Le maintien de l’activité de la filière liquide d’ArcelorMittal Florange se jouera d’ici à cet hiver. Avec ou sans hauts-fourneaux, le site espère sauver une partie de ses compétences et emplois.
Médiatisation et mobilisation pré-électorale n’y auront rien changé. Les syndicats ont perdu tout espoir de voir le haut-fourneau P6 de Florange (Moselle) redémarrer dès ce printemps. En septembre, ArcelorMittal décidera, au vu de la demande d’acier, de relancer ou non la filière liquide sur son site mosellan. À cette même période, la Commission européenne tranchera sur le projet Ulcos (Ultra low carbon dioxyde steelmaking).
Ce dispositif expérimental de captage et de stockage du CO2, visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone liées à la production d’acier, mobiliserait 650 millions d’euros et garantirait la réfection du P6. Entre révolte et découragement, la vallée de la Fensch redoute une saignée en deux temps. L’arrêt des hauts-fourneaux entraînerait à court terme la disparition irréversible du savoir-faire des ouvriers du feu. Soumise à l’implacable concurrence entre les sites du groupe, la filière froide, qui emploie quelque 1 500 salariés dans la production d’aciers pour l’automobile et pour l’emballage, s’étiolerait ensuite peu à peu. Un scénario catastrophe que beaucoup refusent d’envisager.
Spécialisation dans l’acier haut de gamme
Sur les 2 940 salariés d’ArcelorMittal Florange, 1 100 travaillent à l’amont de la production d’acier, 350 aux services communs et 1 490 au « finishing », qui englobe l’ensemble des aciers plats. Confortée par la proximité du centre de recherche historique d’ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz, cette filière froide compte parmi les meilleurs sites de production d’Europe. Alimenté en brames d’acier brut par ArcelorMittal Dunkerque depuis l’arrêt du P6 en septembre 2011, Florange perd en compétitivité. Mais sa position géographique centrale lui permet de desservir en flux tendus une clientèle très dense dans un rayon de 400 kilomètres. Fournisseur, entre autres, des usines allemandes de BMW et de Mercedes et de celles de PSA à Sochaux et à Mulhouse, Florange se spécialise dans l’acier haut de gamme et entrevoit dans la gamme Usibor une chance de développement.
Au cours des douze derniers mois, le site a bénéficié d’un investissement global de 17 millions d’euros dédié à cet acier allégé, solide et résistant, fort prisé des constructeurs. La direction du site escompte un nouvel investissement du même montant pour rénover le train à chaud et produire Usibor en grande largeur.
Florange peut espérer constituer une filière intégrée sur ce produit en pleine expansion et générant de bonnes marges.
Xavier Le Coq, le président du syndicat national CFE-CGC Sidérurgie
La situation de la division packaging, qui compte 550 salariés, inspire plus d’inquiétude. Plombée par les mauvaises ventes en 2011, l’unité mosellane, dont l’une des deux lignes est à l’arrêt depuis sept mois, risque de faire les frais d’un arbitrage imminent entre les neuf autres sites européens du groupe. Spécialisé dans des aciers ductiles de grande finesse, doté d’un bon outil et fonctionnant en cluster avec le site voisin d’ArcelorMittal à Basse-Inde, Florange conserve néanmoins des arguments. Les performances techniques de l’usine n’ont cessé de progresser au cours des deux dernières années. La division packaging entend poursuivre cet effort tout en développant, en partenariat avec le centre de recherche de Maizières-lès-Metz, de nouvelles qualités ultrafines permettant de créer des formes originales.
Le projet Ulcos, ultime secours de la filière liquide
Réclamé avec l’énergie du désespoir, un redémarrage du P6 pour répondre à une demande ponctuelle ne garantirait pas la pérennité des installations. L’investissement de 314 millions d’euros qu’ArcelorMittal avait annoncé en 2008 sur les deux hauts-fourneaux P6 et P3 aurait permis de relancer la filière liquide lorraine pour vingt ans. Mais la crise mondiale a fait passer le projet à la trappe. Mis à l’épreuve par les arrêts et les redémarrages, les hauts-fourneaux sont délabrés. Plus grave, les compétences des sidérurgistes et des sous-traitants spécialisés s’amenuisent.
L’extinction de la filière liquide était initialement prévue en 2003. Le manque de recrutements a généré une pyramide des âges désastreuse, avec plus de la moitié de l’effectif âgé de plus de cinquante ans. ArcelorMittal a l’expérience des reclassements et la fermeture des hauts-fourneaux n’entraînerait sans doute aucun licenciement.
Gilbert Krausener, le vice-président du Conseil économique, social et environnemental régional de Lorraine
L’adoption du projet Ulcos conduirait ArcelorMittal à reconfigurer entièrement le P6 pour porter sa capacité à 2,2 millions de tonnes par an. L’investissement garantirait aux salariés et aux sous-traitants trois ans au moins d’activité. À Maizières-lès-Metz comme à Florange, ArcelorMittal mobilise des équipes renforcées dans le cadre du programme « Ready for Ulcos », qui permettrait d’entrer au plus vite dans la phase opérationnelle du projet.
Aux dernières nouvelles, la Banque européenne d’investissement semble plutôt bien disposée et l’espoir de voir aboutir le projet n’est pas déraisonnable. Le cas échéant, la fiabilité et la rentabilité d’un dispositif de captage et, surtout, la sûreté et l’acceptabilité de l’injection de gaz toxique dans le sous-sol meusien resteraient à démontrer. L’échec d’Ulcos sonnerait probablement le glas de la filière liquide lorraine, sans pour autant signifier la mort de la sidérurgie régionale. Occultée par la flamme symbolique du dernier haut-fourneau, la filière froide constitue le principal enjeu de la survie de Florange.
200 millions. C’est, en euros, le montant investi par ArcelorMittal en Lorraine au cours des cinq dernières années.
Jean-Louis Montagut, cofondateur du Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France (Grame F).
« La France a confié 90 % de sa sidérurgie à une seule personne »
Ni l’État, ni les collectivités locales ne semblent avoir de prise sur les décisions d’ArcelorMittal. Faut-il y voir une fatalité ?
Non. Composé d’anciens cadres et chercheurs de la sidérurgie, notre groupement tente depuis trois ans d’alerter les pouvoirs publics. La France a laissé les clés de 90 % de sa sidérurgie à une seule et même personne sans jamais lui demander de comptes. Dans les pays voisins, les choses ne se passent pas ainsi.
La Lorraine peut-elle espérer sauver sa sidérurgie grâce à la recherche sur les matériaux ?
La recherche a besoin d’usines pour mettre ses découvertes en application et générer l’innovation. Les travaux de l’institut Jean Lamour à Nancy et l’implantation de l’institut de recherche sur les matériaux prévue à Metz en 2014 constituent des atouts, mais il subsiste des barrières entre l’université et le monde industriel.
L’idée de créer une nouvelle aciérie électrique dédiée au recyclage des ferrailles à Gandrange vous paraît-elle crédible ?
Des investisseurs avaient déjà étudié un projet analogue dans la commune voisine d’Amnéville. Il y a un intérêt à créer une aciérie sur la route de la ferraille pour capter la matière exportée vers la Turquie. Evalué à 120 millions d’euros, l’investissement recréerait une coulée continue d’acier plat à proximité du marché allemand.
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