Bien dans le paysage
Spécialiste de l’espace public, Alfred Peter conjugue mobilité et urbanité dans l’Hexagone et aux frontières.
« Vous n’avez plus d’argent ? Bonne nouvelle, nous allons pouvoir aller à l’essentiel ! »
L’humour pince-sans-rire d’Alfred Peter a certainement cueilli à froid plus d’un élu. De Karlsruhe (Allemagne) à Marseille, le paysagiste alsacien a pourtant su faire partager une vision souvent iconoclaste, mais toujours mûrement réfléchie. A la tête d’une agence d’une quinzaine de personnes, le quinquagénaire dirige simultanément une quarantaine de projets souvent remarquables. Au Mont-Saint-Michel, il a imaginé, avec la complicité de son ami urbaniste, Bernard Reichen, une solution hippomobile – des chevaux de trait attelés à des carrioles – pour acheminer les touristes du parking jusqu’à l’abbaye. Dans l’ancien bassin houiller lorrain, il propose un tram-train transfrontalier pour redynamiser des communes en mal d’espoir. Candidat à consultation internationale sur l’avenir de la métropole parisienne, il est arrivé deuxième avec un projet consistant à entourer le Grand Paris de champs et de jardins se prolongeant jusqu’au pied des tours de La Défense.
Principes de mobilité.
Alfred Peter, qui a quitté la ferme familiale à 18 ans avec perte et fracas, n’en finit pas de renouer avec ses racines paysannes.
Mes parents étaient certains que je reprendrais l’exploitation, mais j’ai brusquement compris que je n’y aurai aucun avenir. Devenu étudiant en horticulture, j’ai envisagé de créer une pépinière, avant de m’apercevoir que sans capital de départ, je ne pouvais pas me lancer dans une entreprise dont les premiers revenus se seraient fait attendre. C’est la création de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles qui m’a permis de passer de la culture agricole à la culture tout court.
Alfred Peter d'une voix posée.
Le paysagiste promène aujourd’hui sa haute stature d’un bout à l’autre de l’Hexagone et des pays limitrophes – Suisse, Allemagne, Belgique – pour décliner des principes de mobilité édifiés à Strasbourg. Associé par hasard, voici plus de vingt ans, aux prémices du tramway strasbourgeois, il aborde à présent la septième phase du projet. Partie du coeur de la ville, la ligne a traversé les faubourgs jusqu’au port autonome dont elle préfigure le pourtour. Homme des trams et des gares, Alfred Peter a initié, à Montpellier, une réflexion sur les grands territoires. Sa méthode consiste à redessiner la campagne, puis à y inscrire une ville reconfigurée.
J’ai connu trois vies professionnelles : celle des grands espaces publics en vogue durant les années 80, celle du retour du tramway dans les agglomérations françaises à compter de 1995, puis celle où le territoire redevient une matrice de base. Le bâti change tous les jours, les projets humains sont volatils, mais les forêts et les zones humides subsistent,
rappelle le paysagiste, qui se promet une belle retraite consacrée en partie à revisiter les villes qu'il aura marquées de son empreinte.
Paysagiste humaniste.
Pour l’heure, Alfred Peter envisage de s’investir dans les pays pauvres. Mandaté par le Comité interministériel d’aménagement du territoire d’Haïti, juste avant le tremblement de terre de janvier 2010 pour canaliser l’aide internationale, il s’est trouvé confronté au désastre et aux impératifs de la reconstruction. Ses propositions sont aujourd’hui tributaires du résultat des élections et du versement effectif des quelque six milliards de dollars d’aide promise.
Tout au long de ma carrière, les passerelles se sont créées spontanément. Dans les pays riches, 80 % des gens s’ennuient, parce qu’il n’y a plus rien à faire. Je voudrais maintenant mettre mon énergie au service des pays où tout reste à construire.
Bio-express
- 1957 : naissance à Ingwiller (Bas-Rhin).
- 1985 : crée un atelier d’urbanisme et de paysage à Strasbourg.
- 1990 : premier projet de tramway à Strasbourg.
- 2010 : s’engage dans un projet de reconstruction de Haïti.
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