Lorraine : fuite des cadres dirigeants du conseil régional
Nouvellement basculée à gauche, dans un environnement majoritairement à droite – soit trois des quatre départements et l’ensemble des grandes villes de la région –, la Lorraine illustre le phénomène actuel de « mercato » politique.
Certains cadres dirigeants de directions générales ont réalisé toute leur carrière dans la maison.
Serge Barcellini, le troisième directeur général des services (DGS) dans l'histoire de la collectivité
Aussi, le changement de majorité à la tête de la région a-t-il provoqué des inquiétudes qui se sont traduites par la multiplication des départs de hauts fonctionnaires.
Ils sont dans le milieu depuis longtemps, ils ont donc des réseaux et ils sont réputés pour être de bons fonctionnaires.
Serge Barcellini
Ainsi, plus que le principe, c’est la méthode qui agace l’équipe dirigeante.
Les collectivités ont fait leur marché chez nous. Ils se sont activés dès l’entre-deux tours. L’un des directeurs nous a annoncé son intention de partir dès le lendemain du deuxième tour.
Serge Barcellini
Pas rancunier, le DGS lui a quand même proposé de monter en grade en assurant l’intérim à la tête d’une mission. Serge Barcellini constate qu’aucune des personnes parties n’a rejoint le seul département de gauche en Lorraine : la Meurthe-et-Moselle.
Le départ de ces têtes dirigeantes constitue un véritable défi pour l’institution. Nous en avons profité pour recréer quelque chose et plusieurs régions nous envient cette opportunité.
Serge Barcellini, qui a saisi cette occasion pour revoir l'organigramme de la direction
Languedoc-Roussillon : l’administration sous haute tension
Ici, tout s’est passé et continue à se dérouler dans le strict respect des règles statutaires.
Thierry Camuzat, DGA chargé des finances au conseil régional de Languedoc-Roussillon
Propos confirmés par plusieurs membres de l’ancienne équipe, « même s’il a fallu parfois se battre pour les faire respecter », souligne l’un d’eux. En revanche, les passages de relais entre les anciens et les nouveaux dirigeants se sont effectués sous haute tension. Pas vraiment étonnant au sein d’un conseil régional qui a été dirigé pendant dix-huit ans par Jacques Blanc, et dont les relations avec son successeur, Georges Frêche, ont toujours été conflictuelles. Ainsi, plusieurs bureaux et armoires avaient été entièrement vidés avant l’arrivée de la nouvelle équipe.
Plus d’une trentaine de disques durs avaient même été reformatés avant le premier tour des élections.
Thierry Camuzat
Gravement malade, l’ancien directeur général a rapidement quitté les lieux. L’unique DGA de l’administration Blanc est devenu, depuis le 15 juillet, DGA en charge des services fonctionnels à la mairie de Nice. Des sept anciens directeurs, deux ont été confirmés dans leurs fonctions et un contractuel n’a pas vu son contrat renouvelé. Les quatre autres se retrouvent « placardisés », dont trois dans un bâtiment éloigné de l’hôtel de région, surnommé « Guantanamo » par ses occupants.
Poitou-Charentes : nouvelles méthodes de travail
Dans certaines collectivités, la rupture avec des méthodes de travail ancrées dans les mœurs a du mal à passer. Ainsi, au lendemain de son arrivée à la tête de l’exécutif de la région Poitou-Charentes, Ségolène Royal a-t-elle remplacé le directeur général des services par Jean-Luc Fulachier, son ancien directeur de cabinet au ministère de la Famille. Ce dernier cumule les fonctions de DGS et de directeur de cabinet. Un mélange des genres, entre administratif et politique, qui met mal à l’aise un certain nombre de collaborateurs.
Dans la foulée, trois directeurs et deux chefs de service ont quitté la région. Deux sont partis en retraite anticipée, un a rejoint le conseil général de la Vienne et un autre est retourné dans son administration d’origine, l’Education nationale. Enfin, l’ancien DGS vient d’être nommé trésorier payeur général de la Meuse (Lorraine). Par ailleurs, si le haut de l’organigramme est pourvu, on reconnaît dans l’entourage de la présidente qu’il reste encore des postes d’encadrement vacants.
Doubs : des services sociaux remettent les dossiers à plat
Dans certains cas, le changement de majorité conduit les fonctionnaires à revoir leur copie concernant des dossiers stratégiques. Au conseil général du Doubs, par exemple, l’alternance a eu pour première conséquence la remise en chantier du dossier relatif au revenu minimum d’activité (RMA). Le Doubs avait anticipé les décrets d’application et avait mis au point un dispositif prêt à être appliqué à l’issue de la période électorale. Or, la nouvelle majorité considère que le RMA doit être géré en partenariat étroit avec l’ANPE, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), la direction départementale du travail et les centres communaux d’action sociale. Des organismes considérés, jusqu’à présent, comme de lointains relais.
De l’élection du nouveau président jusqu’au début du mois de juin, les services de la direction de la vie familiale et sociale ont donc dû adapter leur projet aux orientations définies par la nouvelle majorité.
Notre tâche a été grandement facilitée par les élus qui, dès le début d’avril, ont affiché des projets clairs, un calendrier précis et constitué un groupe de travail comprenant les organismes de l’Etat et des communes fortement impliqués dans le domaine de l’insertion.
Bertrand Langlet, directeur de la vie familiale et sociale du conseil général
Bretagne : transition douce
Le plus souvent, l’alternance s’effectue dans le respect des traditions républicaines. L’élection du socialiste Jean-Yves Le Drian à la tête de l’exécutif régional breton n’a pas entraîné de chasse aux sorcières dans les services territoriaux. Le remplacement du directeur général des services, Patrice O’Mahony, par Gilles Ricono (ancien directeur de cabinet du ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot), s’est même déroulé dans un climat de respect mutuel salué par tous les observateurs. Un modèle de transition républicaine, l’ancien DGS ayant assuré la gestion des affaires courantes au côté du nouveau directeur de cabinet jusqu’au recrutement de son successeur, qu’il a ensuite accompagné quelques semaines encore, jusqu’à l’été.
Prompte à saluer la compétence d’un personnel « fier de son institution », la nouvelle équipe s’est délibérément appuyée sur les cadres en place. Plusieurs postes de directeurs ont été remplacés en douceur, à la faveur de départs en retraite programmés de longue date. Un nouvel organigramme par pôles de compétences est en cours d’installation, avec l’arrivée, avant l’été, d’Elie Guéguen, nommé directeur du pôle formation et solidarité, et d’Alain Van Der Malière, à la tête du pôle culture, sports et environnement depuis le 1er septembre. Un, voire deux pôles restent à pourvoir : le développement économique et la recherche, d’une part, l’aménagement, les transports et le développement durable, d’autre part. Ils devraient l’être à la fin d’octobre. Là est peut-être la contrepartie de cette transition douce : elle prend du temps.
l’essentiel
Spoil system
Au fil des échéances électorales, la valse des directeurs généraux et de leurs adjoints s’accroît à la tête des collectivités qui connaissent l’alternance. Même lorsque la majorité demeure inchangée, les nouveaux élus arrivent souvent avec leurs équipes.
Respect des règles
A quelques exceptions près, notables cependant, les règles applicables aux déchargés de fonction semblent respectées. Mais tous les incidentés de carrière ne retrouvent pas aisément un poste qui leur convient.
sécurisation des déchargés de fonction
L’Association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints des régions et des départements revendique que les titulaires d’emplois fonctionnels bénéficient d’une sécurisation accrue de leur carrière.
Réorganisation
De nombreuses collectivités saisissent l’opportunité d’un changement politique pour procéder à une refonte en profondeur de leur organigramme de direction. L’impact de l’alternance touche alors la totalité de l’organisation.
Entretien avec Lionel Fourny, président de l’Association nationale des DG et DGA des régions et des départements
« Sécuriser les déchargés de fonction »
Constatez-vous un accroissement des décharges de fonction à la suite des dernières élections cantonales et régionales par rapport aux précédents scrutins ?
Le développement du « spoil system » est évident au niveau des conseils régionaux et généraux. Il est naturel que l’autorité politique ait le libre choix de ses collaborateurs. Mais il serait intéressant de comprendre pourquoi cette tendance s’accroît. Je pense que cela est, pour partie, dû à un fort besoin de sécurité de la part des élus, qui s’entourent de gens avec lesquels ils ont déjà travaillé et envers lesquels ils ont une totale confiance.
Les règles relatives à la décharge de fonction sont-elles respectées ?
A quelques exceptions près, cela s’est bien passé. Quelques élus pratiquent les vexations, demandant, par exemple, à tel DGS de quitter son bureau dès le lendemain de son élection et le privant de tous moyens d’agir. Mais ils sont marginaux. Le délai de six mois pendant lequel les titulaires d’un emploi fonctionnel peuvent rester dans leur collectivité a été généralement respecté.
Les agents concernés retrouvent-ils aisément un poste à leur convenance ?
Non, et c’est bien là le problème. C’est pourquoi nous souhaitons qu’une sécurité plus grande soit offerte aux titulaires d’un emploi fonctionnel. Aux Etats-Unis, où le spoil system est la règle, les dirigeants de collectivités reconvertissent facilement dans un emploi de professeur d’université ou de cadre dans le secteur privé. Ce n’est pas le cas en France. Les contractuels se retrouvent à l’Assedic et les incidentés de carrière, pris en charge par le CNFPT, perdent tout régime indemnitaire. Dans le privé, les cadres dirigeants remerciés partent avec l’équivalent d’un ou deux ans de salaire. Tout le monde trouve cela normal. Il faut donc offrir une plus grande sécurité aux déchargés de fonction.
Décharge de fonction : le rappel des règles
Fonctionnaires, DG, DGA et autres contractuels connaissent un avenir plus ou moins incertain au lendemain d’élections s’accompagnant d’un changement politique.
Les membres du cabinet de l’exécutif sortant, les collaborateurs, les chefs et les directeurs voient leur contrat s’achever en même temps que la fin du mandat de leur élu. Deux issues s’offrent alors à eux : soit ils retrouvent immédiatement un emploi, soit ils sont au chômage et ne peuvent alors bénéficier que de l’Assedic.
Les fonctionnaires d’Etat retournent à leur corps d’origine et toucheront un traitement brut.
L’article 53 de la loi du 26 janvier 1984 régit le sort des hauts cadres territoriaux que sont les directeurs généraux ou les directeurs généraux adjoints.
En effet, la décharge de fonction est encadrée par cet article selon lequel « il ne peut être mis fin aux fonctions des agents […] qu’après un délai de six mois suivant, soit leur nomination dans l’emploi, soit la désignation de l’autorité territoriale. La fin des fonctions de ces agents est précédée d’un entretien entre l’autorité territoriale et les intéressés, puis elle fait l’objet d’une information de l’assemblée délibérante et du Centre national de la fonction publique territoriale ; elle prend effet le premier jour du troisième mois suivant l’information de l’assemblée délibérante. » Une fois la procédure engagée, la personne déchargée peut, si elle n’a pas été reclassée dans un autre emploi de la collectivité correspondant à son grade, être maintenue en surnombre durant un an, tout en bénéficiant de son traitement de base. Au cours ou à l’issue de ce délai d’un an, elle sera prise en charge par le CNFPT qui s’occupe aussi de son reclassement. L’intéressé peut également demander à obtenir, de droit, un congé spécial ou bien demander l’attribution d’une indemnité de licenciement. Enfin, concernant les agents non titulaires, ayant été recrutés pour une période déterminée, ils sont normalement en poste jusqu’au terme de leur contrat.
« Un appel d’air qui coïncidait avec mon projet professionnel »
Mon départ suivra de peu le changement de majorité au conseil régional. Mais mon projet professionnel me préparait à être à l’écoute de toute opportunité, considérant que j’ai toujours changé de poste tous les trois ou quatre ans. Nommé en février 2002 directeur du service des projets d’entreprises, j’envisageais, à moyen terme, de découvrir de nouveaux horizons, quel que soit le résultat des élections. Or tout changement électoral entraîne un appel d’air. Aussi, au lendemain des régionales, ai-je été contacté par des cabinets de chasseurs de têtes. C’est ainsi que s’est présentée l’opportunité de poser ma candidature au poste d’inspecteur général ouvert par le conseil général de la Meuse. J’intégrerai le département le 18 octobre prochain. D’ici-là, j’exercerai les fonctions de directeur général adjoint par intérim à la région. Cette ultime marque de confiance semble démontrer que mon départ se déroule dans de bonnes conditions.
Pascal Courtinot, directeur général adjoint par intérim de la mission de développement économique du conseil régional de Lorraine jusqu'au 18 octobre
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