Les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont parvenus à fusionner début janvier dans les délais prévus. Mais l’organisation RH ne fait que commencer, laissant les agents dans le flou.
Ni tout à fait région, ni vraiment département, la collectivité européenne d’Alsace (CeA) officiellement installée le 2 janvier 2021 est parvenue, affirme-t’elle, à réunir les 3.400 agents de l’Ex-Bas-Rhin et leurs 2.600 collègues de l’ex-Haut-Rhin sans susciter ni départs massifs, ni recrutements particuliers. Les agents sont en réalité dans l’expectative, même si la signature en novembre dernier du protocole d’accord par les représentants syndicaux des deux anciens départements a été vécu comme une victoire collective.
La nouvelle collectivité ne peut pas donner confiance en l’action publique si ses propres agents n’y croient pas.
Frédéric Bierry, premier président (LR) de la CeA
Dès le début du processus voici trois ans, les deux élus en charge du volet RH de la fusion, Pierre Bihl et Etienne Burger, ont formulé trois engagements : les agents de la nouvelle collectivité ne subiraient ni mobilité forcée, ni perte de revenu, et la convergence apporterait à chaque agent le meilleur des deux systèmes.
Incertitudes
Mais les négociations, contrariées par une épidémie de Covid particulièrement virulente en Alsace, ne sont entrées dans la dernière ligne droite qu’en septembre dernier, après que les syndicats aient vainement demandé un report de la création de la CeA.
Premiers concernés, les cadres et chefs de service avaient tout lieu de craindre une fusion qui risquait de les placer en concurrence frontale lors de la constitution du nouvel organigramme.
En 2020, tous les directeurs de services ont été reçus pour des entretiens de projection professionnelle. Les DGA préfigurateurs ont ainsi pu percevoir les appétences des uns et des autres pour des mobilités ou pour des formations.
Stéphanie Tachon, directrice générale déléguée des services de la CeA
Cette stratégie de la diplomatie a permis de limiter à six le nombre de « matches » entre chefs de services deux départements. Un cabinet de conseil extérieur a assisté un jury composé d’élus dans ses choix. La CeA dispose à présent d’un macro-organigramme où les « grosses briques » sont calées. La continuité des services est assurée et même le départ, en décembre 2021, de la DGS pressentie, n’a pas fait vaciller l’édifice. La nouvelle collectivité s’est dotée d’une direction générale entièrement dédiée aux RH pour assurer l’accompagnement des encadrants dans un début de parcours encore pavé d’incertitudes.
Le marathon des négociations automnales s’est fixé comme but commun l’instauration d’une certaine équité entre deux départements dont la politique sociale présentait des différences notables.
Le souci principal des partenaires était que personne ne perde rien. Ce postulat a permis des avancées importantes pour les agents des catégories B et C, en portant un effort particulier sur les métiers en tension.
Danièle Wolf, DGA aux Ressources humaines de la CEA
Le protocole d’accord prévoit notamment une revalorisation des rémunérations des assistants familiaux, dont le régime était moins favorable dans le Haut-Rhin, un rattrapage du pouvoir d’achat, particulièrement perceptible via l’augmentation des indemnités de sujétion et une augmentation généralisée de la participation de la collectivité à la protection sociale complémentaire. Ces progressions sont restées circonscrites dans l’enveloppe budgétaire prévue de 6 millions d’euros.
Nouvelle représentativité syndicale
La fusion change la donne en matière de représentativité syndicale. Dans le Bas-Rhin, la CFDT était majoritaire au sein d’une représentation incluant l’Unsa, FO, la CGT et la CFTC, tandis que FO détenait sept des huit sièges des instances représentatives du Haut-Rhin. Cette organisation devient, avec neuf élus, le premier syndicat de la CeA.
Dans une première phase, il a été enrichissant d’observer des façons d’agir moins consensuelle que la nôtre. Les choses se compliqueront peut-être à l’avenir.
Nathalie Raynard, secrétaire de la section CFDT du Bas-Rhin
Rompu aux relations sociales plutôt tendues qui prévalaient dans le Haut-Rhin, FO a occupé le terrain en négociant ligne à ligne et estime avoir été entendu.
Aucune des deux collectivités n’avait véritablement la culture de la négociation. La création de la CeA favorise le dialogue avec une seule administration, qui s’est montrée réceptive.
Christophe Odermat, secrétaire général FO des personnels du Haut-Rhin
Les prochaines négociations s’annoncent denses. La question du temps de travail, qui a donné lieu à un avis défavorable du comité technique du Bas-Rhin, a finalement été ratifiée après la signature du protocole, mais les horaires atypiques restent à débattre. Les dispositifs de prévoyance et les amicales du Haut-Rhin et du Bas-Rhin sont encore distincts. Même les systèmes informatiques RH des deux départements ne sont pas encore unifiés. Ce détail témoigne de l’ampleur du chantier technique et organisationnel qui permettra à la CeA d’unifier les méthodes de travail. Quant à l’instauration progressive d’une culture commune, elle ne s’engagera sans doute pas avant l’installation de la nouvelle assemblée départementale en juin prochain.
loi du 2 août 2019 créant la CeA.
Décret n° 2019-142 regroupant le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.
Ordonnances 2020-1304 et 2020-1305 portant sur les mesures institutionnelles et les règles budgétaires.
Pour les agents des Routes, l’unification des process commence en avril
Pour mettre en œuvre sa compétence routière nouvellement acquise, la CeA a dû faire converger non seulement les pratiques des 330 agents provenant du Haut-Rhin et leurs 515 collègues du Bas-Rhin, mais aussi, celles de 160 fonctionnaires d’Etat de la Dir Est affectés à l’entretien des autoroutes non concédées.
Dès les prémices de la fusion, mon collègue du Bas-Rhin et moi-même avons mixé les origines et les profils pour éviter de juxtaposer des entités distinctes.
Alain Cornier, ex-directeur des Routes du Bas-Rhin qui dirige désormais la direction des routes de la CEA
Les habitudes de travail des agents dans les deux départements ne différaient pas beaucoup. Ils conserveront leurs pratiques antérieures durant la saison de viabilité hivernale 2021 avant d’entamer en avril une unification des process. Les personnels, qui détiendront un droit d’option durant deux ans, poursuivent pour leur part les tâches très spécifiques pour lesquelles ils ont été dûment formés par la Dir-Est.
Assurer une culture de la coopération transfrontalière
Pour mettre en œuvre la nouvelle compétence en matière de coopération transfrontalière et de bilinguisme, chèrement négociée par les élus, la CeA ne s’est pas contentée de regrouper les 35 agents travaillant sur ces thèmes dans les deux anciens départements pour additionner leurs projets. Cette nouvelle direction générale se compose de trois directions respectivement dédiées à l’Europe et au transfrontalier, au bilinguisme et à l’appui et au pilotage. Cette dernière unité coordonne les activités des deux autres, assure les fonctions support traite les dossiers de financements Interreg et élabore le schéma de coopération transfrontalière qui devra être validé d’ici à 2023.
Immédiatement opérationnelle, notre direction doit être en mesure de coordonner non seulement ses propre projets, mais aussi d’intervenir en appui des autres services pour instaurer une culture du pilotage transfrontalier à l’échelle de la collectivité.
Thierry Pichon, directeur général adjoint en charge de la coopération transfrontalière et du bilinguisme
L’enjeu est de taille, car la CeA expérimente à compter du 1er janvier un rôle de chef de file de la coopération à l’échelle de l’Alsace. A ce titre, elle devra entre autres assurer une bonne coordination entre le comité de coopération transfrontalière mis en place par le traité d’Aix la Chapelle et les quatre eurodistricts qui maillent le territoire alsacien.
Un coup de frein sur les transferts routiers
Le décret soumis le 13 janvier 2021 au conseil supérieur de la fonction publique territoriale pour valider une convention de transferts de 173 agents de l’Etat vers la CeA et, dans une moindre mesure, vers l’Eurométropole de Strasbourg, a été rejetée à l’unanimité par l’ensemble des organisations syndicales. Ces dernières entendent ainsi marquer leur mécontentement face à des transferts jugés trop nombreux et leur refus de valider des négociations qu’elles estiment conduites au pas de charges au détriment d’autres priorités, dont la crise sanitaire. Le décret sera présenté une nouvelle fois aux instances, sans doute courant février. Mais ce couac risque de retarder l’intégration des agents de la Drire Est et de la Dreal vers leurs collectivités d’accueil.
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