Actuelle capitale européenne de la culture, Esch-sur-Alzette profite de l’année événementielle Esch2022 pour mettre à l’honneur les terres rouges de son ancien bassin minier. Labellisée Unesco Biosphère, la région du Minett inspire artistes, architectes, scientifiques et historiens.
« Remix Culture » ! » proclame fièrement Esch2022, l’association en charge d’organiser les 130 projets et 2.000 événements qui célébreront tout au long de l’année le statut de capitale européenne de la Culture obtenu par Esch-sur-Alzette. Le label, qui englobe le syndicat intercommunal sud-luxembourgeois Pro-Sud et associe les huit communes nord-lorraines de la communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette, est présenté comme un point de départ. Doté d’un budget de 57 millions d’euros, Esch2022 doit initier une révolution au long cours et changer l’image d’un bassin de population transfrontalier de 200.000 habitants profondément marqué, dans sa culture comme dans ses paysages, par plus d’un siècle d’industrie lourde.
Consécration
Epicentre luxembourgeois de l’extraction minière et de la sidérurgie, la région du Minett – du nom de la « minette », minerai à faible teneur en fer qui teinte ses terres de rouge – a déjà amorcé sa mue. Frontalier de la France, de l’Allemagne et de la Belgique, ce territoire de 200 kilomètres carrés qui englobe les 11 communes de Pro-Sud a obtenu en octobre 2020 le réseau mondial des réserves de biosphères du programme Man an Biosphère (Mab) de l’Unesco. Cette consécration, suivant de peu le label de capitale européenne de la culture, transforme un territoire très abimé en laboratoire à ciel ouvert de la reconversion des friches, de la reconquête de la biodiversité et d’une rénovation urbaine dictée par un basculement radical. A l’instar du Luxembourg tout entier, l’ancien bassin minier est passé en trente ans de l’industrie lourde au tertiaire.
Mélange des genres
Le « Remix » initié par Esch2022 se traduit dans le Minett par un fructueux mélange des genres entre artistes, urbanistes, scientifiques et historiens. Bien avant le coup d’envoi officiel d’Esch2022 ce 26 avril, l’ordre des architectes et ingénieurs conseils (OAI) du Luxembourg, qui regroupe près d’un millier d’architectes, architectes d’intérieur, ingénieurs conseils, urbanistes aménageurs et d’ingénieurs paysagistes au Grand-Duché, a organisé sa contribution à l’événement.
Pro-Sud voulait créer un trait d’union entre ses communes. Quoi de mieux qu’un trail pour faire connaître leur patrimoine industriel et naturel ? C’est ainsi qu’est née l’idée du concours Gites Minett Trail.
Pierre Hurt, directeur de l’OAI
La structure avait déjà participé, en 1995 puis en 2007, aux deux éditions qui virent le Luxembourg, puis le Luxembourg et la Grande Région frontalière, accéder au statut de capitales européennes de la culture. Pour Esch2022, l’Ordre a lancé fin 2019 un appel d’offres portant sur la création de 11 gites insolites caractérisant l’histoire du Minett. Disséminé au long d’un parcours de randonnée de 70 kilomètres, le projet a galvanisé les candidats, qui ont soumis au jury 91 dossiers bâtiments réhabilités ou créés de toutes pièces.
Parmi les trente-trois propositions (trois par commune) présélectionnées figurent des constructions statistiques, flottantes (un Floater posé dans un bassin à Dudelange), roulantes (un wagon de l’ancienne mine à ciel ouvert de Fond-de-Gras), amovibles (des cabanons légers déplaçables en deux jours conçus à Mondercange) ou tractables, comme le projet Pumpitup à Esch-sur-Alzette. Cet Ovni nomade conçu par les bureaux d’architectes 2001 et Njoy sera le premier gîte opérationnel du concours.
La particularité du concours est de fédérer 11 maîtres d’ouvrages et autant de petits projets autour d’une même idée, en portant un message cohérent.
Pierre Hurt
Courant 2020, l’OAI et Pro-Sud ont présenté les projets retenus à la Maison du savoir de l’université d’Esch-sur-Alzette. En mai prochain, une deuxième exposition reviendra sur l’ensemble des propositions, retenues dans le cadre d’Esch2022 ou reportées à plus tard, en détaillant la méthodologie du projet. Les communes voulaient certes se doter de « hot-spots » artistiques attractifs pour les randonneurs et les touristes, mais les gîtes, dont le coût s’échelonne entre 500.000 euros et 1,5 million d’euros, devaient aussi s’avérer multifonctionnels.
Hommage à la socrcière
La commune de Differdange a ainsi retenu non pas la proposition du lauréat du concours, mais celle d’Anouck Pesch, arrivée deuxième avec un projet de réhabilitation d’une petite maison ouvrière de Lasauvage. Le binôme architecte/artiste a rendu hommage à la sorcière mythique qui donna son nom au lieu-dit.
Pensée pour tous les publics, la maison est décorée d’une fresque en céramique volontairement naïve et tactile que les personnes non-voyantes pourront toucher. Le gite fait partie du village et pourra servir aux habitants, et notamment aux écoliers, en dehors de la saison touristique.
Annouck Pesch
Au-delà d’Esch2022, les gîtes constitueront des équipements pérennes d’une capacité globale de 76 lits, qui seront gérés par un exploitant unique en cours de désignation. Le parcours doit se prolonger à terme au-delà des frontières pour rejoindre le réseau d’hébergements insolites du Grand Est, d’Allemagne et de Belgique.
Palimpsteste
Architectes et artistes se sont également associés à des historiens pour explorer le Minett et en révéler des aspects inattendus. Dès le lendemain de l’inauguration d’Esch2022, l’exposition « Remixer le passé industriel : construire l’identité du Minett » a ouvert au public les arcanes de la collaboration entre le collectif d’artistes italien Tokonoma, spécialiste des questions d’histoire, d’identité et de patrimoine culturel matériel et immatériel, et le Centre luxembourgeois d’histoire contemporaine et numérique (C2DH) de l’université du Luxembourg. La présentation se déploie sur deux niveaux à la Massenoire, ancienne halle industrielle préservée au pied des hauts-fourneaux de Belval, eux-mêmes transformés en creusets du savoir et de la technologie. Elle synthétise des centaines d’archives audiovisuelles – films professionnels ou amateurs, documentaires, reportages – retraçant l’évolution de l’activité et des paysages de la Minet durant un siècle. Le territoire apparaît ainsi comme un palimpseste continuellement réécrit où les collines agricoles cèdent la place aux usines, qui s’effacent elles-mêmes Dormir à tour de rôle
Les historiens de plusieurs anciennes régions industrielles européennes travaillent déjà en réseau. Esch2022 nous offre une occasion unique de renforcer ces coopérations transfrontalières tout en nous adressant directement aux habitants du Minett et aux touristes qui viendront visiter le territoire.
Stefan Krebs, professeur adjoint et chef du département d’histoire publique au C2DH
Redessinées, surlignées ou détournées par les artistes de Tokomana, les images d’archives renvoient à des problématiques très contemporaines. La pollution y apparaît ainsi comme un sujet de préoccupation majeur dès le début du XXème siècle. Les ouvriers recherchaient déjà l’air pur des parcs et des forêts pour fuir le fléau de la poussière. L’explosion de la population – qui, à Esch-sur-Alzette, a été multipliée par dix entre 1870 et 1914 – a généré une crise du logement catastrophique conduisant à sous-louer le même lit à plusieurs personnes dormant et travaillant à tour de rôle.
Le problème persiste sous une forme atténuée au XXIème siècle. L’essor économique et démographique du sud luxembourgeois a rendu les loyers inabordables et les marchands de sommeil prospèrent à la frontière française.
On peut considérer, au choix, que nous ne sommes toujours pas parvenus à régler des problèmes qui se présentent depuis un siècle, ou au contraire, que nous y avons toujours su y répondre de différentes manières. Dans les deux cas, notre travaux illustrent la grande complexité des questions d’urbanisme et de logement, et peuvent contribuer à éviter de réitérer les erreurs du passé.
Stefan Krebs
Grand sur Mars
Spécialiste des questions scientifiques retranscrites sur un mode artistique, le collectif franco-luxembourgeois Eddy van Tsui pousse la réflexion encore plus loin. Dans un pays qui se revendique « petit sur Terre, mais grand dans l’Espace », le projet « Esch-Mars, de terres rouges en terres rouges » aborde sur un mode participatif les questions éthiques, économiques et environnementale d’une éventuelle colonisation de Mars. Séquencée en quatre périodes de dix jours, la phase scientifique a consisté à interroger des experts de toute nature – géologues, écrivains, astrophysiciens ou microbiologistes – de novembre 2021 à janvier 2022. C’est à présent au tour des citoyens de s’exprimer sur les notions sensibles de colonisation, de respect de l’environnement et de vivre ensemble.
Le thème de l’environnement et de sa transformation prend tout son sens dans une région qui a été dévastée par l’industrie minière, avant d’être transformée en réserve biosphère. Les notions de destruction et de sanctuarisation peuvent se poser sur Mars, qui est présentée comme une planète sans vie, mais dotée d’un environnement propre.
L'artiste Pierrick Grobéty
Les citoyens se pencheront également sur les problématiques de gestion des espaces collectifs et individuels à bord de la navette spatiale qui embarquerait les spationautes pour six mois de voyage, puis sur les questions d’urbanisme et d’habitat préalables à la création d’une nouvelle société. De mai à juillet prochains, une création artistique présentée simultanément à Esch-sur-Alzette et à Audun-le-Tiche, en Moselle, retranscrira la manière dont les Terriens des terres rouges auront rêvé d’un autre monde.
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