Ancien ministre de la Fonction publique, président de la communauté urbaine du Grand Nancy et vice-président de la Mission opérationnelle transfrontalière au titre du Sillon lorrain, André Rossinot prône un nouveau mode de gouvernance qui confierait à des ambassadeurs régionaux la conduite de la coopération transfrontalière.
Un retard à combler
La coopération transfrontalière constitue un domaine mal considéré et mal connu, un dédale rébarbatif incompréhensible pour le commun des mortels. Personne n’a vraiment perçu son intérêt ni défini sa stratégie. Lorsque j’étais ministre de la Fonction publique, je recevais chaque année des ambassadeurs et je m’apercevais que cette forme de coopération ne fonctionnait pas bien : qu’il s’agisse de commission interétatique, d’initiatives du quai d’Orsay ou du préfet, personne n’a trouvé la bonne instance.
La coopération transfrontalière a besoin de compétences identifiées, d’acteurs qui se passionnent pour le sujet. Il faudrait un ambassadeur de la coopération transfrontalière dans notre région Grand Est, comme il en faudrait un dans le Nord, en Rhône-Alpes et dans le Sud. Il s’agirait d’un diplomate qui interviendrait aux côtés du préfet et serait en mesure de proposer une vraie offre politique. Cela suppose une révolution des méthodes de gouvernance de notre pays. Il faut que la France accepte de conduire de manière transversale ce sujet européen, et non pas à l’aune des intérêts franco-français.
Panser l’Europe
La France n’a pas compris que l’Europe, c’est tous les jours, tout le temps, ici et maintenant. Nous avons su développer des concepts forts tels la paix et l’amitié franco-allemande, mais ils ne se transmettent pas suffisamment de génération en génération. L’Europe, que nous considérions comme un univers fini, s’avère un continent exposé au grand vent mondial. Dans une période belliciste et violente, ce n’est pas rien. Nous assistons à une pénétration tentaculaire au cœur de l’Europe des problèmes de violence, de xénophobie et de fragilité de l’espace Schengen. La dimension transfrontalière n’est qu’un aspect parmi d’autres des relations européennes et elle peut être affectée par ce qui se passe en Europe.
Nous vivons des rentes de situation de l’après-guerre. L’Europe se fait dans les G8 ou les G 20, loin du peuple. Nous sommes entrés dans un cycle de phobie. Le regard se durcit.
Aux élections régionales succéderont les élections législatives et présidentielles. Il serait bon que demain, au meilleur niveau de l’Etat, on porte un nouveau regard sur la politique transfrontalière. On n’imagine pas de ne pas se préoccuper de ses voisins, ne pas faire les choses ensemble. Je pense que de ce point de vue, l’extrême gauche et l’extrême droite ne sont pas au rendez-vous de l’histoire dans une région qui a pensé – et en partie pansé – l’Europe.
Le Grand Est, un arc européen
Sur le plan régional, je réfléchis à une méthode de travail qui commencerait dès 2016 par une mise à plat, puis par une sectorisation. Il est bon de faire un bilan de ce qui marche et des endroits où cela marche. Il faudra également trouver des éléments de comparaison. Il s’agit d’un travail de longue haleine, car nous vivons sur nos acquis et n’avons pas beaucoup de renouvellement dans nos pratiques transfrontalières.
La coopération transfrontalière doit devenir une priorité du nouveau conseil régional en liaison avec la politique nationale et les institutions européennes proches de nous : Strasbourg, Bruxelles ou Luxembourg, c’est la porte d’à côté. Il faut aller à Bruxelles comme on se rend à un ministère parisien.
Chacune des anciennes régions gardera plus ou moins son organisation jusqu’en 2020. Cela laisse le temps d’approfondir, de préserver les acquis et de développer une vraie stratégie dans la région Grand Est. Il faudra revisiter la gouvernance de la Grande Région, qui n’intéressait guère Jean-Pierre Masseret – dont l’implication sur ces questions a été marginale.
Toute la région du grand Est doit être un fer de lance de la politique européenne de la France. Nous sommes la seule région à parler avec quatre pays européens dont trois pays de l’Union européenne et trois Länder, tout en caressant la Suisse du côté de Bâle. Nous devrons interpeller vigoureusement les pouvoirs publics français sous l’égide du Sillon lorrain pour coproduire une politique partagée de la nouvelle région. Toutes les parties de la région doivent être actrices de cette politique. Le juxtafrontalier n’est qu’une partie subsidiaire de l’européen.
Le Grand Est doit développer le concept d’arc européen, comme il existe l’arc atlantique. A l’époque où l’industrie était concentrée à l’Est, il y a eu des efforts important de l’Etat en faveur de l’Ouest. Rennes, Nantes, Brest ou Bordeaux bénéficient aujourd’hui d’un développement harmonieux, d’un climat social et économique favorable et d’une bonne qualité de vie. Nous sommes pour notre part frappés d’inégalité territoriale. Il suffit de regarder les intentions de vote pour s’apercevoir qu’il existe un risque Front national au long d’un axe Lille-Marseille. Pour le Grand Est, il est temps d’avancer sur la base d’un constat partagé, en définissant des priorités, une méthode et des outils de la mitoyenneté européenne.
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