L’univers du luxe s’avère bien moins âpre que celui de la grande distribution. L’innovation y est moins coûteuse, moins risquée, et toute nouveauté y est accueillie à bras ouvert.
Marc Leclerc
Directeur général des cristalleries de Baccarat depuis 1995, Marc Leclerc fonde son analyse sur vingt ans de pratique de l’industrie agroalimentaire. Entré chez Unilever en 1974, l’ingénieur a successivement dirigé la logistique d’Astra Calvez, spécialisé dans les huiles et margarines, puis une unité de cartonnages pliants, elle-même reprise par un leader mondial du fût métallique, avant d’opérer en 1995 une reconversion radicale dans l’univers du luxe en intégrant la direction de Baccarat.
Spécialiste de la grande consommation, j’ai mis à profit ma connaissance du marketing et de la distribution. Dans les hypermarchés, la notoriété d’une marque confère 50 % de plus-value au produit. Le luxe va bien plus loin, mais joue sur les mêmes ressorts.
Marc Leclerc
L’ancien cadre de multinationale bascule dans un univers jugé « presque familial », celui du groupe du Louvre, qui a acquis en 1994 une cristallerie lorraine prestigieuse, mais vieillissante.
Anne-Claire Taittinger, présidente du groupe, avait une vision de la marque. L’idée d’une diversification dans les bijoux avait déjà germé et le groupe était prêt à prendre des risques pour la mener à bien.
Marc Leclerc
« Luxe hédoniste »
Dès sa prise de fonction, l’homme s’immerge durant deux mois à la manufacture meurthe-et-mosellane pour observer, sans mot dire, le travail des quelque 800 ouvriers.
J’ai été ébloui par le savoir-faire des verriers. Je partage leur motivation, leur sens de l’histoire, la sensation de s’inscrire dans une course de relais entamée voici plus de deux siècles et dans laquelle on n’a pas le droit d’échouer.
Marc Leclerc
Pour contrer le déclin des arts de la table, la marque a misé sur les bijoux et s’oriente à présent vers les fourrures et la maroquinerie serties de cristal.
Baccarat constitue une marque de luxe globale et reconnue comme telle. Nous devons basculer du luxe statutaire vers le luxe hédoniste en proposant des articles qui continuent à faire rêver, mais qui se portent ou s’utilisent au quotidien.
Marc Leclerc
A Baccarat, les verriers ne cachent pas leur inquiétude quant à la pérennité de l’extraordinaire savoir-faire de l’entreprise – qui compte une vingtaine de meilleurs ouvriers de France.
Marc Leclerc affirme son attachement aux savoir-faire traditionnels, mais certains choix stratégiques, tel le recours à la sous-traitance ou la création de pièces requérant très peu de main-d’oeuvre, tendent à démontrer le contraire.
Hubert Weiss, délégué Sud Verre de l'entreprise
Présenté le 20 mars dernier, le plan d’adaptation des effectifs de la manufacture, qui prévoit 96 suppressions de poste alors même que l’entreprise reste bénéficiaire, a suscité une vive opposition.
L’onde de choc qu’a générée le 11 septembre dans l’univers du luxe met en évidence une évolution qui n’est pas nouvelle. Les consommateurs, habitués à des produits de haute technologie à bas prix, ne sont plus disposés à payer la main-d’oeuvre. Nous devons en permanence innover pour relancer le marché, mais même si nous y parvenons, la main-d’oeuvre productive au sens strict régressera. En revanche, les effectifs progressent dans la conception, la vente et les services.
Marc Leclerc
Continuité
Très impliqué dans les choix industriels, l’ingénieur assiste aux comités de sélection des pièces, mais ne revendique pas la fibre créatrice. Une approche prudente que stigmatisent certains détracteurs, considérant que l’actuelle direction surfe sans audace excessive sur le succès des bijoux en cristal.
Marc Leclerc présente certainement un caractère stable et rassurant, mais l’entreprise reste dans l’attente d’une nouvelle idée de génie, d’un projet ambitieux qui marquerait un nouveau départ.
un cadre de l'entreprise
Fermement attaché à la continuité d’une marque ancrée dans le monde du luxe depuis plus de deux siècles, Marc Leclerc revendique une évolution alliant artisanat et haute technologie.
Lorsque les ouvriers fabriquaient les pièces qu’ils allaient présenter à l’exposition universelle de 1902, ils mettaient en oeuvre les plus hautes technologies de l’époque. Ils ne se considéraient pas comme des artisans d’art, mais comme des précurseurs. Je veux travailler dans ce même esprit, pour que la manufacture produise aujourd’hui les pièces des musées de demain.
Marc Leclerc
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