Illustrateur de presse et écrivain, André Faber a consacré ses cinq semaines de confinement à faire revivre Monsieur L’Homme. Le héros au chapeau garde ses formes rectilignes et son regard acéré, mais il a pris des couleurs et gagné en profondeur. Une centaine de strips et de one-shot paraîtront sous forme d’album.
Est-ce grâce au confinement que Monsieur l’Homme est sorti de ses cartons ?
Indirectement. La décision est partie d’une grande frustration. J’ai fini en novembre dernier mon quatrième roman, « l’Amour à Benestroff ». Les grandes manifs contre la réforme des retraites avaient déjà perturbé le processus d’édition, mais le livre était en cours de validation auprès d’une grosse maison. Là-dessus, le virus déboule, et tous les oiseaux s’envolent. Plus de nouvelles, plus d’interlocuteur… Je ne pouvais pas rester comme ça. Alors, quand le confinement a commencé, j’ai exploré mes archives.
Que contenaient-elles ?
Il doit y avoir 1.000 ou 2.000 strips qui y dorment. J’ai retrouvé Monsieur l’l’Homme, qui a fait son apparition dans les journaux fin 1989. Je ne suis pas peu fier qu’il ait contribué à faire tomber le mur de Berlin ! Il est d’abord paru dans le Républicain lorrain durant une dizaine d’années, puis il a rebondi dans la Charente-Libre, la Voix du Nord, le Journal de la Réunion ou l’Orient/le Jour, au Liban, dans Courrier International et dans l’Humanité. D’autres séries ont suivi : Albert Gronk, qui paraissait dans Télé 7 Jours, et les Bonhommes, un family strip plus doux, moins politisé, plus ancré dans le quotidien. La série a été publiée dans les Dernières nouvelles d’Alsace, puis vendue par différentes agences à différents journaux, dont France Soir et l’Humanité.
Monsieur l’Homme continué à paraître dans l’hebdomadaire luxembourgeois Le Jeudi jusqu’à l’arrêt du journal en juin 2019. Je continuer à publier des dessins dans l’hebdomadaire lorrain La Semaine, mais le personnage est crayonné à la main. Monsieur l’Homme se démarque parce qu’il est toujours dessiné sur ordinateur. J’ai remué le fonds de commerce – des strips de trois vignettes, dans la tradition américaine, mais aussi des gags one-shot pour donner du rythme. Durant deux mois, j’ai sélectionné deux à trois dessins par jour soit l’équivalent d’un album d’une centaine de pages.
En trente ans, Monsieur l’Homme a-t-il changé ?
Oui. A l’époque, Monsieur l’Homme était un personnage à part entière, un mec qui pense, accoudé à un comptoir de bar. A la relecture, je l’ai parfois trouvé un peu sombre et racorni. Je l’ai toiletté pour qu’il soit moins sinistre. J’ai mis les dessins en couleur, redessiné, retravaillé le décor et les poses, réajusté les positions du personnage, et ajouté un tiers de créations.
Aujourd’hui, Monsieur l’Homme est tout le monde. Il est plus difficile à cerner : il peut être drôle, dur, cassant, partie-prenante ou spectateur, très sympa ou vieux con, bavard ou silencieux. C’est devenu un témoin de notre société.
Monsieur l’Homme n’a pas vraiment vieilli, mais certains des objets qui l’entouraient sont complètement périmés. J’ai constaté que leur représentation ne voulait plus rien dire : il y a 30 ans, une télé ressemblait à une lessiveuse ou à un frigo, aujourd’hui, ça ressemble à un dessous de plat. Pareil pour l’ordinateur. A l’époque, je dessinais les objets en trois traits. Aujourd’hui, je maîtrise mieux les formes et les formules, et je pense être plus précis dans la langue.
Jusqu’au dernier jour du confinement, le dimanche 10 mai 2020, une poignée de privilégiés ont eu droit à un envoi de dessin quotidien. Monsieur l’Homme voulait-il leur remonter le moral ?
C’était un petit coucou qui tombait tous les jours vers 18 heures, soit la fin d’une journée de labeur, même si je continuais parfois à dessiner jusqu’à 23 heures ou minuit. Avant de commencer mes envois, j’ai appelé mes amis pour être sûr de ne pas les déranger. Je ne voulais surtout pas être lourd. Il ne fallait pas sombrer dans l’air du temps, dans les polémiques ou dans un journal du confinement. Je voulais être complétement déconnecté de l’actualité. J’ai été à deux doigts d’envoyer des dessins de Monsieur l’Homme en moumoute, les pieds dans la neige. La banquise ou les reflets de pluie, c’est magnifique à dessiner !
Je ne suis pas allé jusque-là. J’ai envoyé des dessins de soleil et de plage, même si la temporalité de l’album reprend les quatre saisons. Au début, mes amis ont trouvé ça sympa, puis ils n’ont plus fait beaucoup de commentaires. C’est quand je leur ai dit que j’allais arrêter lors du déconfinement qu’ils ont protesté : « on veut notre petite gâterie du soir », « à quand la prochaine peste que tu t’y remettes ? »…
Mais je suis passé à une autre phase. J’ai préparé un prototype d’une centaine de pages pour l’envoyer à des éditeurs. Je n’ai pas de connivence parmi les éditeurs de BD. J’ai publié des livres dans des maisons d’éditions qui n’avaient pas grande envergure. Monsieur l’Homme était déjà paru sous forme de livret à compte d’auteur. Cette fois, je vise une publication nationale. Le fait d’avoir été publié dans des journaux n’aide pas forcément. C’est peut-être même un handicap, car il y a peu d’exemples de strips sous forme d’album en France.
Outre Monsieur l’Homme, comment s’est passé le confinement ?
J’ai pris encore plus de distance que d’habitude avec l’actualité. Bien sûr, on ne pouvait pas sortir, mais je suis toujours un peu barré dans ma caboche. J’ai bossé encore plus que d’habitude, et gagné en sérénité et en énergie. On n’est pas éternel, et il y a des milliers de choses que j’ai envie de dessiner et d’écrire.
Propos recueillis par Pascale Braun
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