Après huit ans à la direction de l’agence d’urbanisme de Lorraine Nord, Agape, Aurélien Biscaut vient de rejoindre la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT) en tant que secrétaire général. Il tire d’une décennie d’interventions à la frontière luxembourgeoise une analyse critique, mais des convictions intactes.
L’Agape s’est impliquée dès 2010 dans le lancement de l’Opération d’intérêt national (OIN) Alzette-Belval. Quel bilan tirez-vous de cette décennie de développement concerté ?
L’OIN est symptomatique du transfrontalier : on n’aménage pas ensemble, mais l’un à côté de l’autre, faute de gouvernance commune. Ce constat vaut pour l’ensemble du territoire, mais il est particulièrement visible entre l’OIN Alzette-Belval et l’agglomération luxembourgeoise. Il existe certes un groupement européen de coopération territoriale (GECT), mais il n’intervient que sur un micro-territoire qui ne répond pas à l’ampleur des enjeux. Je suis d’autant plus critique que je crois en ces territoires. Compte tenu de la croissance économique de l’agglomération luxembourgeoise, si la co-construction fonctionnait, tout l’espace frontalier devrait être extrêmement prospère.
Quels obstacles avez-vous identifiés ?
Le transfrontalier, ce ne sont pas des problèmes qui s’ajoutent les uns aux autres, mais des problèmes à l’exposant. Les Etats veulent conserver leur souveraineté, les difficultés techniques et réglementaires perdurent, le fonctionnement du millefeuille français n’est pas simple. Sur l’espace franco-luxembourgeois, où la mobilité est la mère des batailles, il n’existait aucun outil de prospective. C’est un peu comme si l’on faisait le Grand Paris sans indicateur ! Je suis d’autant plus fier du projet européen Mmust. Piloté par l’Agape, cet outil unique en Europe associe 23 partenaires de trois pays pour modéliser les circulations des hommes et des marchandises. Je suis également très satisfait de constater la validité des statistiques de l’Agape. Voici quinze ans, pas un élu ne croyait à nos prévisions. Elles se sont pourtant toutes avérées, avec au plus six mois de marge d’erreur.
L’expérience acquise sur l’espace franco-luxembourgeois vous semble-t-elle transposable à d’autres frontières ?
Chaque territoire frontalier a ses spécificités et son identité. Les interconnections Lorraine Nord-Luxembourg et Annemasse-Genève présentent beaucoup de similitudes, avec de forts enjeux en termes d’emploi et de mobilité. Le territoire franco-bâlois présente un degré d’intégration moindre. Dans l’espace franco-genevois, l’effet levier fonctionne : en cinq ans, le pôle métropolitain du Genevois français, doté de moins de trois millions d’euros, est parvenu à lever un milliard d’euros d’investissement ! Les GECT ont besoin de moyens. A défaut, on peut avoir les plus beaux projets du monde, on ne peut que rêver. Des espaces métropolitains se structurent à Strasbourg, à Lille ou au Pays basque, avec parfois des coopérations très riches en termes de culture, de tourisme et de loisirs. Je note également des échanges intéressants entre les Ardennes et la Belgique. Le transfrontalier est aussi une réalité rurale : ce n’est pas parce qu’il y a moins de flux qu’il y a moins d’enjeux.
Quel rôle les territoires transfrontaliers peuvent-ils jouer dans la construction européenne ?
Le transfrontalier est le symbole de l’Europe. Voici bien trente ans que l’on parle des espaces frontaliers comme d’autant de laboratoires de l’Europe. Tant que ces territoires n’iront pas bien, l’Europe ira mal. Dans un contexte de défiance généralisée et de repli sur soi, le défi est important. Si les espaces frontaliers dont nous voulions faire des carrefours redeviennent des culs-de-sac, il faut s’inquiéter pour la suite.
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