Post-industrielle et fragilisée par deux décennies d’abandon, la bordure lorraine du sud luxembourgeois entre dans une nouvelle ère. Inscrit dans une Opération d’intérêt national, ce petit territoire doit gagner 20 000 habitants au cours des deux prochaines décennies dans le sillage du développement de Belval, nouvelle place forte du Grand-Duché. L’établissement public d’aménagement Alzette-Belval orchestre cette métamorphose en veillant à ne pas faire du passé table rase.
A deux kilomètres des tours rouges et noires de Belval, nouvelle place forte luxembourgeoise, la friche de Micheville s’inscrit dans un paysage aussi désert que verdoyant. Cerné par la forêt, un grand giratoire neuf ne dessert pour l’heure qu’une petite route longeant une voie rapide silencieuse. L’Etablissement public d’aménagement (EPA) a implanté sa Maison du projet et de la concertation sur cet emplacement perdu, mais stratégique. L’an prochain, la jonction s’opérera entre le contournement d’Audun-le-Tiche et le site de Belval. L’université luxembourgeoise y aura opéré sa première rentrée et des résidences étudiantes s’implanteront sur la Zac de Micheville, qui couvre 3,3 ha. Le territoire d’Alzette-Belval percevra ainsi les premiers effets tangibles d’une Opération d’intérêt national (OIN) pour l’instant invisible.
Laissée exsangue par un siècle et demi d’exploitation sidérurgique, la frange nord-lorraine frontalière du Luxembourg prend peu à peu conscience de l’imminence de la métamorphose. Au cours des vingt prochaines années, la communauté de communes Pays-Haut Val d’Alzette (CCPHVA), située à cheval entre la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, passera de 26 000 à 46 000 habitants. Annoncée en octobre 2009 par Nicolas Sarkozy, qui souhaitait alors atténuer l’impact des plans sociaux d’ArcelorMittal et des restructurations militaires en Lorraine, l’OIN a permis d’enclencher une dynamique dont les élus de terrain avaient déjà dessiné les contours. Lancée en 2012, l’EPA a remis le 7 février dernier un projet opérationnel et stratégique (PSO) adopté à l’unanimité.
Il ne s’agit pas de prévisions, mais de recherche d’opportunités immédiates effectuées dans une logique d’intérêt général et de redéploiement.
Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et premier président de l’EPA qui devait décéder accidentellement un mois plus tard
Constituée de six membres, l’EPA s’appuie sur l’Etablissement public foncier de Lorraine qui assure le pré-aménagement des sites et le portage des opérations et sur les données de l’agence d’urbanisme transfrontalière Agape. L’OIN mobilise un engagement public de 300 millions d’euros dont 60 sont d’ores et déjà débloqués.
Retenue par le ministère de l’Ecologie en 2010 dans le cadre du programme « Transport et urbanisme durable », l’EcoCité Alzette-Belval prévoit la construction de 8 300 logements et la réhabilitation de 500 à 800 logements. L’EPA espère éviter de créer de nouveaux déséquilibres sur ce territoire de 5 285 hectares.
Il ne faut pas boboïser les nouveaux espaces en laissant à l’écart les anciens quartiers qui se ghettoïseraient. Nous veillerons à marier l’ancien et le nouveau et à préserver l’habitat ouvrier qui témoigne de l’histoire du territoire.
Thomas Bachmann, directeur de l’aménagement à l’EPA
L’habitat sidérurgique a laissé de surprenants vestiges qui prennent à revers les normes contemporaines, telles des maisons de 70 mètres carrés construites sur trois étages. Les habitants, souvent d’anciens occupants devenus propriétaires, ne peuvent pas engager de rénovations collectives sur ces maisons mitoyennes. L’EPA prend en charge une OPAH Rénovation urbaine qui permettra de racheter quelque 300 logements insalubres pour les transformer en habitat de qualité. La CCPHVA assure en parallèle la maîtrise d’ouvrage d’une OPAH intercommunale.
L’EcoCité s’implantera dans un premier temps sur trois pôles majeurs, Micheville, Audun-le-Tiche et les Portes de Belval, avant d’investir quatre pôles secondaires, puis d’occuper progressivement 26 zones d’aménagement. Le cabinet d’architecture belge 51 N 4 E, associé au paysagiste nantais SCE et à l’agence luxembourgeoise 2001 réaliser le démonstrateur grandeur nature d’un nouvel habitat.
Les logements répondront à des exigences plus élevées qu’au Luxembourg, où l’habitat reste classique, et mettront en œuvre d’autres modes de production.
Freek Persyn, architecte-paysagiste de 51 N4E
L’EcoCité doit structurer une filiale régionale et transfrontalière d’écoconstruction. Doté de deux millions d’euros, le projet européen Ecotransfaire vise à renforcer les compétences en matière de construction et de rénovation durables sur un territoire englobant le nord de la Lorraine, le Luxembourg et la province wallonne du Luxembourg belge.
A l’instar du Luxembourg qui a fait de l’ouverture de la Rockhall le coup d’envoi de l’aménagement de Belval, l’OIN prévoit de marquer son territoire par la création d’un pôle culturel à Micheville. Portée par le festival du film italien qui tiendra en octobre sa 37 ème édition, la thématique du cinéma s’est naturellement imposée. Ministre de la culture et enfant du pays, à l’instar du secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert, l’ex-ministre de la Culture Aurélie Filipetti a acté la création d’un complexe regroupant une salle de projection de 150 places, un espace modulable dédié aux arts vivants et des lieux réservés aux professionnels de la production vidéo.
Le territoire a besoin de la culture pour ne pas devenir une cité dortoir. Dans la phase de préfiguration, nous travaillons à faire connaître les manifestations existantes et les inscrire dans un maillage d’équipements englobant la Lorraine, le Luxembourg et la Belgique.
Isabelle Chaigne, directrice du pôle
Maître d’ouvrage, la CCPHVA lancera en fin d’année le concours d’architectes de ce projet d’un montant de 12 millions d’euros dont la livraison est prévue en 2017.
La grande crainte du territoire consiste à voir les emplois se concentrer au Luxembourg, le versant lorrain ne conservant que l’habitat. Pour contrer cet écueil, l’OIN prévoit de réserver 380 000 mètres carrés à des activités artisanales, de commerces ou de service. L’économie résidentielle doit créer 1 700 emplois au cours des vingt prochaines années. Cette programmation intègre le développement d’une offre médicale et sanitaire répondant au vieillissement de la population.
L’OIN Alzette-Belval entend également développer des expérimentations techniques et urbaines à l’échelle du Groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) qui regroupe depuis 2012 quatre communes luxembourgeoises, les huit communes de la CCPHVA, les conseils généraux de Moselle et de Meurthe-et-Moselle et le conseil régional de Lorraine. En phase avec la Vallée européenne des matériaux et de l’énergie inscrite au Pacte lorraine, des études s’engagent sur la production et le stockage de l’énergie et la création de réseaux de chaleur. Tractebel Ingeneering, filiale de GDF Suez, et le cabinet Schröder et associés réalisent la première étude sur une mobilité alternative transfrontalière. Un projet de smart grid vise à optimiser la production et la distribution de l’énergie en lissant les pics de consommation. L’université lorraine planche sur le concept de Smart City services, une ville intelligente sachant interconnecter ses réseaux.
De telles révolutions paraissent bien éloignées d’un contexte local où prédomine depuis longtemps un sentiment d’immobilisme, voire d’abandon.
Vu de Metz ou de Nancy, la zone frontalière pouvait fort bien se limiter à un lieu de transit pour les travailleurs frontaliers.
André Parthenay, président de la CCPHVA
Formalisée en 1989 et freinée par moult considérations administratives et financières durant un quart de siècle, la conception du contournement d’Audun-le-Tiche et son raccordement à l’autoroute luxembourgeoise A 30 illustrent cette conception pendulaire. Loin d’irriguer le territoire à la manière d’un boulevard urbain, le tracé sans échangeur coupe l’espace sur 4,6 kilomètres dont quatre kilomètres à deux fois deux voies.
Ce petit territoire a connu beaucoup de désillusions. Nous avons développé un urbanisme d’empathie pour rassurer la population et engager la concertation alors que de nombreux acteurs du territoire ne se parlaient plus.
Tae-Hoon Yoon, associé de Sathy, mandataire avec l’agence Debarre-Duplantiers , Franck Boutté Consultants, Idea Consult et Artelia du lot « déclinaison opérationnelle » sur le site de Micheville. le groupement intervient dans un accord-cadre de maîtrise d'oeuvre urbaine et paysagère d'Alzette-Belval.
Mi-juin, les architectes et urbanistes mobilisés par l’EPA ont organisé deux jours d’échanges avec les habitants pour leur présenter les premières phases de réflexion sur le projet urbain et les inviter à poser un nouveau regard sur leur territoire.
Regroupés en ateliers d’innovation urbaine, quelque 80 étudiants de l’université de Lorraine ont présenté leurs réflexions sur les thématiques de la qualité de vie, de l’attractivité du territoire et de l’innovation. Huit étudiants de Sciences Po Paris ont réalisé une étude sur l’acceptabilité d’un projet qui doit tenir compte à la fois des préoccupations des habitants d’aujourd’hui et aux besoins de ceux de demain. Les travaux d’une trentaine d’étudiants de l’école d’architecture de Strasbourg ont confirmé la pertinence des choix de l’EPA en matière d’espaces à enjeux. Invités à capter les éléments visuels les plus marquants de leur territoire, les collégiens ont apporté aux deux cabinets de maîtrise d’œuvre urbaine des éléments de réflexion sur le patrimoine. L’université, les grandes écoles et les collèges maintiendront leur implication lors de la prochaine rentrée. Clé d’une métamorphose harmonieuse, cette concertation doit se poursuivre durant deux décennies.
Interviews
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André Parthenay, président de la communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette
« Les élus lorrains et luxembourgeois échangeaient depuis longtemps »
Quel rôle une communauté de communes peut-il tenir dans une opération d’intérêt national d’une telle envergure ?
Sans gouvernance territoriale, l’OIN serait une coquille vide. L’opération s’appuie sur des réflexions engagées par les élus de terrain depuis plus de dix ans. Un long processus a permis de constituer une intercommunalité interdépartementale associant six communes mosellanes à deux communes meurthe-et-mosellanes. Les élus lorrains et luxembourgeois échangeaient depuis longtemps pour créer des passerelles au sein d’un même bassin de vie. En 2009, notre candidature au label Ecocité traduisait déjà la volonté d’inscrire l’habitat, l’économie et l’environnement du territoire dans la dynamique luxembourgeoise. Mais la communauté de communes était beaucoup trop petite pour mener à bien un tel projet. L’EPA constituait la meilleure solution pour mettre les moyens de l’Etat au service du développement de notre territoire et de l’ensemble du nord lorrain.
Comment gérez-vous la pression foncière qui s’exerce déjà sur le territoire ?
Pour maîtriser le foncier, nous avons instauré avec l’EPF Lorraine une zone d’aménagement différée qui réserve 80 hectares à l’habitat sur les Portes de Belval durant encore deux ans. Nous avons également obtenu des bailleurs sociaux MMH et Moselis des lettres d’engagement visant à la modération des loyers. Sur notre territoire, les prix atteignent déjà ceux de Metz ou de Nancy !
Freek Persyn, architecte-urbaniste cogérant du cabinet d’architecture bruxellois 51N4E
« Créer des liens entre l’existant et le potentiel »
Comment définissez-vous votre mission ?
Nous partons de l’existant pour relancer une dynamique dans un territoire qui s’essouffle depuis des décennies. Le traumatisme post-industriel est presque effacé, mais le versant lorrain du territoire n’a pas continué à se développer tandis que le sud luxembourgeois concrétisait ses projets. Si l’on sort de la logique de confrontation, on constate pourtant beaucoup de complémentarités de part et d’autre de la frontière. Territoire de transition entre la France et le Luxembourg, Alzette-Belval comporte une matière urbaine très riche dont la configuration n’est pas très éloignée de celle d’une aire métropolitaine. Notre mission consiste à activer l’existant et le lier à de nouveaux potentiels.
Comment comptez-vous procéder ?
Nous intervenons sur une série de thématiques associées et croisées selon le principe des assemblages dynamiques. L’un de ceux-là est par exemple l’association de culture et mobilité. Aujourd’hui la programmation culturelle du territoire est riche, mais les réseaux ont été pensés de manière indépendante. En instaurant par exemple un parcours minier transfrontalier il sera possible de recréer du lien, et rendre lisible cette dynamique transfrontalière, on pourrait intégrer le paysage comme une valeur.
Quel rôle les habitants jouent-ils dans le projet ?
Ils en sont des acteurs importants. Depuis le début de l’année, nous les avons beaucoup écoutés. En juin, nous avons présenté des maquettes topographiques et organisé un travail de lecture du territoire par ces habitants sur base d’un plan et de pâte à modeler pour présenter la multiplicité du territoire. Désormais, nous viendrons avec des propositions pour élaborer d’ici à la fin de l’année une vision concertée.
Une urbanisation en terrain miné
Composé d’une mosaïque de friches industrielles, de terres agricoles et de petites communes, le territoire d’Alzette-Belval structurera l’activité et l’habitat autour des pôles urbains existants, qui ne représentent que 10 % de sa superficie. L’aménagement devra composer avec de lourdes contraintes environnementales. Aux pollutions de l’industrie sidérurgique s’ajoutent les risques d’affaissements miniers, qui affectent les huit communes du périmètre de l’OIN. La vallée de la Beller est soumise aux inondations, celle de l’Alzette aux glissements de terrains. Le territoire comporte en outre un gazoduc, une conduite d’air liquide et de nombreuses zones de captage.
Cette configuration délicate favorise la biodiversité. Le site de Micheville qui présentait, lors de l’arrêt de l’exploitation dans les années 70, un paysage lunaire a vu refleurir sur ses pelouses calcaires des espèces rares, tels le hibou grand-duc, les crapauds pélobates et les tritons crêtés. Les amphibiens ont pris possession de l’ancien crassier de Russange et les chats sauvages sillonnent les massifs forestiers. Retenu en 2012, l’Atelier des territoires étudie les corridors écologiques qui constitueront une trame verte et bleue transfrontalière.
Belval a érigé ses pôles et ses phares
De part et d’autre de la frontière, la même friche sidérurgique naguère exploitée par Arbed offre un contraste saisissant. Le Grand-Duché a posé en 2006 les premiers jalons de l’urbanisation de Belval avec la tour de 19 étages rouge vif de la banque Dexia, remplacée depuis par la Banque internationale de Luxembourg, puis la Rockhall, la plus grande salle de concert implantée dans l’ancienne halle des soufflantes.
A cheval sur les communes d’Esch-sur-Alzette et de Sanem, le nouveau quartier qui accueille déjà 1 200 habitants et 150 entreprises pour 4 000 salariés ne néglige ni la culture, ni l’art de vivre. Un parc public de 11 hectares a ouvert cet été aux abords du quartier résidentiel Square Mile. L’espace s’est progressivement enrichi des commerces de Belval Plazza, d’une nouvelle gare et d’un centre de recherche publique.
L’achèvement ce printemps d’un rutilant complexe composé d’une barre de 180 mètres de long surmontée par une tour de 80 mètres de hauteur marque un tournant dans l’aménagement du site. L’Université du Luxembourg y accueillera ses premiers étudiants à la rentrée 2015. Le campus, qui englobera une cité des sciences insérée au coeur des anciennes installations sidérurgique, doit accueillir à terme 7 000 étudiants et 3 000 chercheurs. Opérateur unique doté d’un budget d’1 milliard d’euros, le Fonds Belval assure la maîtrise d’ouvrage du projet, soumettant chaque projet de bâtiment à un projet de loi et la plupart d’entre deux à des concours d’architecture internationaux.
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