notre planche de salut à condition d’en respecter les engagements.
Paul Fellinger, président du syndicat mixte du Scot
Le schéma préconise également la mutualisation des équipements et le développement partagé de zones d’activité existantes ou à créer.
La coopération transfrontalière patiemment édifiée par deux générations d’élus et de fonctionnaires trouve également son aboutissement dans les projets liés à l’énergie sous la houlette des houillères sarroises, qui ont cessé l’extraction il y a un an à peine. En Moselle, la société European Gaz Limited (EGL) a annoncé l’aboutissement d’un projet d’exploitation du gaz de grisou resté dans les limbes depuis près de vingt ans. Les progrès technologiques et la hausse du coût du gaz rendraient dorénavant rentable l’exploitation d’un gisement qu’EGL estime à 28 millions de mètres cubes de méthane fossilisé.
L’hypothèse réveille l’espoir d’un nouvel Eldorado est-mosellan. Pour l’heure, l’expérimentation la plus aboutie est l’œuvre du Syndicat mixte de transport et de traitement des déchets ménagers de Moselle-Est. Le Sydème a patiemment détecté un gisement annuel de 42 000 tonnes de déchets ménagers fermentescibles auprès de 14 intercommunalités de l’Est mosellan. La collecte alimente l’usine de méthanisation Méthavalor, construite par le Sydème au terme d’un investissement de 38 millions d’euros. La production permet d’alimenter un réseau de chaleur, d’injecter du biométhane dans le réseau de GRDF et de fournir sa propre flotte de bennes de collecte en gaz naturel.
Le « modèle de Forbach » a d’ores et déjà initié la création d’une usine de sacs poubelles et développé l’emploi parmi les entreprises d’insertion. Preuve tangible de la viabilité de l’économie circulaire, le projet doit se poursuivre par la création de fermes énergétiques et le renforcement de la coopération avec la Sarre. A cheval sur la frontière, une décennie d’efforts d’élus et de fonctionnaires territoriaux a bel et bien fait naître une énergie nouvelle.
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