Pionnière de la smart-city en zone semi-rurale, la communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette inscrit sa plateforme numérique Eclor dans la continuité d’une décennie d’innovations environnementales. Le réseau numérique qui interconnecte déjà l’éclairage et la gestion des déchets doit s’étendre à la culture et à la vie citoyenne.
Disruptive, la Smart city ? Président de la communauté de communes du Pays-Haut-Val d’Alzette (CCPHVA), qui réunit 30.000 habitants répartis sur huit communes mosellanes et meurthe-et-mosellanes, y voit plutôt la continuité de la logique industrielle qui prévalait naguère dans cet ancien bassin sidérurgique.
Certains territoires ont été intelligents bien avant d’être connectés. Chez nous, les usines sidérurgiques ont généré une organisation qui accompagnait les ouvriers tout au long de leur vie. C’est cette inventivité que nous voulons recréer, en y ajoutant la gestion de la donnée.
Patrick Risser, président de CCPHVA
Smart-city périurbaine
Labellisée Ecocité depuis 2010 dans le cadre de l’opération d’intérêt national Alzette-Belval, puis désignée Territoire à énergie positive en 2019, l’intercommunalité frontalière du Luxembourg a mis à profit le programme Investissement d’avenir pour lancer un appel d’offres axé sur la smart city périurbaine. Le challenge a séduit cinq opérateurs nationaux dont les trois lauréats, Gap Gémini, Bouygues et Suez Energie services, retenus en groupement. Le budget d’un montant d’un million d’euros a été cofinancé par le fonds Villes de demain, le Département de la Moselle et le conseil régional du Grand Est. En deux ans de coopération étroite avec les futurs utilisateurs de la plateforme, les trois grands groupes ont livré fin 2021 au petit territoire une plateforme open data et open source remarquablement polyvalente. Fonctionnant en silos interconnectables, Eclor gère déjà des données aussi diverses que l’éclairage public, la gestion des déchets et les programmations culturelles. Au cours du premier trimestre 2022, elle doit offrir au grand public des applications citoyennes.
Pollen et allergènes
La CCPHVA a choisi d’entrer dans la smart-city par la voie de l’éclairage, en remplaçant les 4.500 lampadaires de son territoire.
L’éclairage public forme un réseau électrique et numérique qui peut collecter d’autres données grâce à des caméras ou à des instruments de mesure de la qualité de l’air.
Julien Vian, ex-directeur général des services de la CCPHVA, et cheville ouvrière d’Eclor jusqu’à son départ en décembre 2021
Le nouveau réseau led réduit des trois quarts la consommation énergétique tout en apportant des services complémentaires. Certains mâts dotés de panneaux solaires fonctionnent en autonomie et peuvent générer du courant. D’autres serviront dès ce printemps à capter les allergènes pour informer la population des pics de pollen. Six d’entre eux sont équipés de caméras pour surveiller les dépôts d’ordures aux points d’apport volontaire (PAV) et à la déchetterie.
Déchetterie en partage
Dans cette zone frontalière, la question des ordures ménagères et des déchets de chantiers se pose avec une acuité particulière. La plupart des résidents des nouveaux quartiers d’habitation de l’OIN travaillent au Luxembourg et nombre d’entre eux chargent à l’occasion des déchets de provenant du Grand-Duché, où la collecte est payante. Les PAV connectés permettront de surveiller les apports, d’affiner le futur système de pesée embarquée, mais aussi d’afficher des messages d’information. Les caméras installées à l’entrée de la déchetterie interdisent d’ores et déjà l’accès aux voitures arborant des plaques d’immatriculations luxembourgeoises. Des bacs à puces doivent permettre d’élaborer un modèle prédictif pour d’anticiper la levée et ajuster le nombre de camions.
La déchetterie intercommunale est également connectée aux dispositifs de gestion de l’énergie, car elle se transforme progressivement en station multiénergie. Une éolienne horizontale et des panneaux solaires produisent de l’hydrogène, qui alimentera à terme une unité de méthanisation d’une capacité de 2,6 Nm3/h de gaz. Lors de l’ouverture de la plateforme au grand public, la CCPHVA envisage des applications de partage liées à la déchetterie. Les citoyens pourront ainsi se proposer mutuellement qui du compost, qui un vieux canapé, qui une place dans la camionnette partant à la déchetterie.
Rucher connecté
La CCPHVA a par ailleurs équipé ailleurs équipé dix ruches d’un apiculteur local du système de balances BeezBeez mis au point par la société izéroise Green & Connect. La pesée, mais aussi les capteurs d’humidité et d’hygrométrie permettront d’évaluer l’activité des insectes, les miellées en cours et l’essaimage sans ouvrir la ruche. « Chaque application doit créer du lien. Le rucher connecté servira également d’outil pédagogique. Nous espérons qu’il contribuera à sensibiliser les habitants à la préservation de l’environnement », souligne Patrick Risser. D’autres capteurs veilleront à la bonne température et au degré d’humidité des composteurs communautaires.
Pour l’heure exclusivement utilisées par les techniciens de la CCPHVA, les applications d’Eclor doivent s’ouvrir à l’ensemble de la population au cours du premier trimestre 2022. Projet majeur de l’intercommunalité, le centre culturel l’Arche, inauguré en janvier, ouvre la voie à la digitalisation de l’agenda et de la billetterie.
Cette interface va prendre une place prépondérante dans la vie culturelle du territoire. Nous proposons d’ores et déjà à nos associations partenaires de la télécharger.
Sylvain Mengel, coordinateur culturel de la CCPHVA
Eclor intégrera également la programmation des manifestations prévues dans le cadre d’Esch2022, qui voit la ville luxembourgeoise voisine d’Esch-sur-Alzette se muer en capitale culturelle européenne. Partie-prenante de l’événement, la CCPHVA s’inscrit dans une logique de long terme. Esch2022 doit donner le coup d’envoi d’une coopération culturelle transfrontalière au long cours. Le versant lorrain imagine déjà un agenda qui couvrirait l’ensemble des les événements culturels et sportifs sur le sillon lorrain, de Metz à Luxembourg.
Partage sans contrepartie
La CCPHVA ne manque ni d’idées, ni de principes. Eclor pourrait faire florès en matière de co-voiturage, pour atténuer la thrombose des axes routiers vers le Luxembourg, initier un e-commerce de proximité ou un « bon coin » local, ou encore, faciliter le maintien à domicile des personnes âgées. Fière d’avoir conservé la maîtrise des applications et des données, l’intercommunalité estime avoir mis au point un outil mutualisable qu’elle se dit prête à partager sans contrepartie financière avec d’autres collectivités. Eclor n’aurait pas pu voir le jour sans le concours du trio de grands opérateurs, mais des entreprises locales sont sollicitées pour en assurer la maintenance ou imaginer de nouveaux développements.
Théoriquement en mesure d’exploiter une multitude de données encore inexploitées, la CCPHVA salue l’initiative du conseil régional du Grand Est, qui compte faire émerger un cloud souverain public à destination des administrations.
Maintenant que les systèmes de création et de captation existent, il faut éviter l’écueil de l’usine à gaz et ne garder que ce qui sert. L’impératif de frugalité s’applique aussi aux impératifs de stockage.
Patrick Risser
Consciente de s’être engagée dans un chemin long et compliqué, l’intercommunalité a ouvert des pistes, mais admet ne pas savoir lesquelles seront pérennes.
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