Début juillet, la métropole du Grand Nancy a convié ses habitants aux premières Assises de la mobilité. L’invitation en forme d’oxymore traduit la volonté d’associer les citoyens à l’élaboration du plan métropolitain des mobilités. Mais la concertation se tient dans des délais trop serrés pour influer sur le choix urgent de nouveaux équipements de transports en commun.
Fleurir les parkings, créer une rue des graffitis, naviguer en transports en commun au long du canal, placer des œuvres d’art aux carrefours pour ralentir la circulation… A l’atelier « Ville de la surprise », les idées fusent et s’éparpillent parfois, mais les avis convergent : les citoyens venus participer, le 3 juillet dernier, aux Assises de la mobilité organisées par la métropole du Grand Nancy veulent plus d’eau, plus d’air, plus d’art. En groupe de dix, ils ont déambulé d’un stand à l’autre en s’arrêtant aux sept « stations de la ville » proposées par l’agence d’urbanisme suisse Bfluid : celle de la rencontre, du dehors, la ville générationnelle, celle du tiers solidaire, celle de la surprise, la ville comestible et enfin, celle de la nuit et du week-end. Recueillies sur des post-it ou localisées sous forme de gommettes par les animateurs des ateliers, leurs contributions, qui se sont poursuivies jusqu’en août sur la plateforme participative du Plan Métropolitain des Mobilités (P2M) et reprendront en septembre, nourriront la réflexion des élus en vue de la délibération sur la mobilité attendue fin 2021.
Les thèmes à la ville relationnelle ont toujours du succès, car ils parlent aux gens. A la sortie du confinement, alors que les transports étaient repartis et que les commerces étaient rouverts, il s’est avéré que l’on avait surtout envie de parcs, de terrasses, de lieux de sociabilité.
Sonia Lavadinho
L’anthropologue et fondatrice de Bfluid, retenu par la Métropole du Grand Nancy pour orchestrer la concertation. Les Assises organisées au domaine du Charmois, à Vandoeuvre-les-Nancy, ont réuni une centaine de citoyens motivés et avertis. Ce public exigeant, composé d’hommes et de femmes de tous âges, ne semble pas pour autant représenter la diversité de la population grand-nancéienne. Les habitants des cités de Vandoeuvre jouxtant le domaine du Charmois n’y étaient guère visibles. Deux sites de leur ville, le parc Pouille et l’esplanade Simone Veil, figurent pourtant parmi la trentaine de lieux présélectionnés pour expérimenter un aménagement concerté.
Service cahotant
Les Assises découlent d’une démarche engagée en octobre 2020 pour définir une vision stratégique et prospective des mobilités des vingt communes du Grand Nancy à l’horizon 2030. Quatre mois plus tard, la délibération du 11 février actait l’abandon, ou du moins le report sine die, du chantier de la ligne 2 du tram – ou plus précisément, du Transport sur voie réservée (TRV) dont Bombardier a équipé la ville en 2001. Les travaux d’un montant de 512 millions d’euros devaient permettre de prolonger le réseau et de renouveler ce matériel qui arrive en fin de course après vingt ans d’un service cahotant, voire chaotique.
Calendrier serré
Dicté par des contraintes financières, cette décision rebat les cartes de la mobilité dans une agglomération saturée par l’automobile, en retard sur les mobilités douces et bientôt privée de son tramway, qui cessera de circuler au plus tard début 2023. A l’automne, les élus se prononceront sur un nouveau réseau de transport. La métropole promet une nouvelle donne fondée sur le partage de l’espace public entre voitures, cyclistes et piétons. Mais la concertation promise pour parvenir à une ville « apaisée » s’inscrit dans un calendrier serré.
Depuis la délibération de février, la question de la mobilité se pose en d’autres termes. La concertation organisée autour de la ligne 2 du tram était technique et fonctionnelle. Celle qui s’est ouverte en avril vise à trouver des solutions apaisées dans un cadre de vie global.
Stéphanie Gruet, conseillère métropolitaine déléguée à la participation et à la coopération citoyenne
Concertation en visio
La crise sanitaire a perturbé le programme initial qui laissait la part belle aux réunions publiques et aux ballades exploratoires. La concertation s’est rabattue sur des conférences en visio ouvertes aux élus des vingt communes, aux services métropolitains, aux acteurs de la mobilité, aux représentants des commerçants et aux associations. Après deux réunions préparatoires organisées sur la base de cartographies présentées par l’agence d’urbanisme Scalen, une série de vidéoconférences réunissant en moyenne 80 participants ont affiné le concept de « stations de ville » présentées au public lors des assises du 3 juillet. Deux journées de rencontres ont permis des échanges sur le terrain dans sept secteurs de Nancy et de sa banlieue. Les restitutions en ligne présentent un état des lieux de sites stratégiques – carrefours, grands boulevards, esplanades, parcs publics – et synthétisent les critiques et propositions émises par les habitants.
Notre plateforme numérique, où les contributions de chacun sont présentées en toute transparence, constitue un outil innovant que d’autres villes regardent de près. Elle permet le dialogue entre citoyens, usagers et élus, contribue à leur acculturation et permet la montée en gamme du débat.
Jean-Christophe Erbstein, nouveau responsable du service Démocratie participative de la métropole
Vitesse et précipitation
Les associations saluent elles-aussi la volonté de concertation, mais pointent trois pierres d’achoppement : l’absence, dans le P2M, d’objectifs chiffrés en matière de réduction de gaz à effet de serre, une démarche participative qui ne va pas jusqu’à inviter les citoyens à une co-construction de la mobilité et enfin, un déficit de méthode. Courant mai, une quinzaine d’associations dont Greenpeace, le Bien commun, Eden et l’université populaire de Vandoeuvre, ont fait part de leurs interrogations dans un communiqué commun. Ils réclament un état des lieux préalable, une analyse partagée, l’élaboration d’objectifs généraux assortis d’indicateurs de réussite – et ce, dans le cadre d’un agenda « qui ne confondrait pas vitesse et précipitation ».
La démarche que l’on nous propose me semble sincère, mais à trop courte vue. A vouloir sacrifier le débat au calendrier, les élus se piègent eux-mêmes et nous risquons de découvrir cet automne un réseau qui aura été construit par des experts sans concertation.
Pierre Christophe, membre du Bien commun
L’agence d’urbanisme métropolitaine Scalen a certes produit des documents récents pour étayer la concertation, mais le dernier plan de déplacement urbain de la métropole remonte à 2006 et la dernière enquête Ménages Déplacements (EMD) du sud meurthe-et-mosellan, de 2012. La métropole se propose de réactualiser ce document d’ici un an ou deux – soit après l’adoption du futur transport en commun qui remplacera le TVR. Une quinzaine d’équipes d’experts planchent actuellement sur les questions de circulation, de stationnement et de mobilités douces. Leur rapport nourrira la réflexion des élus qui devront trancher, sans doute en novembre prochain, en faveur d’un nouvel équipement de transports en commun au long de la ligne 1 du tram.
Seule une étude technique peut nous orienter sur le choix du matériel le plus capacitaire, le plus silencieux, le plus confortable et qui, surtout, sera capable de réutiliser la plateforme actuelle du TVR (transport sur voie réservée) et les lignes aériennes de contact.
Patrick Hatzig, vice-président Mobilités et Transports du Grand Nancy
Le Grand Nancy, qui revendique une culture du débat ancrée de longue date, promet d’intégrer la compétence du citoyen au processus délibératif et de lui donner le pouvoir d’agir dans la co-construction des politiques publiques. Mais cet engagement à long terme peut être court-circuité par des contraintes temporelles, techniques ou même juridiques, la concertation ne pouvant se substituer aux mécanismes d’appels d’offres.
On ne crée pas un grand choc démocratique en trois mois. Les priorités doivent être hiérarchisées dans le temps et commencer par des objectifs rapidement atteignables comme l’aménagement des carrefours maltraités ou la création de nouveaux lieux de vie.
Patrick Hatzig
Les Grands Nancéiens ne décideront pas des grandes lignes de leur future mobilité, mais pourront en aménager les contours.
Sonia Lavadinho
« Gagner quinze à vingt ans de politique classique »
Fondatrice de l’agence d’urbanisme suisse Bfluid, spécialisée dans la prospective et l’expertise en mobilité et en développement territorial, Sonia Lavadinho orchestre depuis avril dernier la concertation sur la mobilité lancée par la métropole du Grand Nancy.
Quelles sont les particularités de la concertation engagée par le Grand Nancy ?
Elle a été lancée par des élus fraîchement arrivés, qui agissent sans trop d’idées préconçues. Ils ont abordé la question de la mobilité de manière globale, là où d’autres villes débattent de la voiture, de la marche ou du vélo en ordre dispersé. Le travail avec les maires de l’agglomération a été bien mené, et a permis de définir une trentaine de lieux d’expérimentation. On sait où l’on va agir. Ce coup d’accélérateur permet de gagner quinze à vingt ans de politique classique.
Que répondez-vous aux critiques estimant que la concertation ne répond pas suffisamment aux enjeux du changement climatique ?
Ils ont raison de donner l’alerte, mais il faut se préoccuper des conditions d’acceptabilité du changement. Les transports en commun représentent en moyenne un déplacement sur six, et ils ont régressé suite au Covid. Les marges de progrès se trouvent sur les autres modes de transport. A Nancy, 90 % des habitants de la ville se trouvent à moins de cinq kilomètres de la place Stanislas, soit à une heure de marche ou une demi-heure en vélo.
Mais le bassin de vie est très étendu et peu structuré. Avec de meilleures armatures urbaines, le vélo pourrait gagner beaucoup de flux.
Propos recueillis par Pascale Braun
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