Les réfugiés arrivés après la crise migratoire de 2016 commencent à s’insérer sur le marché du travail grand-ducal. Face à des incompréhensions réciproques, le projet pilote Inter-C prône le dialogue entre PME et bénéficiaires de la protection internationale pour faciliter une intégration durable.
Le Grand-Duché du Luxembourg, qui a accueilli 2.322 réfugiés en 2017 et un millier de personnes durant les sept premiers mois de 2018, s’est donné les moyens d’organiser sa solidarité. Dès 2016, l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte a mobilisé 12 millions d’euros dans le cadre de l’appel à projets Mateneen, qui a fédéré 67 initiatives associatives portant sur l’accueil, l’intégration et de logement des nouveaux arrivants. Après une longue phase de formalités administratives, les bénéficiaires de la protection internationale (BPI) abordent un marché du travail fortement demandeur de main d’œuvre, mais encore peu préparé à intégrer des personnes déracinées ayant fui les conflits.
Deux associations, EPI (Encouragement-promotion-encouragement, dédié à la réinsertion de jeunes en détresse) et Touchpoints, qui vise à rapprocher les populations locales et immigrées, ont mis leurs compétences respectives en commun pour lancer en octobre dernier le projet Inter-C, qui se donne un an pour mettre en place une méthodologie d’insertion professionnelle.
Les écueils s’avèrent nombreux, mais les réseaux de solidarité sont à l’œuvre pour faciliter une intégration qui prendra du temps.
Martine Neyen, responsable de ce projet pilote financé par la fondation André Losch
Concilier besoins et attentes respectives
L’initiative cible les PME de moins de 100 salariés dans les domaines les plus susceptibles de recourir à la main d’œuvre étrangère – l’hôtellerie, le commerce, la restauration, le secteur de la santé et de l’aide sociale (travail dans les crèches ou les maisons de retraite), ou encore, le nettoyage et les transports. Les entreprises de ces secteurs ont parfois déjà embauché des réfugiés, mais dans sa phase préparatoire, Inter-C a mis en évidence un certain nombre de déceptions de part et d’autre. Les différends se sont traduits par des ruptures du contrat de travail suite à un licenciement ou à une démission.
Nous pensions un peu naïvement que le besoin d’accompagnement s’arrêtait lors de la signature du contrat de travail. Or, ce n’est pas toujours le cas. Notre projet vise à tirer les leçons d’expériences passées et à accompagner tant l’entreprise d’accueil que les BPI, pour concilier au mieux besoins et attentes réciproques.
Martine Neyen
Le décalage entre les attentes des employeurs et la réalité donne parfois lieu à des échanges tendus. Ainsi, un journaliste recruté sur la base de compétences apparemment excellentes en anglais s’est avéré nettement moins performant à l’écrit. Dans les métiers techniques, l’Irak ou la Syrie présentent des normes électriques ou constructives différentes de celle du Luxembourg. Les nouvelles recrues, qui ont tout perdu durant leur exil, se sentent vulnérables et prennent d’autant moins bien les critiques qu’elles ont l’impression de toujours devoir se justifier. Inter-C (comme Creativity, cohesion, connection) compte prôner tact, écoute mutuelle et au besoin, formations complémentaires pour remédier à cet état de fait.
Candidats à la création d’entreprise
Le parcours d’un étranger candidat à la création d’entreprise est semé d’au moins autant d’embûches. TouchPoints a conduit durant deux ans le parcours Sleeves up, qui prépare à la création d’entreprise des personnes ayant obtenu le statut de réfugié.
Nous avons rencontré 250 porteurs de projet, dont une quinzaine ont monté leur activité. Les difficultés tiennent essentiellement à la non-reconnaissance des expériences antérieures et diplômes éventuels, ainsi qu’à l’environnement juridique luxembourgeois qui encadre très strictement la création d’entreprise pour les métiers manuels.
Fabienne Colling, cofondatrice de Touchpoints
Les principales opportunités se situent dans les secteurs de la restauration, de l’entretien des espaces verts ou du nettoyage. Là encore, des désillusions restent à craindre tant le coût des pas-de-porte et des salaires a monté en flèche au Grand-Duché au cours des dernières années. Touchpoints guide les candidats dans un parcours compliqué jalonné d’associations, de centres de formation ou d’institutions qui aideront les BPI à concrétiser leurs rêves. Les femmes, qui constituent 20 % du public aidé, se montrent particulièrement motivées.
Solidarité entre réfugiés
Le succès de l’insertion repose en bonne partie sur la solidarité des réfugiés entre eux. Touchpoints organise chaque mois des repas préparés en groupe, où des BPI ayant réussi leur parcours partagent leurs conseils, leur expérience et leurs réseaux. Entre réfugiés syriens, afghans ou libyens, l’échange s’effectue en anglais, mais les intervenants insistent sur la nécessité de parler au moins deux autres langues, dont le français, pour parfaire l’intégration dans un pays particulièrement polyglotte.
Je parlais anglais en arrivant, mais il m’a fallu deux ans pour apprendre l’allemand et le français et comprendre les règles du pays. Aujourd’hui, je dirige une entreprise de location de véhicules et je me sens ici comme chez moi au Luxembourg. J’aime ce pays sûr et à taille humaine, où il n’est pas trop difficile de se repérer et de faire des rencontres.
Hussein, chef d’entreprise irakien
Les réfugiés ayant obtenu le statut de BPI ont droit au revenu d’insertion sociale, qui se monte au Luxembourg à 1.400 euros par mois. Certains d’entre eux se satisfont provisoirement de ce viatique, mais d’autres se montrent prêts à déplacer des montagnes pour s’intégrer pleinement dans leur pays d’accueil. Inter-C se donne jusqu’en septembre 2019 pour accompagner une quinzaine de binômes PME-BPI, mettre en place des processus d’accompagnement sur mesure et définir de bonnes pratiques reproductibles.
Des statistiques imparfaites
Entre janvier 2014 et octobre 2018, l’Adem, équivalent grand-ducal de Pôle emploi, a inscrit 825 bénéficiaires de la protection internationale et constaté 350 retours à l’emploi, dont 115 en 2017. Mais ces chiffres ne tiennent compte ni des réfugiés ne s’étant pas inscrit – mais qui ont pu trouver du travail par leurs propres moyens – ni du possible double décompte de personnes ayant trouvé un emploi, mais l’ayant quitté.
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