Au sud du Luxembourg, une ancienne usine sidérurgique s’est transformée en pôle universitaire, économique et résidentiel majeur. Dans un petit pays où le foncier est cher, Belval se distingue par des espaces publics généreux où les vestiges industriels et la végétation gardent leurs droits.
Trônant au centre de la salle de réunion de l’Agora, l’immense maquette quadrilatérale et vitrée représentant Belval a la précision d’un plan industriel. La reconversion de l’ancienne usine ArcelorMittal (ex-Arbed) implantée sur les bans communaux d’Esch-sur-Alzette et de Sanem y figure tout entière, redessinant 120 hectares de friches luxembourgeoises en quatre zones distinctes. A l’ouest, la Terrasse des hauts-fourneaux, délimitée par les deux hauts-fourneaux toujours debout, concentre aujourd’hui une large part de la recherche et de l’enseignement supérieur du Grand-Duché. Au centre, Square Mile s’apprête à accueillir trois nouveaux bâtiments représentant 38 000 mètres carrés dont 60 % seront réservés au logement contre 35 % aux bureaux et 5 % aux commerces. Sur le ban communal de Sanem, Belval Nord, quasi achevé, compose un quartier résidentiel de 450 logements. Les travaux de plateformage ont commencé pour édifier un nouvel ensemble résidentiel à Belval Sud. La commercialisation de 550 logements débutera mi-2018 pour une livraison des premiers lots prévue en 2020.
Grands espaces et bâti dense
Société de droit privé créée par l’Etat luxembourgeois et le sidérurgiste Arbed, aujourd’hui intégré au groupe ArcelorMittal, Agora assure depuis 2001 la viabilisation, le développement et la commercialisation de Belval. L’aménageur respecte l’esprit du masterplan élaboré par le cabinet néerlandais Jo Coenen &Co, qui prévoyait un bâti dense, mais des surfaces publiques abondantes. Le site présente aujourd’hui 40 % d’espace public, dont 30 % de parcs, pour un potentiel de 1,4 million de mètres carrés constructibles dont les deux tiers ont déjà été réalisés.
Cheminées balises
La trame très particulière de l’ancien complexe sidérurgique se prête à une structuration à la fois riche en symboles et pragmatique : perpendiculaire à l’imposante façade constituée par les hauts fourneaux, la Rockhall, phare culturel érigé dès 1995 et la cité des sciences implantée dans le bâtiment Massenoire, un parcours urbain irrigue le Square Mile et débouche au pied de deux anciennes cheminées qui marquent l’entrée du parc et des quartiers résidentiels.
Témoins d’un passé sidérurgique encore vivace, les vestiges industriels confèrent à Belval son caractère unique, tant par leur gigantisme que par leur chatoiement rouge, gris et noir repris par les bâtiments contemporains. L’un des trois haut-fourneaux a été démonté et expédié en Chine, mais les deux autres, dans lesquels s’imbriquent les pépinières, centres d’études universitaires et hauts-lieux de la recherche, symbolisent désormais la reconversion du sud luxembourgeois. Depuis 2014, l’un d’entre eux est ouvert au public jusqu’à la plateforme du gueulard, à 40 mètre de hauteur, offrant un nouvel espace public touristique et festif.
Situés au cœur du Square Mile, qui constitue lui-même l’épicentre de Belval, les deux anciens bassins de refroidissement – dont le plus grand mesure 40 mètres de diamètre pour 12 mètres de profondeur – focalisent aujourd’hui l’attention de l’aménageur.
Deux bassins comme point d’ancrage
En tant que reliques de notre passé industriel, leur conservation, leur réaffectation éventuelle et leur intégration doivent être étudiées. Tout comme les hauts fourneaux, ils constituent un élément porteur d’identité dans le concept urbanistique global de Belval.
Vincent Delwiche, directeur de l’Agora
Treize agences européennes ont répondu à l’appel à idées lancé en 2017 pour aménager la place des Bassins. Le jury se donne jusqu’au mois de mai prochain pour retenir un lauréat parmi les sept finalistes. La solution retenue apportera la touche finale au programme défini en 2011 par le cabinet KCAP de Rotterdam, qui prévoit d’implanter au total 58 000 mètres carrés de bureaux, 78 000 mètres carrés de logements et 38 000 mètres carrés de commerces dans le « business district » du Square Mile.
Compact en son cœur, Belval est également dense dans son espace résidentiel, qui favorise les maisons en bandes sur trois niveaux et les immeubles dont la hauteur se limite à sept étages.
Public Green
Nous avons opté pour des quartiers densifiés compensés par des espaces publics plus vastes. Pour proposer aux habitants des espaces privatifs sans compromettre l’équilibre économique des projets, nous avons inventé la notion de « public green.
Beate Heigel, architecte chef de projet à l’Agora
A Belval Nord, les bâtiments sont disposés en clusters ouverts sur des espaces verts. Les habitants disposent d’une petite emprise privative où ils peuvent cultiver un parterre ou monter un abri de jardin. Cette parcelle, qui ne doit pas être clôturée, s’ouvre sur un espace public dont la jouissance est comprise dans le prix de vente.
Transition au long cours
Ces surfaces partagées resteront propriété d’Agora durant 25 ans, avant d’être rétrocédées à la commune de Sanem.
Nous tenons à conserver la maîtrise de l’espace public pour pouvoir proposer aux communes un concept stabilisé et même, un financement résiduel qui leur permettra de poursuivre l’entretien durant quelque temps après la rétrocession. Tout le monde se retrouve dans le principe du public green : les communes, les promoteurs et les habitants.
Robert Kocian, directeur marketing et développement d’Agora
Cette longue phase de transition permet à l’aménageur de tester à loisir différents agencements paysagers. Agora prévoyait initialement une prairie naturelle. Mais la végétation a tardé à s’ancrer dans un sol pauvre, présentant aux habitants des tours une vue peu engageante. Le public green est donc repassé au gazon dans l’attente de nouveaux supports végétaux.
Des plantes exotiques sur un crassier
Entre Belval Nord, quasi rempli, et Belval Sud, dont la commercialisation n’est pas encore lancée, s’étend le Parc Belval, qui couvre 19 hectares sur l’emplacement de l’ancien crassier. Conçu par l’antenne allemande de l’agence parisienne TER, le parc alterne différentes bandes végétales privilégiant les espèces locales… sauf en son centre, où prévaudra une concentration de plantes exotiques légitimée par l’histoire locale : la première collection botanique fut constituée au début du XXème siècle par un limonadier du cru. Le parc gardera également la mémoire de l’ancien dépôt de laitier, dans lequel pourrait être aménagé un plan d’eau. Le parc prévoit des zones de repos, des aires de jeu, des jardins à thèmes, des petits champs et des vergers. Au centre, une « bande active » de 20 mètres de large aligne des terrains de foot, de volley et de streetball, ainsi qu’un skate park où viennent se détendre les élèves du lycée ouvert en 2011 à Belval Nord.
Un “Wassertrap” régulateur
Aujourd’hui à l’état de trace, une nouvelle infrastructure, l’ouvrage d’art Waassertrap » (escalier d’eau) apportera une réponse à l’imperméabilisation des sols à Belval sud et à la servitude du site en matière d’écoulement des eaux. Une rivière souterraine traverse aujourd’hui le quartier pour venir alimenter les quatre bassins de refroidissement de l’usine de palplanches d’ArcelorMittal, toujours en activité à Esch-sur-Alzette. Agora se propose de rouvrir partiellement cette rivière et de créer un cheminement d’eau de 20 mètres de largeur. Le « Waassertrap » recueillera les eaux de ruissellement du nouveau quartier et préviendra les débordements.
Agrémenté d’espaces paysagers, il irriguera une coulée verte avant de repartir dans une canalisation conduisant à l’usine. ArcelorMittal prévoit quant à lui d’approvisionner le nouveau quartier en énergie grâce au recyclage des fumées qui sortent à 400 ° du four de son usine de palplanches. Un échangeur permettra de chauffer l’eau du réseau de chauffage urbain.
Une gare en surplomb
Parties intégrantes de l’aménagement de Belval dès la genèse du projet, les contraintes industrielles ont appelé des réponses complexes, mais plutôt positives en matière d’espaces public. Le nouveau quartier est ainsi bordé sur toute sa longueur sud par une voie ferrée. Agora a contourné le risque d’enclavement en situant la gare en hauteur, en surplomb des voies ferrées. Les usagers du parking de l’université rejoignent le site par une passerelle et débouchent sur la place de l’Académie, en contrebas des hauts-fourneaux. L’agence autrichienne AllesWirdGut a soigné les abords de cet espace stratégique qui assure la jonction entre la gare et l’université.
Bloquer les raccourcis
Pour repartir, les automobilistes empruntent un passage souterrain rejoignant la voie de contournement du site. Cette solution dissuasive présente l’avantage de protéger Belval de la circulation parasite que n’aurait pas manqué d’entraîner le flux des frontaliers à la recherche de raccourcis. La frontière française se situe en effet à deux kilomètres. Mise en service fin 2017, la liaison de Micheville relie le nord lorrain à Belval en contournant Audun-le-Tiche (Moselle). Le nouvel axe voit passer quelque 5 000 véhicules par jour, mais aucun cheminement alternatif ne permet de jonction pédestre ou cyclable.
Les hauts-fourneaux dans la lumière
Très présent dans l’aménagement du site, qui constitue un enjeu majeur de l’aménagement du territoire dans le sud du pays, l’Etat luxembourgeois a pris possession de la majeure partie du foncier de la Terrasse des hauts-fourneaux. Doté d’un milliard d’euros environ, le fonds Belval y orchestre le regroupement de l’université et recours aux concours d’architecture internationaux pour ancrer l’identité de ce campus hors normes. Le paysagiste français Michel Desvisgne et l’agence luxembourgeoise Aeral Landscape architecture ont ainsi assuré la cohérence visuelle de la Cité des sciences en mariant plans d’eau, jardins d’hiver et art urbain. Le designer Ingo Maurer a réalisé en 2014 l’éclairage des hauts-fourneaux et de la place des hauts-fourneaux.
Le respect des principes
En confiant l’aménagement de l’ensemble de l’espace, hors campus, à un opérateur unique, l’Etat s’est assuré un développement à long terme selon des principes posés dès l’origine. Unique en son genre et jamais mise en œuvre auparavant, la démarche repose sur l’adhésion de tous les acteurs – l’Etat et l’industriel signataires du pacte initial, mais aussi les communes, l’université, les investisseurs, les occupants et les habitants. Actuellement peu perceptible, la concertation s’est déroulée en amont, dans la phase d’études et de préfiguration, et s’est poursuivie, entre autres, par une démarche participative de type « workshop » en 2003, avant le lancement des programmes résidentiels de Belval Nord.
Le nom de notre société est tiré de l’Agora grecque qui désigne le lieu de rassemblement social, politique et économique de la cité. Par définition, notre attitude et notre pratique nous conduisent à gérer nos projets en concertation avec notre environnement, dans toutes les phases de notre développement.
Robert Kocian
La méthode a fait ses preuves, puisqu’en février 2016, l’Etat a confié à l’Agora la reconversion du site sidérurgique d’Esch-Schifflange, exploité de 1871 à 2012 sur 54 hectares. Les deux communes sont associées aux premières études, qui mettent l’accent sur une concertation encore plus développée.
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