On ne devient pas anthropologue urbaine sans emprunter des chemins de traverse. Ceux de Sonia Lavadinho, fondatrice de l’agence suisse Bfluid, l’ont conduite de la psychologie à géographie et des villages aux mégapoles du monde entier, avec pour fil conducteur l’observation passionnée de l’humain dans l’espace public.
Ces méandres lui confèrent une expertise recherchée tant par les territoires que par les grands noms de l’urbanisme, des transports ou de l’immobilier.
Intéressée dès l’adolescence par l’anthropologie, Sonia Lavadinho a pourtant entamé des études de psychologie avant de consacrer près d’une décennie à la photographie d’enfants dans cinq continents. Dans les années 2000, la jeune femme retrouve ses points d’ancrage rhônalpins et reprend ses études. Sa rencontre avec Yves Wikin, anthropologue de la communication qui deviendra son directeur de thèse, s’avère décisive. Les travaux de Sonia Lavadinho sur les villes « marchables » ne tardent pas à faire date.
Je démontrais pour la première fois que ce concept était applicable à l’échelle de grands territoires. L’idée a séduit des organismes comme l’Arep et la RATP, ou des villes telles Paris ou Montréal, qui sont devenus mes premiers clients.
Sonia Lavadinho
Au cours de la première décennie du XXIème siècle, l’anthropologue continue à observer et à écouter ses contemporains sans jamais perdre de vue le delta entre leurs propos et leurs actes. Au fil des études universitaires et des missions privées, elle développe sa propre vision de villes « vivables, aimables et aimantes ». En 2012, elle fonde le bureau d’expertise Bfluid, spécialisé dans les espaces publics, la mobilité et la prospective.
Un style de vie particulier
L’agence grandit et collectionne les mandats en Europe, au Canada et en Amérique latine. Sa dirigeante, qui parle six langues, anime des conférences, intervient dans des formations et multiplie les publications sur l’habitabilité, la mobilité, la multipolarité des villes et le partage de l’espace. Mais le poids de la structure lui pèse. Elle choisit de réduire la voilure, privilégiant le travail en réseau avec ses anciens salariés.
J’ai un style de vie particulier. Je travaille beaucoup, mais pas toute l’année. Je tiens à préserver ma liberté. J’interviens par coups de cœur et sur invitation à de jolis projets.
Sonia Lavadinho
Le Grand Nancy fait partie de ces coups de cœur. Partout, elle plaide la cause d’une « ville du dehors » dont les habitants marchent ou se posent, jouissent simultanément du patrimoine et de la nature, profitent du jour mais aussi de la nuit. Elle s’intéresse aussi aux intérieurs et développe, notamment avec Bouygues, la notion de « mètres carrés heureux », ces espaces denses et concentrés dédiés à la convivialité.
La marcheuse se félicite d’avoir vu la nature reprendre ses droits en ville, des ruelles vertes de Montréal aux jardins de Singapour.
C’est le domaine où les villes ont le plus progressé, même si on n’est encore qu’à 10 % de ce que serait une vraie politique de nature en ville, en phase avec les besoins de tous les humains.
Sonia Lavadinho
Sonia Lavadinho défend aussi une autre utopie : celle des « routes blanches », ces deux ou trois mille kilomètres de voiries intercommunales qui seraient retranchés du réseau routier pour offrir aux habitants de zones rurales des routes où piétons, cyclistes ou chevaux circuleraient en toute sécurité. La communauté d’agglomération d’Epinal s’intéresse à ce modèle développé en Suisse. L’idée rejoint le combat global de l’anthropologue pour une approche plus physique de l’espace public.
Le vrai problème, c’est l’enclavement, y compris dans son propre corps. La mobilité n’est qu’une demande dérivée. Les zonages sont encore omniprésents et difficiles à vivre quand on ne peut rien faire à pied ou à vélo.
Sonia Lavadinho
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