la performance d’en rire !
Philosophe, sociologue et statisticienne, la retraitée militante défend une vision du service public fondée sur la confiance.
Concluant une table ronde consacrée à la rémunération à la performance (RLP), Annie Chemla-Lafay a estomaqué les participants des Rencontres d’actualité présentées par le site « emploipublic.fr », le 24 novembre dernier, au centre de gestion de Malzéville (Meurthe-et-Moselle). Magistrale et pleine d’humour, la démonstration de l’enseignante sciait à la base les systèmes de primes, de critères d’attribution et de grilles d’objectifs que venaient de détailler les intervenants précédents. Etayée de fiascos internationaux, sa critique radicale de la RLP lui a valu des applaudissements et quelques apartés chaleureux, mais aussi des emails furieux.
« J’énerve les gens, en général », constate non sans malice Annie Chemla-Lafay. Convaincue que le rapport au travail des agents ne saurait se limiter à un tableau Excel, la coauteure d’une étude sur la performance dans les ressources humaines ne se contente pas de dénoncer les aspects budgétivore et chronophage de la RLP qui fait aujourd’hui son entrée dans la fonction publique territoriale.
Cette mesure présente des effets pervers structurels. Lorsqu’on appâte un agent avec une prime, on fausse sa relation avec le travail et on le rend malheureux. Une fois réglés les besoins primaires, ce qui motive un fonctionnaire n’a rien à voir avec l’argent, mais fait appel au sens de l’utilité, à l’inventivité, à l’effort pour vaincre la résistance du réel. Les systèmes fonctionnent parce que les gens cherchent en permanence des failles où développer leur créativité. La preuve, en cas de grève du zèle, tout s’arrête !
Annie Chemla-Lafay
Une vision internationale du service public
Contestant l’image absurde de fonctionnaires qui auraient pour unique objectif de travailler le moins possible et que seul l’appât du gain sortirait de leur torpeur, l’ancienne chef du département « recherche, études et veille » de l’Institut de la gestion publique et du développement économique collectionne les retours d’expérience internationaux du New Public Management que les pays anglo-saxons testent depuis trois décennies.
Emanant des gouvernements, des syndicats, de la presse et des universités, les exemples illustrent des échecs patents. Annie Chemla-Lafay cite volontiers des cas ubuesques, tel cet aéroport britannique qui crut accélérer la livraison des bagages en rétribuant la rapidité d’arrivée de la première valise, disloquant par là même tout le reste de la chaîne. Elle insiste aussi sur le refus tranquille qu’opposa l’Etat de Catalogne à la mise en place d’un système d’évaluation, la collectivité estimant que ses services fonctionnaient bien et qu’une telle initiative risquait de déstabiliser un climat social serein. Des Länder allemands aux Etats américains, l’experte en sociologie de l’organisation se régale de la richesse des modèles territoriaux.
Brillante et enjouée, la sexagénaire se passionne pour les démarches qualité bien menées, les coproductions entre services publics et usagers, et l’ouverture des institutions sur les quartiers.
Arrivée de Tunisie au début des années 70, la jeune diplômée voulait devenir professeure de philosophie. Entrée au service des statistiques de Bercy, faute de poste dans l’enseignement, elle a consacré sa carrière à une réflexion sur les valeurs professionnelles du service public et sur la manière de bien travailler. Aujourd’hui enseignante à la Sorbonne dans le cadre du master en formation continue « gestion des ressources humaines dans la fonction publique », l’ex-informaticienne rompue à la mobilité professionnelle vit sa retraite comme un point de départ. Dans cette nouvelle étape, Annie Chemla-Lafay compte mener ses combats jusqu’au bout.
Dates clés
- 1998 : Entre à la direction du personnel du ministère des Finances.
- 2005 : Intègre l’Institut de la gestion publique et du développement économique, au ministère des Finances, en tant que chef de la cellule de conseil pour les projets professionnels.
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