Les sidérurgistes lorrains avaient fait bon accueil au groupe Mittal. Avant de déchanter. Dans les vallées de la Fensch et de l’Orne, ArcelorMittal a laminé l’emploi de ses usines et fragilisé le tissu industriel.
“Mittal voleur, Mittal prédateur ! »
Les invectives résonnent de plus en plus fort dans les manifestations des sidérurgistes, écœurés par l’interminable naufrage des sites lorrains d’ArcelorMitttal. La casse, engagée en 2007 avec la fermeture des trois quarts de l’usine de Gandrange (Moselle), se poursuit avec la perspective de l’extinction des hauts-fourneaux de Florange, les derniers dans la vallée de la Fensch. À cinq ans d’intervalle, ArcelorMittal prépare une nouvelle saignée de plus de 600 postes. Parent pauvre du groupe, le logisticien Gepor craint 126 suppressions d’emplois. Relevant de la convention collective des transports, ses salariés risquent de ne pas bénéficier des reclassements de leurs collègues sidérurgistes. À Gandrange, où ne subsiste qu’un laminoir, les ouvriers redoutent la fermeture du site.
Dans les vallées de la Fensch et de l’Orne, ArcelorMittal a laminé l’emploi de ses usines et fragilisé l’ensemble du tissu industriel. Au début des années 2000, Lakshmi Mittal est pourtant apparu à maintes reprises comme un sauveur de la sidérurgie lorraine. En 1999, les salariés de Gandrange ont fait bon accueil à ce capitaine d’industrie venu relancer un site qu’Arcelor jugeait condamné. Mittal a modernisé l’usine, recruté près de 300 jeunes sidérurgistes et fait sensation en affichant, en 2005, les premiers – et uniques – résultats bénéficiaires. À quelques mois de l’OPA de Mittal sur Arcelor, le site faisait figure de vitrine française du groupe indien. La Lorraine portait alors sur les fonts baptismaux son pôle de compétitivité Matériaux intelligents et produits intelligents (Mipi), taillé sur mesure pour préserver la sidérurgie régionale.
Longue agonie
Initialement dédié aux aciers pour l’automobile, au marché des emballages et à la réduction des émissions de CO2 dans la production d’acier, le Mipi répondait aux ultimes ambitions d’Arcelor. En 2006, la création d’ArcelorMittal a fait naître l’espoir d’un pôle de dimension mondiale. Les optimistes, qui espéraient voir le nouveau géant de la sidérurgie européenne piloter une recherche de pointe à partir de ses laboratoires lorrains et luxembourgeois, furent vite déçus. Les équipes d’ArcelorResearch de Maizières-lès-Metz n’en engagèrent pas moins le grand projet Ulcos (Ultra-low carbon dioxide steelmaking), pour le captage et le stockage du CO2, dont la perspective apparaissait comme un gage de pérennité pour la filière liquide [lire ci-contre]. ArcelorMittal, dopé par la flambée des prix de l’acier, poussait alors les feux à Florange.
Le premier coup de massue n’allait pourtant pas tarder à être asséné. À la fin 2007, la suppression de 695 postes à Gandrange était annoncée. Venu sur le site, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, acclamé par les ouvriers, promit l’aide de l’État pour éviter les fermetures de l’aciérie et du train à billettes. Mais les contreprojets des syndicats demeurèrent lettre morte et… ArcelorMittal engagea son plan social. Au moins Florange était-il sauvé : la direction du site annonçait un investissement de 330 millions d’euros qui devait relancer la production d’acier au cours des quinze prochaines années. La crise a gelé le projet avant que la stratégie erratique d’ArcelorMittal ne conduise, en 2011, à l’annonce de son arrêt définitif. Dans l’intervalle, un redémarrage surprise, suivi d’interminables mois d’attente, ont infligé à la vallée de la Fensch une longue agonie.
« On nous enfume », pestent les syndicalistes de Florange qui portent, par procuration, la colère des 2 000 salariés du site et les craintes du bassin d’emploi. Juché sur une camionnette devant les Grands Bureaux de Florange, le siège de la direction de l’usine, deux mois avant l’élection présidentielle, le candidat François Hollande faisait naître quelque espoir. Il promettait une loi qui obligerait un industriel défaillant à céder son site. Le projet de loi, dont Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, promettait fin septembre le dépôt imminent, est resté dans les cartons. Improbable épouvantail, cette loi d’expropriation n’a joué aucun rôle dans la décision d’ArcelorMittal, qui a accepté, début octobre, d’ouvrir à la reprise la partie la moins viable de son site mosellan. L’État a jusqu’à la fin du mois pour trouver un repreneur pour les deux hauts-fourneaux et la cokerie. Une mission impossible ?
Ulcos, le choc de compétitivité de Florange ?
Le projet Ulcos (Ultra-low carbon dioxide steelmaking), permettant de réduire les émissions de CO2 lors de la fabrication d’acier, facilitera-t-il la reprise de la filière chaude en rendant le site de Florange plus attractif ? Classé en tête des projets éligibles au programme de financement européen NER300, il pourrait être retenu en décembre par la Commission européenne. Choisi comme installation test, Florange gagnerait en compétitivité grâce à des économies sur le coût des quotas d’émission de CO2. L’investissement dépasserait les 600 millions d’euros : l’État contribuerait 150 millions, les collectivités 30 millions, l’Ademe 10 millions, et l’Europe 240 millions. Le reste sera apporté par l’industriel présent sur le site. Ulcos permettrait un bond de productivité. « Inédit depuis quarante ans, estime le leader de la CFDT Édouard Martin. Florange serait au même niveau, voire mieux, que Dunkerque », l’un des deux autres sites avec hauts-fourneaux d’ArcelorMittal en France, avec celui de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
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